"Magnifiquement conçu et réalisé… une magistrale utilisation du médium bande dessinée" (Publisher’s Weekly), "Captivant, irrésistible" (New York Times) : la presse américaine n’a pas été avare de louanges pour Bottomless Belly Button (Nombril sans fond), sorti en juin dernier aux États-Unis. Ce pavé de 720 pages suit le quotidien des différents membres de la famille Loony au moment où les parents, Maggie et David, annoncent qu’ils ont décidé de divorcer après 40 ans de mariage. Son auteur, Dash Shaw, a tout juste 25 ans.
Un tour sur son site Internet nous apprend que, outre des histoires courtes dont certaines ont été rassemblées dans un recueil paru en 2005 chez Teenage Dinosaur Press (Goddess Head), le jeune homme a déjà publié deux romans graphiques :
Love Eats Brains : A Zombie Romance (Odd God Press, 2004), triangle amoureux dans lequel "un photographe doit choisir entre sa petite amie enceinte et le souvenir d’une libraire morte à l’adolescence" ;
The Mother’s Mouth (Alternative Comics, 2006) ou comment, dans la Nouvelle-Orléans d’avant Katrina, une femme revit une ancienne histoire d’amour à travers sa relation avec un musicien (nommé aux Eisner Awards en 2007).
Dash Shaw publie également sur son site un webcomic, BodyWorld, dont une nouvelle page est mise en ligne chaque mardi ; il contribue régulièrement à la revue de Fantagraphics Books Mome et publiera des histoires courtes dans le prochain collectif Meathaus ainsi que dans un collectif d’auteurs indépendants prochainement édité par Marvel. Il est, enfin, membre du groupe de musique pop Love Eats Brains ! (du nom de son premier roman graphique) et réalisateur de courts métrages.
Ce qui frappe au vu de ses différents travaux (dont de larges extraits sont disponibles en ligne), c’est la volonté de ce jeune auteur d’expérimenter autour du médium bande dessinée. "Le travail de Dash Shaw est remarquable, il allie un certain classicisme dans la narration avec une étonnante inventivité formelle", estime Serge Ewenczyk, l’éditeur de çà et là. "Mais le véritable tour de force est de parvenir à nous emporter sur 720 pages dans ce récit aux nombreuses ramifications, dans les méandres de la famille Loony."
On est en effet frappé par la facilité de lecture de ce qui aurait pu être un monstre narratif : les séquences mettant en scène les différents personnages alternent avec fluidité, le récit semble couler de source ; mais surtout, le talent de l’auteur pour refléter les sons, les ambiances, l’élasticité du temps est impressionnant.
"Bottomless Belly Button s’inscrit dans la grande tradition du roman graphique américain", nous dit encore Serge Ewenczyk, "dans la lignée de Clowes (période Ghost World), Chris Ware (période Jimmy Corrigan) ou encore Blankets de Thompson… On est proche de l’univers des auteurs américains comme Delillo, Richard Ford ou encore Wes Anderson qui aiment à dépeindre des personnages "borderline", un peu à côté de la plaque ou carrément barrés."
Le livre en tant qu’objet est lui-même assez hors normes : sa fabrication ainsi que son adaptation ont fait l’objet de récits épiques sur le blog de l’éditeur. "Le travail d’adaptation a été mené à marche forcée compte tenu des délais, qui étaient très courts pour un livre de cette taille." Il est en tout cas très soigné et, comme pour Château l’Attente, fidèle à la version originale. La traduction est de Sidonie van den Dries, le lettrage d’Anne Beauchard et Amandine Boucher. "Nous avons passé beaucoup de temps sur les petits détails qui font que ce livre est une véritable immersion dans la vie de cette famille, et notamment les messages ou lettres codés répartis tout au long du livre qu’il a fallu traduire et recoder en français", nous dit Serge Ewenczyk.
Le soin mis à ce travail, avec le précédent de Château l’Attente, n’est selon lui pas la seule raison pour laquelle Fantagraphics lui a à nouveau fait confiance. "Je pense qu’ils sont surtout sensibles à l’enthousiasme des petits éditeurs, étant eux-mêmes des indépendants de la première heure. Ils savent que nous nous impliquons énormément pour la sortie de nos livres, alors que de gros éditeurs peuvent proposer des avances plus importantes mais risquent de ne pas s’investir dans le lancement : ainsi Là où vont nos pères, très peu poussé au moment de la sortie par les équipes commerciales de Dargaud qui n’y croyaient pas du tout. Par ailleurs, je leur ai proposé de faire une sortie très rapide du livre, quelques mois seulement après sa sortie américaine, parce que je pensais qu’il pouvait prétendre à la sélection au festival d’Angoulême 2009."
Pari gagné : Bottomless Belly Button, comme Ferme 54 de Galit et Gilad Seliktar (autre album çà et là), figure dans la sélection officielle du 36ème Festival. Le livre, tiré à 4.500 exemplaires, sort en librairie samedi 22 novembre avec une mise en place à près de 3.000 exemplaires.
(par Arnaud Claes (L’Agence BD))
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