Ce livre, premier d’un diptyque, utilise parfaitement des codes que la téléréalité nous a appris à côtoyer. Il y a un lieu clos, d’abord, ensoleillé, lumineux. Il y a un groupe de personnes, ensuite, toutes différentes les unes des autres, qui vont devoir se découvrir, voire s’apprivoiser. Il y a, enfin, des épreuves physiques qui vont obliger les participants à aller au bout de leurs capacités à défaut d’aller au bout de leurs rêves.
Le scénario utilise aussi les codes des romans d’aventures pour la jeunesse, du style des romans scouts d’antan : de grands jeux, de la solidarité, des feux de camp.
En une époque où l’on voit de plus en plus resurgir des totalitarismes qu’on croyait éradiqués, où des élus européens se retrouvent en prison, où, à la frontière de l’Europe, un génocide se vit dans une presque indifférence internationale, ce Camp Poutine nous offre, de manière ludique, une analyse, presque sociologique à certains moments, des moyens que toute dictature utilise pour arriver à s’imposer au plus grand nombre.
Au travers du personnage de Poutine (invisible, par ailleurs…), ce sont tous les dirigeants que l’on dit « charismatiques » qui sont représentés. Des dirigeants qui, ici et là, savent que le jeu est un des meilleurs moyens qui soient pour entraver la jeunesse… Une jeunesse qui, ainsi, passe très vite du jeu à la réalité, du rêve à la violence la plus extrême, de l’amusement au fanatisme.
Cela dit, ce livre est aussi un livre d’aventures, avec une héroïne, Katyusha, qui peu à peu apprend à dépasser l’indignation stérile pour oser la révolte !
Fable moderne sur la manipulation, tellement aisée, de la jeunesse, ce Camp Poutine est un livre destiné d‘abord à un public adolescent. D’abord, mais pas seulement, bien évidemment ! Il s’agit, en fait, de faire entrer le lecteur dans un microcosme précis, afin de le pousser à appréhender, au plus près, le monde dans lequel il vit, et de dépasser ainsi le premier niveau de lecture.
Pour ce faire, il faut un scénario solidement charpenté, et c’est bien le cas. Il faut aussi un dessin qui accroche le regard dès le premier abord, et c’est également le cas. Anlor a un graphisme de mouvement, un découpage qui permet des envolées presque lyriques à certains moments, des approches beaucoup plus intimes à d’autres instants. Il faut souligner, d’ailleurs, l’efficacité de son travail sur les physionomies et, singulièrement, sur les regards de ses personnages. Il faut insister aussi sur son talent de coloriste qui permet à son dessin de dépasser les influences japonaises pour se faire véritablement personnel.
Ce qu’il faut souligner aussi, c’est la parfaite complémentarité entre Anlor et Aurélien Ducoudray, le scénariste. Un raconteur d’histoires qui se révèle de plus en plus, d’album en album, comme un excellent dialoguiste.
Ce sont ses dialogues, échanges d’impressions et d’idées entre les personnages, qui donnent du corps à chacun d’entre eux ; ce sont eux qui, en plus du dessin, permettent d’identifier chaque protagoniste, avec une « voix » qui lui appartient pleinement.
(par Jacques Schraûwen)
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Camp Poutine : tome 1/2 - Dessin et couleur : Anlor – Scénario : Aurélien Ducoudray GrandAngle
Lire également une autre interview d’Anlor : « Avec cette histoire, je reviens sur des thèmes qui m’ont déjà préoccupée : le cachot, la prison, l’enfermement… »