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Brüno : "Hergé et Morris faisaient passer la fluidité et la narration avant l’esbroufe graphique"

Par Nicolas Anspach le 24 juin 2009                      Lien  
Après avoir signé le très réussi Biotope dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud, {{Brüno}} et {{Appollo}} remettent le couvert en explorant, avec {Commando colonial}, la Seconde Guerre mondiale dans les colonies. Brüno évoque avec nous ces histoires et son style graphique qui n’est pas sans rappeler la Ligne Claire !

Juin 1942. Robillard et Rivière rejoignent leur base avec des documents contenant des renseignements sur un futur débarquement allié en Afrique du Nord. Mais, en plein océan Indien, leur avion se pose en catastrophe sur une minuscule île déserte – ou presque. En effet, un petit rondouillard se présente : Joao dos Santos, tenancier d’une exploitation de coprah, assez casse-pieds et complètement siphonné. Mais il s’avère que cet homme pittoresque n’est pas exactement ce qu’il prétend être et que l’île est moins déserte qu’elle ne le semble… Et nos amis se retrouvent prisonniers à bord d’un sous-marin allemand, Le Loup gris, dont le capitaine – un homme agréable qui cultive avec Robillard des rapports de gentleman – a pour projet de les livrer aux services de renseignements allemands…


Brüno : "Hergé et Morris faisaient passer la fluidité et la narration avant l'esbroufe graphique"Comment est née votre collaboration avec Appollo ?

Le festival de bande dessinée de la Réunion m’avait invité. Appollo habitait alors là-bas. Nous avons sympathisé et passé quelques soirées ensemble. Quelques moi après, il m’a téléphoné pour me proposer le scénario de Biotope. Ce projet me plaisait, d’autant plus que j’écrivais à ce moment-là un scénario de SF assez minimaliste, qui ressemblait beaucoup à celui de Biotope. Je lui avais parlé de mon envie de traiter ce genre lorsque nous nous étions vus. J’ai donc abandonné mon projet personnel pour me consacrer à celui d’Appollo.

Vous vous étiez trouvés …

Oui. Appollo avait apprécié Némo, l’une de mes précédentes séries parue chez Treize Étrange qui avait connu un petit succès critique. Apparemment, Appollo avait œuvré pour m’inviter au Festival BD de la Réunion. Je pense qu’il a toujours eu envie de travailler avec moi.

La science-fiction est en filigrane de Biotope, pourtant. Était-ce le côté vase-clos qui vous plaisait ?

Effectivement. La science-fiction est presque un prétexte. Le récit aurait pu se passer sur la terre, plutôt que sur une autre planète. Faire de la science-fiction à la Star Wars ne m’intéressait pas ! Le projet sur lequel je planchais était plus proche de 2001, Odyssée de l’espace, Soleil vert, THX 1138, etc. Bref, la science-fiction que l’on pouvait voir au cinéma durant les années 1960 et 1970 ! Du coup, le côté décalé de l’huis-clos d’Appollo me plaisait !

Il y a un message écologique dans ce livre : ces savants se rebellent pour que cette planète ne soit pas colonisée …

C’est l’un des aspects de ce diptyque. Au-delà de cela, Appollo voulait également évoquer la limite de l’engagement. Des personnes, malgré la noblesse de leur objectif sont quand même prêtes à tuer des gens en masse pour arriver à leur fin ! Est-ce que pour une cause, aussi louable soit-elle, faut-il commettre les pires des actes pour la défendre ?

Extrait de "Biotope" T2
(c) Appollo, Brüno & Dargaud.

Votre style graphique fait référence à la Ligne Claire. Vous y avez insufflé une touche de modernité.

Je suis un grand amateur de la bande dessinée franco-belge classique, et particulièrement de celles de Morris et d’Hergé. C’est un peu contradictoire, mais j’apprécie également le travail des Argentins José Muñoz et Alberto Breccia. Les styles de ces auteurs sont plus expressionnistes. J’essaie de mélanger ces deux influences, ce qui a créé une Ligne Claire un peu réactualisée. J’ai découvert tardivement les auteurs de la nouvelle bande dessinée, comme par exemple Blain, Blutch ou Sfar. Lorsque je les ai lues, mon style graphique était déjà en place. J’ai également découvert tardivement, lors d’une exposition à Angoulême, le travail d’Yves Chaland. Ce fut une claque ! J’ai regretté, à l’époque, d’avoir considéré longtemps le travail de cet auteur comme une sorte de « BD à la papa ».

(c) Brüno

Vous poussez la stylisation à l’extrême en étant minimaliste…

Oui. C’est ce que j’apprécie chez Hergé et Morris. Ils avaient le souci de faire passer la fluidité et la narration avant l’esbroufe graphique ! Je ne suis pas contre des effets de style et l’esbroufe, mais il faut qu’elle soit nécessaire au récit. Sinon, cela ne sert à rien !
Je ne m’estime pas être un bon dessinateur. Je fais donc en sorte de transformer mes faiblesses en une force ! Je renforce donc l’aspect synthétique et hyper-fluide de mon dessin.

Ce qui est un atout, selon le type de récit que vous illustrez. Par exemple, votre style apporte un décalage charmant à Biotope. Les ambiances seraient différentes si ce récit avait été dessiné par un autre.

Oui. Cela aurait sans doute été un peu plus sec, trop premier degré, même si Appollo écrit son scénario en pensant à mes capacités graphiques. Mon dessin caricatural amène un décalage, une dérision.

Extrait de "Commando Colonial" T2
(c) Appollo, Brüno & Dargaud.

Pourriez-vous nous parler de Commando Colonial, ou vous évoquez la Seconde Guerre mondiale dans les colonies ?

Chaque album constituera une histoire complète. Les personnages de Commando Colonial seront récurrents. Appollo m’a proposé l’idée de cette série. À vrai dire, notre collaboration s’était tellement bien déroulée sur Biotope, que s’il m’avait proposé un péplum ou un western, j’aurais été tout aussi enthousiaste. Il avait envie de réaliser une série d’aventure qui serait un mélange entre les influences des séries que nous lisions enfants, à savoir Gil Jourdan et Tif & Tondu, et un romantisme un peu désabusé. … Comme celle qui est présente dans l’œuvre d’Hugo Pratt. Nous désirions réactualiser ce type de classique franco-belge.

Intervenez-vous dans le scénario ?

Non. J’ai une totale confiance en mon scénariste. Appollo n’est pas directif, et je peux m’approprier la mise en scène.

Quels sont vos projets ?
Terminer le deuxième tome de Junk (scénario de Nicolas Pothier), qui paraîtra chez Treize Étrange. Sinon, je travaille avec Appollo sur un collectif consacré au rock, qui paraîtra chez Flammarion à la rentrée. Nous signerons une histoire sur ACDC. Pascal Jousselin et moi-même aimerions réaliser une histoire noire sur le Bee Boop. Ce récit se déroulerait aux USA durant les années 1950.

(par Nicolas Anspach)

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Lire les chroniques de :
- Commando Colonial T1
- Biotope T1 et T2
- Nemo T4

Lire un extrait du Tome 1 de Commando Colonial
Lire un extrait du Tome 2 de Commando Colonial

Lien vers le blog de Brüno

Photo : (c) Nicolas Anspach

 
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1 Message :
  • Brüno est un des meilleurs styliste, dessinateur, metteur en scene actuel dans le paysage des petits miquets et des artistes garphiques.
    Pour s’en rendre compte il faut autant parcourir les pages de INNER CITY BLUES que le magnifique COLD TRAIN chez 13étrange.

    Tout est à prendre chez lui et je ne saurai que conseiller la lecture ultra jouissive de "MICHEL SWING coureur automobile", le projet oulipio-gratonnesque qu’il a conçu au fil de l’eau avec P. Jousselin. Grand.

    Sans compter feu-Voltige & Ratatouille, ... bref, je suis fan et ça fait du bien de le dire.

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