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Cabu au Mémorial de la Shoah de Paris

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 1er juillet 2022                      Lien  
C’étaient des dessins un peu oubliés. Au printemps 1967, le magazine « Le Nouveau Candide » publiait quelques bonnes feuilles d’un livre-événement qui paraît à ce moment-là chez Robert Laffont : « La Grande Rafle du Vel d’Hiv ‘, 16 juillet 1942 » de Claude Lévy et Paul Tillard. Il retrace la rafle et l’enfermement dans le Vélodrome d’Hiver de Drancy quelque 8000 personnes parmi les 13000 juifs arrêtés par la police française à l’instigation des nazis. Drancy, c’est l’antichambre des camps de la mort, on en révèle pour la première fois l’histoire. Pour illustrer ces bonnes feuilles, le magazine fait appel à un jeune dessinateur de 29 ans qui s’est fait connaître dans « Pilote » : Jean Cabut, alias Cabu. Ce sont ces dessins, mis en perspective par l’historien Laurent Joly, que l’on retrouve aujourd’hui au Mémorial de la Shoah de Paris et dans un livre paru chez Tallandier.

Cabu a été assassiné, on s’en souvient, en janvier 2015 lors de l’attentat djihadiste contre les journalistes de Charlie Hebdo avec Wolinski, Tignous, Charb, Honoré et les autres. C’est une figure de la caricature française, pilier de l’équipe de Charlie Hebdo, sans doute le plus tendre de cette bande de trublions connus pour leur transgression, leur anticonformisme…

Mais ici nous n’en sommes pas encore là. Il s’agit de dessins datant de 1967. Auparavant Cabu travaillait pour Hara-Kiri où il publie ses premiers dessins depuis le N°3 en 1960. Mais le journal étant interdit en 1961 pour « outrage aux bonnes mœurs », Cabu est alors engagé par René Goscinny dans Pilote, où il dessine Le Grand Duduche et La Potachologie. Il fait des allers-retours avec Hara Kiri mais ce dernier est à nouveau interdit en 1966, dépose le bilan, et ce n’est qu’en 1969 que paraîtra Hara Kiri Hebdo, futur Charlie Hebdo auquel Cabu restera attaché jusqu’à la fin.

Cabu, dessinateur de presse

Entretemps, Cabu fait du dessin de presse, pour Le Figaro où il couvre le procès Ben Barka ou pour L’Enragé de Siné pendant Mai 1968. Ces dessins-ci ont été faits pour un journal gaulliste qui disparaîtra peu de temps après leur publication : Le Nouveau Candide.

Cabu au Mémorial de la Shoah de Paris
"Le Nouveau Candide" où ces dessins ont paru pour la première fois

Le tempo croquis de son trait, son regard incisif, son émotion, son empathie sont déjà là, tout entiers. Il avait été influencé par Dubout à ses débuts, influence que l’on retrouve dans ses plans larges avec une multitude de personnages, mais ici, c’est peut-être le trait arraché à la plume de Saul Steinberg, alors la star du dessin américain, qui influence ces compositions sensibles, émouvantes qui expriment pour la première fois de façon remarquable ce drame de l’histoire de France.

C’est à chaque fois une leçon de dessin. C’est pris comme sur le vif, alors qu’il y a peu de photos de l’événement. Il consacre seize grandes planches au sujet, il est complètement bouleversé.

Un remarquable dispositif scénographique

Une suite de dessins poignants

Il faut dire que le livre de Claude Lévy et Paul Tillard a été un choc pour les Français qui commencent à découvrir la réalité de la Shoah. Ce livre, pour la première fois, désigne des responsables français du génocide des Juifs. Préfacé par Joseph Kessel, il imprime l’expression « Rafle du Vel d’Hiv’ » dans la mémoire collective.

Le dispositif scénique du Mémorial est remarquable. Dans les vitrines, les dessins de Cabu, émouvants, en raison d’un éclairage tamisé, quasiment intimes. Au mur, des agrandissements où les dessins surgissent dans leur monumentalité. On constate alors la puissance du dessin de Cabu, son sens de la composition, l’acuité de son observation. Chaque détail étreint le cœur.

"L’Enfant qui court" une remarquable qualité graphique révélée par les agrandissements.

L’historien du CNRS Laurent Joly, qui a beaucoup travaillé sur le sujet -on connaît les rectifications qu’il a apportées aux allégations vichystes d’Éric Zemmour- y a ajouté une mise en contexte tout à fait remarquable. Chaque anecdote est contextualisée, rétablie avec sa perspective historique. C’est clair, pertinent, pas du tout pesant. Cabu en prof d’histoire, on en redemande.

Véronique Cabut et l’historien Laurent Joly

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791021053984

Cabu, dessins de la rafle du Vel d’Hiv 1967 – réunis par Véronique Cabut, avec des commentaires de l’historien Laurent Joly – Ed. Tallandier

Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Tallandier ✏️ Cabu à partir de 13 ans Shoah Histoire Charlie Hebdo
 
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1 Message :
  • Cabu au Mémorial de la Shoah de Paris
    14 octobre 2022 21:58, par Luc Parent

    J’ai vu des dizaines de Mémoriaux de la Shoah, ça me semblait bien suffisant. Nous en avons un à Montréal. Mais pour Cabu, j’ai vu celui de Paris. J’aime ce dessinateur depuis plus de 50 ans. J’ai pleuré sa mort ; je l’aimais tout autant que Duduche aimait la fille du proviseur. Ses dessins à la Shoah sont sublimes. Tant de visages, tous différents, chacun ayant une histoire, une douleur propre et surtout, une âme. Merci à Véronique et à ceux qui ont eu cette bonne idée.

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