Interviews

Camille Benyamina & Eddy Simon : "Violette Nozière était comme une comédienne devant un public."

Par Sarah COLE le 14 février 2014                      Lien  
À peine sorti, il est déjà en rupture de stock... L'album "Violette Nozière-Vilaine Chérie" crée la surprise chez Casterman. Camille Benyamina et Eddy Simon enchaînent les interviews, heureux d'avoir fait mouche. Après Angoulême, ils sont passés par Bruxelles et le Musée des instruments de musique pour l'enregistrement de l'émission Cinquante Degrés Nord, l'occasion de les rencontrer nos nouvelles stars entre deux séances de maquillage....

Pourquoi cet attrait pour les grandes affaires criminelles et plus particulièrement pour Violette Nozière ?

Eddy Simon : J’avais fait un bouquin il y a quelques années sur les affaires criminelles. Ce qu’il y a de bien dans les affaires criminelles, c’est que c’est des gens qui ont souvent des parcours un peu hors norme, avec des personnalités très particulières, dans des contextes qui sont toujours très intéressants. Et ce qui a retenu mon attention sur Violette Nozière, c’est que j’avais l’impression que tout n’était pas dit.

On a beaucoup écrit sur elle, mais il y a encore beaucoup de choses à faire et à dire sur cette affaire qui, en plus, me paraissait très actuelle. Quand on prend le fait divers tel qu’il est ,ce n’est ni plus ni moins qu’une jeune fille qui vole ses parents, qui se prostitue, qui est prête à assassiner ses parents pour avoir de l’argent et s’acheter des fringues, aller dans des bars avec ses amies, et puis vivre avec son prince charmant.

Quand j’ai vu ce qui avait été fait sur Violette, je trouvais qu’il manquait ce côté-là de sa personnalité, mais surtout qu’il y avait beaucoup de traitements, soit à charge, soit à décharge, jamais très étayés. Ce qui m’intéresse, moi, c’est cette fille qui vit dans sa famille et côtoie ses amis, à qui elle ment à longueur de journée, vole de l’argent, sans que personne ne l’arrête. Tout le monde la laisse faire alors que quelque part ils savent...

Camille Benyamina & Eddy Simon : "Violette Nozière était comme une comédienne devant un public."
"Violette Nozière-Vilaine Chérie" par Camille Benyamina et Eddy Simon
(c) Casterman

Pourtant y avait le film de Chabrol qui n’était ni à charge ni à décharge. On y retrouve même une certaine tendresse envers le personnage, comme dans votre bande dessinée...

ES : la différence avec Claude Chabrol c’est qu’Isabelle Huppert est assez froide, assez distante, tandis que nous notre violette est beaucoup plus expansive, ce qu’on pense vraiment qu’elle était. C’est quand même un personnage qui va au Quartier Latin, qui s’invente des vies en permanence et qui a besoin d’un peu de flamboyance. Pour moi, elle était comme une comédienne devant un public. Ce n’est pas du tout ce que raconte le film de Chabrol.

Et puis, l’autre différence, c’est qu’on retrouve chez lui cette thématique de la bourgeoisie qui aurait gangrené Violette Nozière et l’aurait poussée à commettre des choses, ce qui n’est pas du tout notre vision. D’autant que, pour moi, son éducation est aussi fautive que son entourage du Quartier latin. C’est quand même une jeune fille qui vole régulièrement ses parents, qui tente de les empoisonner trois fois, qui invente des sornettes pas possibles et, à aucun moment, sa famille ne la remet en question, ne la sanctionne. Il n’y a pas de cadre pour Violette Nozière. Elle se déscolarise elle-même. Sa famille ne s’inquiète pas qu’il n’y ait plus de bulletin scolaire qui arrive à la maison, qu’elle sorte comme elle veut et où elle veut. On la laisse totalement en roue libre et du coup elle se met à mentir, à inventer des histoires qui fonctionnent pas si mal que ça et elle dégénère au fur et à mesure. Plus elle ment, plus on la croit, finalement.

Pour nous, c’était important de donner cette vision de son entourage et sur sa façon d’évoluer au milieu de sa famille, avec ses amis et avec Jean Dabin, son amant, qui lui, à mon avis, sait pertinemment qu’elle lui ment. C’est lui, d’ailleurs qui l’appelle “vilaine chérie”, c’est dire… Mais comme elle lui donne pas mal d’argent, il y trouve un avantage...

Violette et Jean, case extraite de Violette Nozière
© Benyamina - Simon - Casterman

Comment est arrivée la collaboration avec Camille ?

Camille Benyamina : On avait travaillé sur un collectif. Eddy connaissait mon dessin et il m’a proposé ce scénario. I

ES : Le dessin de Camille, notamment ses personnages féminins, ses jeux de regards, me paraissaient vraiment idéaux pour ce type d’histoire, pour créer quelque chose de fort et de marquant, surtout avec le personnage de Violette Nozière qui est quand même connu et qui a commis un certain nombre de choses affreuses. Il fallait sortir un peu des sentiers battus et donner envie aux gens de lire cet album, avoir une vision un peu différente et un dessin qui soit marquant.

Case extraite de Violette Nozière
© Benyamina - Simon - Casterman

Ca a marché puisque l’album est actuellement en rupture de stock…

ES : Oui… Ce qui est intéressant aussi c’est qu’on est un couple garçon/fille et que nous apportons nos deux visions sur cette histoire. C’est une vraie collaboration : j’arrive avec ma vision de mec et Camille amène sa vision de femme ; du coup ça se relie, c’est complémentaire et cela donne un équilibre assez agréable.

Et en pratique, comment ça se passe la collaboration, car vous habitez deux pays différents...

ES : Je fais mon scénario, mon découpage, mes propositions, mes dialogues, etc. J’envoie ça à Camille et elle me donne son avis, comment elle voit les choses.

CB : On échange tout le temps. On se donne des avis sur le texte ou le dessin. J’envoie des groupes de planches à Eddy et j’attends les avis et on en parle. Mais auparavant, j’avais envoyé le storyboard complet.

ES : Avec Camille, on a un travail très cadré. Les étapes sont bien définies. Camille travaille sur les planches finales, et à ce moment, on a peu de chose à en dire, c’est de l’ordre du détail. Comme on a vraiment travaillé en amont, ça lui permet aussi de travailler à son rythme, puisqu’on s’est mis d’accord sur pratiquement tout. Après, les choses se font naturellement. Jusqu’au bout, on est vraiment au service de notre histoire pour qu’elle soit la meilleure possible.

Ce qui est frappant, c’est votre choix graphique, le crayon qui reste apparent...

CB : Cela fait un petit temps que je suis sur cette technique. C’est parce que c’est ce que j’aime faire pour le moment. Mais si ça se trouve, dans deux ans j’aurai envie de faire de l’aquarelle, et dans ce cas je ferai de l’aquarelle. Là, ce qui est bien avec cette technique, c’est que ça me détend...

ES : Et puis, ça colle parfaitement à l’histoire.

CB : Je n’ai pas beaucoup de comparaison, pas non plus d’influence. Je l’ai fait comme je voulais le faire. C’est une technique que j’utilisais à l’école, avec le stylo. Après, c’est le style des personnages qui change. Mais ça reste du crayon traditionnel avec mise en valeur des contrastes, puis une mise en couleurs à l’ordinateur.

ES : Oui, il y a des gens capables de faire des choses incroyables avec un crayon !

Cases extraites de Violette Nozière-Vilaine Chérie
© Benyamina - Simon - Casterman

On a l’impression de redécouvrir les vertus du dessin au crayon.

ES : Actuellement, il y a un retour à ça, au dessin et à la couleur traditionnels, un vrai retour à la matière, à l’aquarelle et un délaissement de Photoshop…

CB : Photoshop, on s’en lasse au niveau de la création. Mais on s’en lasse aussi au niveau de la lecture en fait, c’est-à-dire qu’il y a énormément d’artistes qui utilisent Photoshop et parfois, c’est limite l’effet Photoshop qu’on retrouve chez plusieurs d’entre eux. C’est un peu dommage. C’est pour ça que moi je veux conserver un aspect traditionnel. Le grain rend service à la couleur.

ES : On a l’impression qu’il y a des gens qui utilisent Photoshop très bien, qui y trouvent de l’originalité. Et puis, il y en a plein qui l’utilisent de façon normale, sans plus d’originalité que ça. Et on retrouve les mêmes couleurs, les mêmes teintes. On a l’impression de voir la même chose partout. Il faut vraiment une connaissance minimum pour savoir le maîtriser.

Quelle est votre formation ?

CB : Illustration et bande dessinée à l’école Émile Cohl à Lyon.

Est-ce que vous comptez persévérer dans la voie BD ? Ou aller plutôt vers l’illustration ?

CB : J’adore la bande dessinée, la lire et la faire. Donc j’aimerais beaucoup pouvoir en vivre à terme. Parce que pour le moment, ce n’est pas le cas.

Cela devient compliqué d’en vivre ?

ES : C’est un métier où les ventes sont de moins en moins importantes. Il y a de plus en plus d’albums qui sortent alors que le nombre de vente des albums a plutôt tendance à diminuer. Avant, on dépassait facilement le millier d’exemplaires. Maintenant, c’est 900, voire 800. Donc faut vraiment réussir des albums qui sortent de l’ordinaire pour toucher, marquer le public. Et pour les dessinateurs, c’est pareil. Il y a de plus en plus de dessinateurs qu’il y a ne serait-ce que 15 ans. Et du coup, les éditeurs en ont aussi profité…
La prolifération des albums sur les étals est meurtrière ; meurtrière pour l’édition, meurtrière pour les dessinateurs et pour les scénaristes. Surtout les premières œuvres faites par des gens qu’on a jamais revus. C’est vraiment assassin.

CB : Ce qui est fou pour nous, c’est que Casterman nous a directement fait confiance dès le début, alors qu’on avait rien fait ensemble avant. Ils nous ont vraiment soutenus, ils ont porté le projet. Et c’est vraiment agréable parce que nous sommes une découverte. Ils ont pris des risques...

Propos recueillis par Sarah Cole

(par Sarah COLE)

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