Les Contes de Marylène comptent déjà trois volumes. Après La Geste d’Aglaé (2012) et Cixtite impératrice (2014), Misma éditions publient cette année Boris l’enfant patate [1], la nouvelle bande dessinée d’Anne Simon. Le pays Marylène, où humains et personnages zoomorphes cohabitent sans s’en apercevoir, est l’objet de luttes de pouvoir inattendues et ressemble à un condensé quelque peu farfelu de notre monde.
Après avoir été dominé par Victor Von Krantz, qui a fini décapité, le pays Marylène a connu le règne d’Aglaé, assistée de Simone Michel, féministe convaincue. Celles-ci renommèrent la capitale "Suffragette City" et se lancèrent dans une guerre sans merci contre l’impératrice Cixtite. L’armée Marylène, digne héritière des frites "Végétaline", en fut décimée, à quelques exceptions près [2]. Mais, au moment où débute Boris l’enfant-patate, Aglaé n’est plus au pouvoir et le pays Marylène vit en autogestion, pour le plus grand bonheur de son peuple.
Aglaé a d’ailleurs bien faibli, au point que son fils, le fameux Boris, la surnomme "Bulle". Boris a une tête de caillou et se nourrit exclusivement de frites, épluchées et cuisinées par sa mère. Il est aussi capricieux qu’ambitieux et incarne, pour paraphraser Lénine, la maladie infantile du capitalisme. Décidé à s’accaparer le pouvoir, soutenu et aidé par les frites guerrières de l’armée Marylène, il échafaude un plan machiavélique pour parvenir au sommet.
Boris s’arrange donc pour rendre la population dépendante à la (sur)consommation de frites, qu’elle ne peut se procurer qu’en les achetant à la chaîne de restaurants de Boris. Mais, dans un pays où l’argent a disparu, le seul moyen de se créer un "pouvoir d’achat" est de travailler pour Boris lui-même... Ainsi, le gamin lithocéphale et patatovore contrôle l’ensemble du système. Imparable, du moins en apparence.
Anne Simon propose avec Boris l’enfant patate un récit fantaisiste, sorte de caricature de notre monde, où la violence paraît moins dramatique et la politique plus fantasque. Mais l’autrice sait traiter avec légèreté de sujets sérieux, comme elle l’avait montré lors de ses collaborations avec Corinne Maier dans leurs biographies de Freud, Marx et Einstein (chez Dargaud, respectivement en 2011, 2013 et 2015). La gravité de certaines situations est tempérée par des passages plus humoristiques. Les accents pathétiques sont contrebalancés par une douce ironie, jamais méchante et qui au contraire rend ses personnages attachants.
Même Boris, qui à lui tout seul symbolise le capitalisme agressif, l’autoritarisme et le patriarcat, volets d’un triptyque oppressif, parvient à attendrir le lecteur. Ses crises de rage l’humanisent et rappellent qu’il a voulu grandir trop vite. À l’opposée, son ennemie jurée Simone Michel, l’ancienne assistante d’Aglaé qui peut se revendiquer aussi bien de Simone de Beauvoir que de Louise Michel, attire la sympathie par son opposition au tyran, mais rebute par les méthodes qu’elle emploie. Tout ce petit monde se croise et s’affronte dans un monde indéfini, merveilleux, où le magique et le fantastique ont leur part.
Le trait fin et les compositions variées d’Anne Simon correspondent parfaitement à un conte pour enfants [3] et adultes. Évoquant parfois la gravure, son dessin reste souple et dynamique, vivant comme l’est le pays Marylène. La narration est rythmée par les variations de point de vue et est parfois coupée par des parenthèses ou des ellipses.
Anne Simon avait remporté le concours Jeunes Talents de l’édition 2004 du festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Elle a depuis largement confirmé son talent. Fidèle à l’équipe de Misma éditions, avec qui elle travaille depuis le début des années 2000, elle semble avoir d’ores et déjà prévu un quatrième volume des Contes de Marylène. Tant mieux !
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(par Frédéric HOJLO)
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Boris l’enfant patate - Par Anne Simon - Misma éditions - 17 x 22 cm - 164 pages en noir & blanc - couverture souple avec rabats - parution le 16 février 2018 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.
Lire les premières pages de l’ouvrage & écouter une brève rencontre avec Anne Simon sur France Culture.
[1] Quelques pages en avaient déjà été montrées dans les n° 5 et 6 de Dopututto Max, la revue de la maison Misma.
[2] Tout ceci est rappelé en pages de garde du livre, grâce à une rapide description des principaux personnages et une chronologie aussi implacable que celles des manuels d’histoire.
[3] La dessinatrice a d’ailleurs beaucoup travaillé pour l’illustration jeunesse.
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