Cabu a été assassiné, on s’en souvient, en janvier 2015 lors de l’attentat djihadiste contre les journalistes de Charlie Hebdo avec Wolinski, Tignous, Charb, Honoré et les autres. C’est une figure de la caricature française, pilier de l’équipe de Charlie Hebdo, sans doute le plus tendre de cette bande de trublions connus pour leur transgression, leur anticonformisme…
Mais ici nous n’en sommes pas encore là. Il s’agit de dessins datant de 1967. Auparavant Cabu travaillait pour Hara-Kiri où il publie ses premiers dessins depuis le N°3 en 1960. Mais le journal étant interdit en 1961 pour « outrage aux bonnes mœurs », Cabu est alors engagé par René Goscinny dans Pilote, où il dessine Le Grand Duduche et La Potachologie. Il fait des allers-retours avec Hara Kiri mais ce dernier est à nouveau interdit en 1966, dépose le bilan, et ce n’est qu’en 1969 que paraîtra Hara Kiri Hebdo, futur Charlie Hebdo auquel Cabu restera attaché jusqu’à la fin.
Cabu, dessinateur de presse
Entretemps, Cabu fait du dessin de presse, pour Le Figaro où il couvre le procès Ben Barka ou pour L’Enragé de Siné pendant Mai 1968. Ces dessins-ci ont été faits pour un journal gaulliste qui disparaîtra peu de temps après leur publication : Le Nouveau Candide.
Le tempo croquis de son trait, son regard incisif, son émotion, son empathie sont déjà là, tout entiers. Il avait été influencé par Dubout à ses débuts, influence que l’on retrouve dans ses plans larges avec une multitude de personnages, mais ici, c’est peut-être le trait arraché à la plume de Saul Steinberg, alors la star du dessin américain, qui influence ces compositions sensibles, émouvantes qui expriment pour la première fois de façon remarquable ce drame de l’histoire de France.
C’est à chaque fois une leçon de dessin. C’est pris comme sur le vif, alors qu’il y a peu de photos de l’événement. Il consacre seize grandes planches au sujet, il est complètement bouleversé.
Une suite de dessins poignants
Il faut dire que le livre de Claude Lévy et Paul Tillard a été un choc pour les Français qui commencent à découvrir la réalité de la Shoah. Ce livre, pour la première fois, désigne des responsables français du génocide des Juifs. Préfacé par Joseph Kessel, il imprime l’expression « Rafle du Vel d’Hiv’ » dans la mémoire collective.
Le dispositif scénique du Mémorial est remarquable. Dans les vitrines, les dessins de Cabu, émouvants, en raison d’un éclairage tamisé, quasiment intimes. Au mur, des agrandissements où les dessins surgissent dans leur monumentalité. On constate alors la puissance du dessin de Cabu, son sens de la composition, l’acuité de son observation. Chaque détail étreint le cœur.
L’historien du CNRS Laurent Joly, qui a beaucoup travaillé sur le sujet -on connaît les rectifications qu’il a apportées aux allégations vichystes d’Éric Zemmour- y a ajouté une mise en contexte tout à fait remarquable. Chaque anecdote est contextualisée, rétablie avec sa perspective historique. C’est clair, pertinent, pas du tout pesant. Cabu en prof d’histoire, on en redemande.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Cabu, dessins de la rafle du Vel d’Hiv 1967 – réunis par Véronique Cabut, avec des commentaires de l’historien Laurent Joly – Ed. Tallandier
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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