Que les jeunes pousses en prennent de la graine ! Voici l’exemple d’un duo d’artistes, un scénariste à succès : Jean-Michel Charlier, un dessinateur comptabilisant littéralement un grand nombre d’heures de vol qui rament depuis près de quinze ans et dont la réputation est solidement établie, qui n’ont qu’une idée en tête en ce début des années 1960 : produire, produire, produire...
Dans le romantisme nostalgique d’un "âge d’or" de la bande dessinée, on oublie parfois le rythme de galérien qui était celui des auteurs de BD. Ils ont la quarantaine, ils ont bouffé de la vache enragée dans leur jeunesse et là, ils sont dans une phase ascensionnelle qui fera d’eux les rois de la BD.
Mais en attendant, on s’attelle à ses rames : vingt planches par mois pour un Uderzo ou pour un Hubinon (qui cumule Buck Danny avec Le Démon des Caraïbes pour Pilote), sans doute quatre fois plus pour un Jean-Michel Charlier. Pour une simple raison : le métier payait mal. Il fallait bien produire pour gagner sa vie.
Le simple examen de l’introduction savante que Patrick Gaumer nous livre dans ce huitième tome des aventures de Buck Danny donne le tournis : Charlier ne se contente pas d’être la plume de l’aviateur américain et de leurs homologues français Tanguy & Laverdure dessinés par Uderzo. Il est aussi rédacteur en chef de Pilote aux côtés de Goscinny, appelé au secours par un Georges Dargaud aux abois, lequel avait pensé un temps faire un Salut les copains pré-ado. Mais les ados, pas cons ont préféré l’original...
Le duo de scénaristes (complété par un "directeur artistique", Albert Uderzo, qui n’occupera jamais la fonction) fait un virage à 180° vers la BD. Et bien évidemment, ces serial-writers sont au clavier.
Du côté Charlier, cela donne Barbe Rouge, Jacques Le Gall, Allo ! D.M.A, Blueberry bientôt, des articles en pagaille pour Pilote, tandis que du côté de Spirou, il assure Buck Danny et Marc Dacier. Cela suffit ? Que nenni, il travaille aussi pour Record, pour Bonnes Soirées où scénarise des romans-photos...
Plein emploi, "Trente Glorieuses", me direz-vous. Surtout une aptitude à travailler comme une brute pour s’imposer avec une hargne bien placée : dans le boulot.
On comprend mieux l’essence de ses scénarios qui sont des récits de batailles, de pilotage, de courage, entrecoupés de moments de déconnade. Dans ce volume qui regroupe quatre épisodes : Le retour des tigres volants, les Tigres volants à la rescousse, Tigres volants contre pirates et Opération Mercury, Jean-Michel Charlier envisage avec prescience la fin de la Guerre du Viet-Nam, tandis que la Némésis sexy de l’Américain, Lady X, continue à lui mettre des bâtons dans les roues.
Buck Danny est à l’image de cette génération exceptionnelle : menton volontaire et carré, idées simples voire simplistes, car il y a un monde à reconstruire. On est bien loin des atermoiements velléitaires qu’on lit parfois dans nos forums de nos jours...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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