Il en va ainsi de l’histoire, et de l’histoire de l’art en particulier : elle se résume en quelques moments marquants qui en constituent en quelque sorte l’absolue synthèse. Le David de Michel-Ange, la Joconde de Léonard de Vinci, le Requiem de Mozart, Notre-Dame de Paris de Victor Hugo font partie de ces jalons...
L’appellation de « 9e Art » pour la bande dessinée n’est pas si ancienne : inventée par le critique de cinéma Claude Beylie en 1964, elle a été popularisée par le dessinateur Morris et le collectionneur Van Keer dans une rubrique rédactionnelle de Spirou, puis sacralisée dans un manifeste de Francis Lacassin, Pour un Neuvième Art : La Bande Dessinée (1971). Depuis, cet art nouveau a prospéré dans les académies, les musées, les galeries...
Mais celui-ci n’est pas encore entré véritablement dans une phase classique, je veux dire qu’on ne l’étudie pas en classe. Or, on le pourrait avec cet ouvrage d’André Franquin qui propose d’abord une version restaurée de l’œuvre originale, remise en couleurs par Frédéric Jannin dans le respect des indications de couleur de l’auteur, mais aussi les fac-similés des originaux où se déploie toute la nuance des détails.
En ce qui concerne l’accompagnement critique, signé José-Louis Bocquet & Serge Honorez, nous ne sommes certes pas dans Profil d’une œuvre, mais toute la galerie des personnages (Spirou & Fantasio, Gaston, Le Marsupilami, De Mesmaeker...) et surtout tout l’art de Franquin est là : son sens inouï de la comédie qui fait de sa bande dessinée un petit théâtre savoureux où il exprime son infinie empathie pour ses personnages ; l’habileté incroyable de son dessin qui traduit à la perfection les attitudes, les mimiques, les sentiments, la vérité des objets avec une intelligence remarquable... Il y a enfin Franquin l’animalier, le créateur du marsupial de Palombie, qui atteint avec ses chimpanzés les Brothers un sommet inatteignable pour un dessinateur normalement constitué. Une merveille !
N’ayons pas peur de l’écrire, cet épisode de Spirou, Bravo les Brothers, est notre Joconde !
Publié du 14 octobre 1965 (N°1435) au 3 mars 1966 (N°1455) de l’hebdomadaire de Spirou, il constitue le sommet de l’art de Franquin alors en pleine plénitude de ses moyens.
Le dessinateur anime le personnage de Spirou -qui appartient à son éditeur- depuis une vingtaine d’années et le gaffeur Gaston depuis 1957. Son talent transcende l’hebdomadaire de la bonne humeur et la bande dessinée belge dans son intégralité.
Adoubé par Hergé qui savait reconnaître un talent, Franquin devient le chef de file d’une génération unique : Peyo (Les Schtroumpfs), Morris (Lucky Luke), Roba (Boule & Bill), Tillieux (Gil Jourdan), Will (Tif & Tondu) et quelques autres qui obligeront les historiens à forger le vocable « franco-belge » pour désigner la BD francophone.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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