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Borrini & Janssens : « Il faut apprivoiser ses peurs, pour s’en faire des amies »

Par Nicolas Anspach Charles-Louis Detournay le 1er mars 2007                      Lien  
Avec Karma, cette étonnante série destinée aux grands enfants, Fabrizio Borrini et Jean-Louis Janssens ont bâti une allégorie de la Seconde Guerre mondiale sur ce postulat: et si les anges étaient des démons, et les démons des anges ? Parmi ces derniers, un petit diablotin sympathique, Karma, vivant à Outrelieu, et qui rejoint notre monde pour intégrer le cirque Zombini… Karma et ses amis devront apprendre à se défendre face aux anges envahisseurs.

Jean-Louis Janssens, comment est née votre rencontre avec Fabrizio Borrini ?

JLJ : J’ai eu l’opportunité de réaliser le scénario de beaucoup d’histoires courtes et d’animations pour le journal de Spirou. Fabrizio avait présenté à Dupuis un projet autour d’une petite troupe d’êtres étranges. Il se dégageait une force incroyable de ses dessins. Il recherchait un scénariste pour donner vie à ses personnages. L’éditeur m’a demandé si j’étais intéressé par ce projet. J’ai commencé par lui écrire une histoire courte pour me rôder. J’ai donc repris certaines créatures de son dossier pour les développer, et nous en avons inventé d’autres…

Etait-ce un exercice facile ?

JLJ : Fabrizio me laissait beaucoup de liberté. Le premier récit a été découpé en huit planches. Comme notre collaboration fonctionnait, j’ai découpé une seconde histoire courte, puis j’ai commencé à comprendre et à assimiler les ressorts que l’animation de ce type d’univers nécessitait !

Borrini & Janssens : « Il faut apprivoiser ses peurs, pour s'en faire des amies »
Extrait du T2 de Karma

Fabrizio Borrini, Votre univers est très particulier… Quelles sont vos influences ?

FB : Freaks, La Monstrueuse Parade, un film réalisé par Tod Browning au début des années trente, m’a marqué lorsque j’étais enfant ! Ce film a été tourné avec de vrais êtres difformes dans le cadre d’un cirque… Je m’en suis souvenu lorsque Benoît Fripiat, alors adjoint à la rédaction de Spirou [1], m’a parlé d’un numéro de Spirou spécial Halloween. J’ai ressorti des croquis sur ce thème du fond d’un tiroir. Il les a regardé, m’a complimenté pour mon travail, mais trouvait que cela n’avait pas beaucoup de rapport avec le sujet. Lorsqu’il est devenu éditeur chez Dupuis, il m’a rappelé pour que je réalise un projet à partir de ces dessins. En fait, cette série est le fruit du travail de trois personnes. Sans Benoît, Karma n’aurait pas existé ! Il m’a fait confiance alors qu’à l’époque, je ne dégageais pas forcément une image sérieuse. J’avais un côté touche-à-tout et fantaisiste.

JLJ : C’est plutôt dû à un quiproquo. Tu réalisais beaucoup de gags dans Spirou à ce moment-là. Ce qui explique l’image « touche à tout » qui te collait à la peau. Karma t’offre aujourd’hui un prolongement de ta carrière de peintre et de décorateur. Tu pouvais t’épanouir dans ces deux activités pas très éloignées de ce que tu fais maintenant dans la bande dessinée.

Il y a-t-il un parallèle entre votre BD et votre peinture ?

FB : Je le pense. Je suis le plus heureux des hommes lorsque l’on fait ce parallèle. Je n’ai pas l’impression de scinder mon oeuvre en travaillant pour ces domaines artistiques « différents ». Je fais avant tout des images, pas de la peinture ou de la bande dessinée…

Fabrizio Borrini peignant une fresque…
Photo © JM Gourguet

L’univers de Karma est riche. Ne l’avez-vous pas présenté de manière un peu brutale dans le premier album ?

JLJ : Nous avons mis en scène la plupart des personnages dès les premières planches, sans trop nous attarder sur eux. On nous l’a fréquemment reproché. Nous allons tenir compte de cette remarque pour que le récit soit plus linéaire à l’avenir.

Vous discutez beaucoup ensemble ?

FB : Oui. Pendant des années, j’ai travaillé pour Spirou sans rencontrer de scénaristes. Je n’aime pas du tout cette manière de travailler. Or, j’ai toujours eu besoin d’une relation de confiance avec mes scénaristes ou mes éditeurs. Déjà lorsque j’ai travaillé chez Magic Strip, dans les années 80, je souhaitais cette proximité et cette envie construire quelque chose avec mes éditeurs, les frères Pasamonik. J’étais fort proche de Daniel Pasamonik à l’époque où je dessinais Terreur à Hollywood et L’Homme Statue
Jean-Louis Janssens habite à quatre cents kilomètres de chez moi. Nous essayons de nous voir régulièrement pour parler de Karma. Nous sommes très attachés à notre série et nous souhaitons qu’elle trouve son public.

L’Homme Statue est paru en 1986. Vous n’aviez pas envie de faire de la narration durant ces vingt ans ?

FB : Evidement ! J’en ai fait à travers différentes animations, et puis j’ai présenté des projets à des éditeurs. A quarante ans, j’ai essuyé un refus qui m’a terriblement blessé. J’avais fais des illustrations pour enfant, et je me suis fait jeter comme un malpropre par la personne qui était chargée du projet. En fait, j’ai fait tellement de chose, durant toutes ces années, que je n’ai pas souffert de ne pas faire de la bande dessinée. Cela dit, aujourd’hui, je n’imagine plus ne pas en faire !

Extrait du T2 de Karma

Avec Karma, vous nous offrez une vision assez noire de la vie. Est-ce une façon de dire aux enfants qu’il y a des choses désagréables qui vont leur arriver, mais qu’il y a moyen de trouver toujours une issue positive ?

JLJ : Nous traitons des réfugiés et de la guerre. Les lecteurs peuvent le percevoir au-delà de l’aspect merveilleux et fantastique de l’histoire. Nous voulions que Karma ait de la profondeur. D’où l’idée d’un monde où une espèce veut imposer sa loi au moyen d’une guerre, qui devient éternelle. Je me suis inspiré de la Seconde Guerre mondiale pour écrire cette histoire. Les méchants ne sont pas des nazis, mais des anges. Les anges sont les oppresseurs. Et dire que tout est parti d’un petit démon que Fabrizio avait dessiné…

Quels regards portent les enfants sur cette série ?

FB : J’ai dû en rencontrer près d’un millier car je fais beaucoup d’animation dans les classes. Les enfants sont interpellés par l’une des thématiques de Karma : L’idée du monstre qui est plus un copain qu’un ennemi. Ils apprécient beaucoup l’univers d’Outrelieu, et les parallèles entre les mondes…
Je me souviens qu’après avoir vu Freaks, la Monstrueuse Parade, je faisais des cauchemars tellement ce film m’avait impressionné… Puis, je me suis dis je devais les apprivoiser. J’ai alors vu les êtres difformes de ce cirque d’une toute autre manière… Je me les étais un peu accaparés… Comme les enfants, aujourd’hui avec Karma.
J’aime beaucoup travailler avec enfants. J’ai même fais un petit dessin animé avec eux. Il y a un retour direct avec les gosses. C’est une relation sans concession, cela passe ou cela casse !

Borrini & Janssens

(par Nicolas Anspach)

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire une interview de Janssens & Peral, à propos de "Billy The Cat"

Illustrations : © Borrini, Janssens & Dupuis

[1Benoît Fripiat est devenu depuis lors directeur éditorial adjoint de Dupuis

 
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