Certes, ce n’est sans doute pas la première série (ni malheureusement la dernière) à s’interrompre et changer d’éditeur en cours de parution. Pourtant, le cas de Capricorne et d’Andreas est particulier sur deux points de vue.
Tout d’abord, l’auteur fascine autant qu’il déconcerte depuis plus de 25 ans.
Difficile de prendre un parti objectif en regardant le ton global des chroniques que nous dressions sur ses derniers albums, mais les avis dissonants confirment bien cet état d’esprit. Ceux qui n’apprécient pas son style le clament haut et fort, tandis que les fans demeurent convaincus. Il suffit d’ailleurs de réaliser un rapide sondage auprès de divers auteurs et professionnels pour plutôt les ranger dans cette seconde catégorie. Leurs avis sont souvent très favorables, voire expansifs. Simplement voilà, ce n’est pas suffisant pour rencontrer un large public.
Le second point qui particularise la situation d’Andreas, c’est qu’il a lancé en 1997 deux séries au long cours dans deux maisons différentes. Si la première décide d’interrompre l’une d’entre elles, comment se comporte la seconde ?
Le Lombard : la confiance demeure mais Capricorne doit s’arrêter à court terme
Nul besoin de faire de grande étude pour comprendre les raisons de l’interruption de Capricorne au Lombard. Bien sûr, ils saluent les innovations graphiques et narratives d’Andreas, mais ils constatent que les ventes s’effritent à chaque volume du détective-astrologue. Ils ont fait le choix de l’arrêter.
Andreas nous a confié ses sentiments : « Effectivement, les chiffres de vente se tassent, m’ont expliqué les éditeurs, et ils ont décidé d’interrompre ici la série. Comme je l’ai écrite sur 20 albums, nous sommes en train de discuter pour que je reprenne mes droits afin de la proposer à un autre éditeur. Mon but premier est bien de pouvoir publier les cinq derniers tomes pour présenter la série dans sa globalité. »
Par-delà l’exemple, on peut effectivement encore se demander si le public désire suivre de longues séries. Cela demande de la patience et de l’investissement d’acheter un album par an et de conserver une vision globale intacte de la série pendant près de vingt ans.
« Pour le lecteur, l’intérêt d’une série dépend généralement de sa thématique générale, explique Andréas dont l’intégrité est totale, et les miennes sont sans doute moins accessibles que d’autres. Mais c’est ma façon spécifique de travailler : c’est bien entendu long d’attendre vingt ans pour avoir les réponses, et il faut être patient. Quand on construit sa trame sur une telle longueur, il faut accepter cette complexité. J’essaye d’écrire ainsi pour qu’il y ait beaucoup d’éléments différents dans la série. Bien sûr, l’idée est donc de lire la série dans sa globalité. Il aurait fallu que je travaille plus vite et différemment pour proposer peut-être trois albums de Capricorne par an afin de donner plus de rythme à l’ensemble… »
Capricorne et Arq : même combat ?
Comme nous l’expliquions, difficile de ne pas faire le parallèle avec Arq publié chez Delcourt. Le premier tome paru également en 1997, et le tome 13 est sorti il y a peu, alors que la série doit en compter 18. Ingrédient complémentaire, Andreas joue d’ailleurs sur le format même de l’album via trois cycles, une contrainte de plus pour le l’éditeur. Nous avons été interroger Guy Delcourt sur le futur d’Arq, en considérant la décision du Lombard :
« Andreas est un auteur à part. Même si c’est le Lombard qui l’a découvert, nous avons une affinité particulièrement forte et je suis heureux de m’engager avec lui sur le long terme. Effectivement, le pari avec Andreas n’est pas d’essayer de lui imposer une direction, car à ce niveau-là il est maître dans son domaine, mais il faut plutôt le soutenir sur la durée d’un projet aussi ambitieux qu’Arq (18 albums) et de l’accompagner tout du long. Arq est un sujet qui peut surprendre et offrir une certaine difficulté, mais dont le lecteur est récompensé. Par le fait de le publier après plus de quinze ans, nous montrons une forme de détermination qui, j’espère, séduira les lecteurs. À ce niveau, le lien de confiance qui existe entre l’auteur et l’éditeur peut se répercuter vers le public. »
Devant ce soutien sans faille à l’auteur, on pourrait alors penser que Guy Delcourt pourrait alors reprendre Capricorne ?
« Pour nous, c’est peu naturel de reprendre en chemin une aventure qui a débuté ailleurs, explique l’éditeur au triangle rouge, justement le titre d’un album d’Andreas. « J’en ai discuté avec Andreas, et je lui ai expliqué qu’autant je le soutiens sur Arq, autant je me sentirais peu à ma place de prendre le train en marche, car décalé dans mon accompagnement d’une série. Mais je lui souhaite de pouvoir finaliser Capricorne qui mérite sûrement d’être lu dans sa globalité. »
Un nouveau Rork paraîtra au Lombard
Cette interruption de Capricorne ne marque pourtant pas l’arrêt de la collaboration historique entre Andreas et le Lombard. L’auteur nous annonce un tome 0 de Rork, à paraître fin 2011 ou début 2012.
« Il s’agira d’un one-shot qui repartira sur le style des premières petites histoires que j’avais réalisées pour le magazine Tintin, et qui ont lancé les aventures de Rork via Fragments. Quand cette histoire m’est venue à l’esprit, j’ai trouvé qu’elle correspondait parfaitement à la thématique de Rork, comme dans le temps où un type venait lui demander des conseils sur un cas irréel, sauf que son développement est plus long (46 pages). »
« Cette histoire pourra se lire indépendamment des autres albums et se nommera ‘Les Fantômes’. J’ai presque fini le dessin. Je serais content de travailler encore avec le Lombard, mais plus sur des séries aussi longues. Dans l’absolu, je ne veux d’ailleurs plus entrer dans des thématiques réparties sur autant d’albums. J’ai suffisamment expérimenté ce point de vue dans Capricorne et Arq. Je me lancerai donc plus que sur des one-shots ou de courtes séries, albums pour lesquels j’ai envie de plus de variété sans demeurer dans un même registre. Je voudrais également continuer à expérimenter de nouvelles voies. »
De son côté, Arnaud de la Croix, directeur éditorial du Lombard confirme cette volonté de prolonger la collaboration : « J ai proposé à Andreas, s il le souhaite et s il n y avait pas d’éditeur intéressé à publier les tomes 16 à 20, que Le Lombard édite un nouveau volume apportant les réponses essentielles à la série... Cette possibilité est toujours d actualité. »
« Mon but premier est bien de pouvoir éditer les cinq derniers tomes pour présenter la série dans sa globalité, nous répond Andreas. Sous cet angle, beaucoup de choses qui semblaient étranges dès les premiers albums trouveront des réponses, ce qui donnera un autre éclairage sur la série complète. »
Affaire à suivre, donc.
(par Charles-Louis Detournay)
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Lire nos chroniques des tomes précédents : 12, 13 et 15, ainsi que la vision globale de la série via le volume 14.
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