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Bruxelles, Capitale de la Journée mondiale des Schtroumpfs

Par Damien Boone le 24 juin 2013                      Lien  
Peyo aurait eu 85 ans ce 25 juin. L'opportunité pour Columbia Pictures et Sony Pictures Animation de célébrer une « Journée mondiale des Schtroumpfs », deuxième du nom après l'édition de 2011, prétexte à la promotion du nouveau film {Les Schtroumpfs 2}, en salles le 31 juillet. L'occasion de revenir sur la façon dont l'œuvre est déclinée sur divers supports.

L’événement du week-end à Bruxelles, ce n’était pas la fête de la musique, mais bien évidemment le rassemblement samedi, à proximité de la gare centrale de Bruxelles, face à la boutique des Schtroumpfs entièrement rénovée depuis quelques jours (une boutique attenante au MOOF, haut lieu bruxellois de la BD), de centaines de personnes qu’on pouvait facilement reconnaître à leur teint bleu et à leur bonnet blanc.

Enfants et adultes, aussi enthousiastes les uns que les autres, se sont retrouvés pour une matinée très schtroumpf, entamée par l’intronisation d’ambassadeurs des petits lutins bleus. En mars, Sony lançait un concours destiné à dénicher ces représentants, à qui incomberait la tâche de représenter chacun leur pays à l’occasion de la deuxième Journée mondiale des Schtroumpfs, ce samedi 22 juin. 40 lauréats, venus d’un peu partout : Ukraine, Brésil, Afrique du Sud, Corée du Sud..., ont ainsi été officiellement désignés « ambassa-schtroumpfs » le temps d’une journée.

Bruxelles, Capitale de la Journée mondiale des Schtroumpfs
Quelques ambassa-Schtroumpfs

La modeste cérémonie a été présidée dans une joyeuse ambiance par Véronique Culliford – la fille de Peyo – et Jordna Kerneer – producteur des films Les Schtroumpfs (The Smurfs) 1 et 2. Ces ambassa-Schtroumpfs ont en général été désignés par un vote (c’est le cas de la Belgique, qui se distingue par deux ambassadeurs, un francophone et un néerlandophone), mais d’autres modes de désignation ont joué : par exemple, l’ambassa-Schtroumpf mexicain est une personnalité de la télévision, tandis que l’ambassa-schtroumpf espagnol est le maire de Juzcar, village andalou surnommé « le village bleu » depuis que toutes ses habitations ont été repeintes couleur schtroumpf pour la promotion du premier film en 2011... Le village aurait dû retrouver ses couleurs initiales peu après, mais, en raison de l’afflux de touristes et de l’activité qu’ils ont permis de relancer depuis deux ans, il semble que la nouvelle peinture restera tant que les Schtroumpfs auront du succès !

Jordna Kerneer, la Schtroumpfette, et Véronique Culliford

Dans le même temps, de nombreuses attractions étaient organisées partout dans le monde : en Australie, Surfers Paradise a été rebaptisé Smurfers Paradise ; le quartier Cova da Moura, à Lisbonne, a été repeint en bleu ; le pont Ha’Penny de Dublin a été recouvert de fleurs bleues, tout comme le Gorky Park à Moscou ; des Schtroumpfs à taille humaine se sont rendus dans des orphelinats en Afrique du Sud, tandis que d’autres défilaient à Buenos Aires, Rio, ou chantaient à Londres avec le groupe Right Said Fred le titre « I’m too Sexy » transformé en « I’m too Smurfy »...

L’affiche de Schtroumpfs 2, en salles le 31 juillet 2013

Peut-être ces festivités concomitantes permettront-elles de battre le record de la précédente édition : le 22 juin 2011, le Guinness des records certifiait que la Journée Mondiale des Schtroumpfs avait permis le rassemblement du plus grand nombre de personnes déguisées en Schtroumpfs en 24 heures.

Les ambassa-schtroumpfs sont ensuite vite partis vers Paris à 9h30 par un Thalys lui aussi complètement reschtroumpfé à l’effigie des personnages de Peyo. Comme on peut le deviner en voyant l’affiche du film, Paris est le lieu-clé des nouvelles aventures des Schtroumpfs. Un flash-mob s’est donc déroulé au pied de la tour Eiffel à midi, sur l’air de « Ooh la la », chanson-phare de la bande originale du film, chantée par Britney Spears.

Le départ des ambassa-Schtroumpfs a ensuite permis aux nombreux admirateurs et passants de profiter à plein des activités proposées dans une ambiance de fancy-fair, en dégustant la délicieuse barbe à papa bleue et les bonbons-schtroumpfs Haribo généreusement offerts à tous, de même que quelques stickers pour ceux qui souhaiteraient entamer le nouvel album d’autocollants.

À la grande joie des enfants, on pouvait s’essayer aux derniers jeux vidéo consacrés aux bonshommes bleus, se faire maquiller le visage, écouter la fanfare récitant le fameux air «  la la la schtroumpf la la... » qui vous reste en tête pour le reste du week-end, ou tenter de rivaliser avec le Schtroumpf costaud en escaladant un château gonflable ou en montrant sa force au High Striker, tandis que des mascottes de la Schtroumpfette, du Grand Schtroumpf et d’un Schtroumpf « normal » se prêtaient volontiers au jeu des photos, pour le plaisir des adultes aussi.

Quatre enfants qui ont prêté leur voix à des personnages du film, pour la version néerlandaise.

On aura donc compris que ces festivités donnent le coup d’envoi d’une grande opération de promotion du nouveau film, «  les Schtroumpfs 2, attention les Canailles !  », qualifié comme son prédécesseur de « superproduction américaine ». Gargamel, qui a encore promis que sa vengeance serait « terrible » après son échec new-yorkais, crée des lutins (ce qui rappelle un vieux stratagème), les « canailles » Vexy et Hackus, qui parviennent à s’attirer la sympathie de la Schtroumpfette. Mais il s’agit d’un piège : la Schtroumpfette se retrouve dans le monde des humains et met toute la communauté Schtroumpf en danger.

Les Schtroumpfs, une machine commerciale

Central Park, les Champs-Élysées, Britney Spears, un grand étalage de produits dérivés... À première vue, on est loin de « l’univers merveilleux de Peyo », et bien des dents doivent grincer à l’évocation de ces noms.

Si l’on y ajoute le physique revisité des personnages, l’apparition du Schtroumpf Téméraire dans le premier film et des « canailles » ici, il y a de quoi être décontenancé. Pour les européens, qui connaissent avant tout les Schtroumpfs via la bande dessinée, les repères « historiques » sont quelque peu brouillés. De même, Didier Pasamonik avait à juste titre souligné que l’encyclopédie des Schtroumpfs, traduction d’une édition américaine, publiée à l’automne 2011, donnait le sentiment d’un grand décalage sur une même œuvre selon qu’elle est lue dans un univers culturel ou un autre.

En dépit des modifications apportées à l’œuvre originelle selon les supports sur lesquels elle se décline, le succès ne s’est jamais démenti. Annemie Verschueren, directrice de la communication de Sony Pictures en Belgique, évoquait ainsi samedi sa surprise face à cette réussite : « Le succès du premier film a été beaucoup plus important que ce qu’on aurait cru ou qu’on aurait pu l’imaginer. Allez, les Schtroumpfs, c’est notre culture, c’est notre patrimoine local disons, et on se demande si les gens vont y adhérer dans des territoires exotiques, en Afrique du Sud, ou en Amérique latine. Ça a été accepté par un public universel, et ça nous a tous fort étonnés, ça nous rend fiers bien sûr, mais ça nous a étonnés qu’ils soient à ce point des personnages universels ».

Il est assez difficile d’isoler l’apport de l’éventuelle qualité intrinsèque des Schtroumpfs par rapport à la machinerie commerciale dont ils bénéficient, mais force est de constater qu’ils semblent avoir les moyens de créer leur propre public, par exemple en organisant en amont de la sortie du film un événement mondial largement relayé médiatiquement, qui crée une dynamique qui s’auto-alimente sans cesse et vient se coupler aux multiples produits dérivés dont on a pu voir un aperçu samedi (enfants portant des T. Shirts bleus, perruques de Schtroumpfette, images autocollantes, serviettes de plage, peluches, porte-clés...).

Au Smurf store de Bruxelles

En somme, le merchandising qui accompagne les Schtroumpfs depuis deux ans semble bien plus pensé et rationalisé que celui qui avait suivi le phénoménal succès des Schtroumpfs dans les années 1980 suite à leur adaptation en dessins animés par les studios américains Hanna-Barbera.

1980 et 2013, un monde de différences

Grossièrement, on peut dire que le succès commercial des Schtroumpfs dans les années 1980 a été mal préparé, tandis que le merchandising d’aujourd’hui est assuré par des professionnels du commerce, de la publicité et de la communication qui réalisent des études sur des publics ciblés. Autrement dit, le développement des produits dérivés est fonction des attentes supposées du public : «  il faut suivre, et on se rend compte que l’univers des Schtroumpfs est un univers qui ne concerne pas que les enfants, et qu’en effet les adultes y adhèrent aussi. Et il faut se réinventer non-stop, que ce soit dans le choix des scénarios dans les bandes dessinées ou dans le développement du merchandising autour, les cadeaux, le vestimentaire ou les films. Évidemment, ce qui était sur le marché il y a 20 ans n’est pas comparable à ce qu’on a maintenant  » analyse Annemie Verschueren.

Rappelons que, au début des années 1980, Peyo travaillait encore à son domicile bruxellois avec ses quelques collaborateurs ou apprentis, et eux seuls assuraient la création artistique bien sûr, mais également commerciale des personnages : lorsqu’une enseigne souhaitait, par exemple, un dessin pour réaliser un maillot de bain, Peyo ou l’un des collaborateurs effectuait lui-même le dessin. Face au succès grandissant des Schtroumpfs et à l’afflux des demandes de produits dérivés, Peyo a peu à peu fait confiance aux entreprises qui disaient avoir un dessinateur qui pourrait s’en charger, y voyant l’occasion de se délester d’une partie de sa charge de travail.

Peyo, rendu immortel grâce aux Schtroumpfs
Photo : DR

Voyant des produits dérivés farfelus se multiplier au milieu des années 1980, hierry Culliford, le fils de Peyo, décide d’engager et de former des dessinateurs dans un véritable studio de dessin : ainsi, des dessinateurs formés au trait graphique de Peyo aideraient l’auteur pour la bande dessinée, et aussi et surtout pour le merchandising.

Parallèlement, sa fille, Véronique Culliford s’implique toujours plus pour assister son père dans sa comptabilité et ses activités de secrétariat (Peyo faisait encore ses factures lui-même), au point de quitter son emploi pour s’impliquer à temps plein au studio, devenu une véritable petite entreprise basée en banlieue bruxelloise, à Genval, avec comptable et juristes, qui subsiste encore aujourd’hui.

C’est le succès commercial des Schtroumpfs dans les années 1980 – et la dégradation de l’état de santé de Peyo qui l’a accompagné – qui explique le creux éditorial de la série durant la même période, avec cinq albums qui ne sont que des compilations d’adaptations des dessins animés (Les Schtroumpfs olympiques en 1983, le Bébé Schtroumpf en 1984, les P’tits Schtroumpfs en 1988, ou de récits complets réalisés pour le Magazine Schtroumpf créé à la fin des années 1980 : L’Aéroschtroumpf en 1990 et L’Étrange Réveil du Schtroumpf Paresseux en 1991).

Ce n’est qu’en 1992 que Peyo, enfin correctement assisté dans les divers domaines qui ont accompagné le triomphe de ses personnages, a pu se concentrer sur un scénario original des Schtroumpfs (tandis que Johan et Pirlouit étaient totalement délaissés), avec un album (Le Schtroumpf Financier) dont il a juste eu le temps d’assurer la promotion avant son décès en décembre 1992.

De la bande dessinée au dessin animé : des modifications majeures progressivement intégrées au support initial

Pour en revenir au plan purement artistique, la sortie des films en 2011 puis ce 31 juillet 2013 pose la question de savoir de quelle manière il pourrait y avoir des échanges entre le support cinématographique et le support littéraire, comme le cas s’était présenté lors de l’adaptation en dessin animé.

En raison d’un contexte culturel d’accueil différent, certains aspects des Schtroumpfs avaient été revisités voire franchement « américanisés », les Américains, dans un contexte de Guerre froide, suspectant les personnages de Peyo de véhiculer une idéologie communisante.  [1] : « Je ne veux surtout pas ’américaniser’ mes Schtroumpfs, comme on me l’a souvent demandé outre-Atlantique, disait Peyo. Je réponds alors à mes interlocuteurs : ’Non, les Schtroumpfs ne mâchent pas de chewing-gum, ils ne boivent pas de Coca-cola !’. Et quand je vois leurs mines s’allonger, j’ajoute aussitôt : ’mais ils ne boivent pas de vodka non plus !’ Alors ça les tranquillise... » [2] Cela n’a pas empêché de voir régulièrement les Schtroumpfs manger des hot-dogs dans le dessin animé...

Ces contraintes « culturelles » expliquent par exemple la transformation des schtroumpfs noirs en schtroumpfs violets, ou des Schlips (dans le Cosmoschtroumpf) en vert, pour éviter toute connotation raciste dans un pays où les émeutes raciales étaient encore répandues, modifications d’ailleurs reprises par la maison d’éditions américaine Papercutz en 2010 [3].

De même, le rôle majeur de la Schtroumpfette en dessin animé ne correspond pas à ce qu’elle était dans le même temps en bande dessinée, où sa présence était très épisodique et assez insignifiante : c’est là encore le contexte féministe des années 1980 aux États-Unis qui incite les producteurs de Hanna-Barbera à la mettre en avant. Plusieurs de ces modifications ont ensuite été reprises en bande dessinée, ce qui illustre les allers et retours possibles entre les supports. Ainsi, la Schtroumpfette, à partir des années 1990, apparaît dans la totalité des bandes dessinées, occupant même parfois un rôle majeur (Docteur Schtroumpf en 1996 et Le Schtroumpf Reporter en 2003), voire le premier d’entre eux (La Grande Schtroumpfette en 2010), la Schtroumpfette prenant la direction du village en l’absence du Grand Schtroumpf, ce qui est aussi une manière de davantage coller à « l’air du temps », pour un personnage à jamais marqué par la vision franchement misogyne qu’en a faite l’auteur lors de sa création.

D’autres types de contraintes ont également présidé à l’adaptation animée : le diffuseur, la chaîne NBC, considérait, du fait de la ressemblance entre les personnages, que les enfants s’y perdraient et qu’il fallait dès lors pouvoir les différencier pour mieux les identifier.

Le Schtroumpf Bricoleur en dessin animé
(C) Peyo et Hanna-barbera

Ainsi, alors que les premières bandes dessinées (avant 1981 et le début de la production des dessins animés) montrent des personnages rigoureusement identiques (hormis le Schtroumpf Moralisateur -portant des lunettes- et le Grand Schtroumpf), les Schtroumpfs occupant une fonction que l’on pourrait qualifier de « sociale » -faisant référence à une profession déterminée- sont désormais porteurs d’une marque, presque caricaturale, liée à cette fonction, éléments qui sont repris et même renforcés ultérieurement dans la bande dessinée. Pour exemples, le Schtroumpf Paysan est progressivement doté d’un outil de jardinage, coiffé d’un chapeau de paille, chaussé de sabots, vêtu d’une salopette ; le Schtroumpf Bricoleur porte une salopette blanche dans le dessin animé (qui se transforme en bleu de travail dans la bande dessinée) et porte un crayon derrière l’oreille.

Même au niveau des scénarios des dessins animés, se trouvent les esquisses de certains scénarios ou personnages ultérieurs que l’on retrouvera en album après le décès de Peyo : ainsi, Docteur Schtroumpf (1996), Le Schtroumpf Sauvage (1998) et le Schtroumpf Reporter (2003) sont respectivement inspirés de Calling Dr. Smurf (1986, saison 6, épisode 22), Smurf On The Wild Side (1987, saison 7, épisodes 1 à 4) et All The News That’s Fit To Smurf (1988, saison 7, épisode 65).

Une œuvre dénaturée ?

Le passage d’un support à l’autre ne s’est pas fait sans contrainte, ni résistance. Outre les malentendus liés à des rythmes de production différents entre le modeste studio de Peyo et la puissance des studios américains, entraînant quelques brouilles (Peyo se rendait compte que les calques qu’il renvoyait aux États-Unis pour apporter des corrections n’étaient pas pris en compte, et que le temps que ses modifications arrivent, les épisodes litigieux étaient finalisés puis diffusés), c’est sur l’univers des Schtroumpfs, supposé immuable, qu’il y a eu quelques crispations. NBC a toujours cherché à apporter des nouveautés chez les Schtroumpfs lors de chaque nouvelle saison. Yvan Delporte, bilingue et interlocuteur des différentes parties, veille tant bien que mal à garder l’esprit originel de la série.

Progressivement, de nouveaux personnages sont introduits : Johan et Pirlouit apparaissent en tant que personnages secondaires (c’est à dire l’inverse de leur statut en bande dessinée) ; le Bébé Schtroumpf naît en 1984 sur une idée des studios américains ; suivent les P’tits Schtroumpfs, une Mémé Schtroumpf, un vieux vieux Schtroumpf, le chien Puppy, Sasette, Grossbouf...

Puppy et le Bébé Schtroumpf
(C) Peyo et Le Lombard

Lors de la dernière saison, Hugues Dayez, dans la biographie qu’il a consacrée à Peyo, souligne que les Schtroumpfs y « croisent un mauvais Génie, un charmeur de serpent et un dinosaure, le tout sur un tapis volant ! Delporte fulmine : “ça, c’était abominable ! Ce fut imposé par NBC, parce qu’une imbécile, nouvelle responsable des programmes, estimait que le public était certainement lassé de voir ce village avec ses éternels champignons et qu’il fallait qu’on envoie les Schtroumpfs aux quatre coins du monde. [4] C’était une dénaturation complète de leur univers, et Peyo, qui avait pourtant le pouvoir de dire “non” mais qui était fatigué, a laissé passer ce truc qui a cassé la magie des Schtroumpfs” [5] ».

Au final, s’était révélé un nouveau public qui ne connaissait les Schtroumpfs que via le dessin animé des studios Hanna-Barbera et le merchandising qui
en découlait, ce qui avait notamment pour conséquence pratique de modifier la référence graphique imposée au studio bruxellois : il ne s’agissait plus de copier le trait originel de Peyo, mais il fallait trouver « une sorte de compromis avec le look, nettement moins heureux, des Schtroumpfs “made by
Hanna-Barbera”. C’était un complet renversement des valeurs ! [6] » regrette Daniel Desorgher, assistant de Peyo à cette époque.

Cette nouvelle norme dominante tend donc également à s’imposer au cœur même du format d’origine, la bande dessinée, montrant que les impératifs commerciaux et la nouvelle méthode de travail ont supplanté en retour l’esprit initial de la série. La multiplication de personnages inventés par Hanna-Barbera a fait entrer dans l’univers des Schtroumpfs un ensemble d’éléments dont la création n’émane pas de Peyo, si bien qu’il faudrait distinguer, tant les différences sont parfois notables, bien que s’alimentant mutuellement au sein de la série des Schtroumpfs, ce qui relève de la bande dessinée de ce qui relève du dessin animé.

Extrait du premier film "Live" des Schtroumpfs
(C) Peyo et Columbia Pictures

Quels liens entre la bande dessinée et le film ?

Qu’en sera-t-il de ce processus au niveau cinématographique ? Faut-il s’attendre à ce que les nouveaux personnages soient ensuite introduits en bande dessinée ? Ou que le graphisme adapté dans les films soit adopté en dessin ? Si la première réception américaine des Schtroumpfs avait produit des effets de façon rétroactive sur la production de la bande dessinée en Belgique, pourquoi en serait-il autrement ?

Selon Annemie Verschueren, « il est possible que le succès de Vexy, la petite jeune fille, et Hackus , le petit troll, soit tel que, en effet, les propriétaires des Schtroumpfs décident éventuellement de développer un nouvel univers autour d’eux ; ça rend les Schtroumpfs plus actuels et plus modernes aussi, avec des personnages un peu style 2013 ».

Cependant, à la différence de l’époque de l’adaptation animée, les ayants-droits des Schtroumpfs sont aujourd’hui parfaitement préparés à la gestion du merchandising et au développement des personnages sur des supports différents, si bien que l’éventualité de les voir s’alimenter entre eux est assez peu probable. Les méthodes de production en Belgique se sont alignées sur le modèle américain, et le studio bruxellois n’est plus en position de courir après une machinerie plus puissante qu’elle, qui a le pouvoir, même à contre-cœur, d’imposer ses normes, tant son audience est élevée et lui permet de s’imposer comme le modèle dominant.

Depuis l’été 2011, deux albums des Schtroumpfs ont paru, n’introduisant aucune différence notable qui indiquerait la prise en compte d’éléments du film. Les supports paraissent aujourd’hui relativement indépendants, et notamment parce que le matériau d’origine n’est pas le même : d’un côté, le dessin ; de l’autre, l’industrie du cinéma, ce qui n’implique pas de va-et-vient et d’alignements permanents entre les États-Unis et la Belgique pour valider un modèle graphique particulier. Le studio bruxellois s’occupe du dessin, tandis que le côté cinématographique est pris en charge par Sony Pictures et Columbia.

Quoi qu’il advienne, le cas de l’adaptation animée des Schtroumpfs invite à se détacher des visions sur la magie supposée d’une œuvre et le caractère prétendument immuable que revendiquent ceux qui déplorent sa « dénaturation ». Toute œuvre à succès est amenée à connaître des réappropriations et des adaptations qui font qu’elle échappe en partie à ses auteurs et à « son » univers initial, qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse. Tant que la réussite commerciale des Schtroumpfs perdurera, les personnages seront certainement l’objet de nombreuses sollicitations qui poseront les mêmes questions et enclencheront peut-être les même processus.

Et, à voir le sourire béat et l’air émerveillé des enfants présents samedi pour la journée mondiale des Schtroumpfs, outre qu’ils ne semblent pas très sensibles à ces évolutions, il y a fort à parier que l’envoûtement commercial des Schtroumpfs perdure longtemps.

(par Damien Boone)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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[1Les réceptions politiques des Schtroumpfs sont toujours en vogue

[2Entretien entre Peyo et Hugues Dayez. Dayez Hugues, Le duel Tintin/ Spirou, Les éditions contemporaines, Paris, 1997 p. 185.

[3Avec une lecture beaucoup plus "libre" de l’œuvre de Peyo dans la mesure où, par exemple, la chronologie de parution des épisodes n’est pas respectée. De plus, l’épisode The Magic Flute, adaptation de La Flûte à six schtroumpfs, est considéré comme faisant partie de la série les Schtroumpfs.

[4Dans la dernière saison se trouvent notamment les épisodes suivants : Les Schtroumpfs en Irlande (Shamrock Smurfs), Les Schtroumpfs au Japon (Karate Clumsy), Les Schtroumpfs sur l’Olympe (The Smurf Odyssey), Les schtroumpfs en Écosse (Phantom Bagpiper), Les schtroumpfs à Bagdad (The Clumsy Genie), Les Schtroumpfs dans la forêt noire (Scary Smurfs)...

[5Dayez Hugues, Peyo l’enchanteur, op. cit., p. 168

[6Dayez Hugues, Peyo l’enchanteur, op. cit., p. 165

Les Schtroumpfs
 
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