Carl Barks naît en 1901 dans l’Oregon. Il tire le diable par la queue en enchaînant les petits boulots. Il est successivement fermier, bûcheron, vacher, imprimeur,… Admirateur de Winsor McCay, il prend des cours de dessins par correspondance et essaie de placer ses bandes dans la presse locale. De 1931 à 1935, il intègre la rédaction du Calgary Eye Opener, où il s’adonne au dessin d’humour dans un registre coquin. En 1935, il répond à une petite annonce des studios d’animation Disney, et est embauché comme dessinateur par l’entreprise de Walt Disney. Après deux ans au département animation, Barks est transféré dans l’équipe des scénaristes. En 1942, il réalise en collaboration avec Jack Hannah et Bob Karp un comic book de 64 pages intitulé Donald Duck Finds Pirate Gold. C’est la première des nombreuses chasses au trésor qu’imaginera Carl Barks pour Donald Duck, personnage pour lequel il a une affection particulière.
En 1947, Barks créé le personnage de Scrooge Mc Duck [1], connu par les lecteurs francophones sous le nom l’Oncle Picsou. Au fil des ans, Carl Barks va développer une cohorte de personnages secondaires et donner ainsi une ampleur extraordinaire à l’univers de Donaldville. Alors que les auteurs des comic books Disney doivent rester anonymes, le style de Barks est identifié, et les lecteurs l’affublent du surnom flatteur de « Good Duck Artist ». Fait quasiment unique, Barks devient un artiste à part au sein de l’écurie Disney.
Outre-Atlantique, on compte les admirateurs de Barks par milliers tant il a marqué profondément la culture populaire de son pays [2]. En 1995, Don Rosa, un de ses héritiers les plus inspirés, imagine une biographie complète de Picsou qui lui vaudra un Eisner Award : The Life and Time of Scrooge Mc Duck. De 1877 à 1947, Don Rosa a collecté tous les indices laissés par Barks pour restituer la trame de l’existence du canard le plus riche du monde.
Mais l’héritage de Carl Barks ne s’est pas limité à la seule sphère des dessinateurs Disney. Parmi les auteurs contemporains de bande dessinée, nombreux sont ceux qui rendent hommage à son talent. Nous avons recueilli les témoignages d’un certain nombre de dessinateurs et scénaristes d’horizons différents.
Il y a ceux pour qui les BD de Barks ont été des lectures importantes. François Walthéry témoigne : « Parmi mes lectures d’enfance, je me souviens du Crabe aux pinces d’or, l’album où Tintin rencontre le capitaine Haddock. Cette scène m’a marqué. Ma sœur avait reçu ce livre et j’allais régulièrement l’emprunter. Il y aussi Il y a un sorcier à Champignac et Radar Le robot, deux aventures de Spirou et Fantasio par André Franquin. J’ai également été marqué par les dessins de Carl Barks pour Donald Duck ». Fabrice Tarrin, dont le double de papier est un petit lémurien, confesse modestement avoir été plutôt influencé par les descendants de Barks : « Mes premières lectures, c’était dans le Journal de Mickey, qui repassait souvent du Carl Barks. Mais, j’avoue que tout jeune, je faisais l’amalgame. Je pense l’avoir loupé, ou plutôt avoir été influencé par ses descendants : par exemple Yoyo et les Sirènes de Wall Street de Frank Le Gall & Yann était un album qui se revendiquait complètement de Carl Barks. Je retiens surtout de lui sa création du personnage de Picsou, un caractère entier, complètement réaliste, pingre, colérique. Selon moi, il a donné à Disney son Capitaine Haddock. C’est tout de même quelque chose ! ».
Pour Michel Plessix, qui met en scène des animaux avec talent dans Le Vent dans les Sables, Barks a un peu moins compté que l’équipe historique des animateurs Disney : « Je l’ai lu quand j’avais 6 ou 8 ans. Avec mon regard d’adulte, j’y vois maintenant de grandes qualités de mouvements et d’expressions. Mais j’étais plus marqué à l’époque par des auteurs comme César , Erik ou Macherot, et, en ce qui concerne Walt Disney, par le travail des "nine old men", animateurs historiques des grands films d’animation, notamment Frank Thomas et Ollie Johnston ». François Corteggiani a longtemps collaboré au Journal de Mickey. Il a eu la chance de rencontrer Carl Barks, il s’est souvenu pour nous de ce moment précieux : « J’ai découvert Carl Barks quand j’étais môme, chez mon voisin de palier à qui sa mère achetait le Journal de Mickey chaque jeudi. Je n’ai appris son nom que plus tard comme celui de Paul Murry dont je préférais le dessin. Ce qui me fascinait à l’époque et me fascine toujours, ce sont ses histoires et sa manière de les raconter. J’ai été très ému de le rencontrer en 1994 quand il a fait sa ballade en Europe. On a déjeuné ensemble, bu du vin blanc, parlé boulot. Puis on s’est serré la main et ciao. Quand il m’arrive de penser que ce type légendaire a un jour croisé mon quotidien, je crois que je souris béatement ».
Pour David Wautier, qui a participé à l’aventure du magazine Capsule Cosmique, c’est l’inventivité de Barks qui est phénoménale : « Son dessin est extraordinaire : une simplicité à la Morris, avec de temps à autre, de magnifiques décors tirés des National Geographic. Sans oublier les attitudes des personnages qui sont toujours justes et drôles. Et puis quelle inventivité, surtout quand on sait que ces milliers de pages ont été réalisées en seulement 25 ans ! ». Barks rayonne jusque dans la sphère des comics alternatifs. Alec Longstreth, auteur du Phase 7, lauréat d’un Ignatz Award, témoigne : « Enfant, j’étais complètement obsédé par les comics Disney, et particulièrement par ceux Barks qui étaient les meilleurs. J’y suis revenu à l’adolescence par l’intermédiaire de la série Bone de Jeff Smith, qui était complètement dans l’esprit de Carl Barks. J’admire Barks, non seulement pour ses créations, mais également pour son éthique et l’histoire de sa carrière. Il a dessiné seul 6.000 planches en vingt-cinq ans, sans jamais manquer une deadline. Je le considère comme un formidable modèle pour tous les cartoonists ».
Le mot de la fin est pour Lewis Trondheim, qui résume de manière intelligible la qualité des BD de Carl Barks : « Il y a trois grands maîtres de la bande dessinée qui ont favorisé l’essor de ce medium. Trois auteurs qui ont su faire de la narration intelligente et tout public. Un pour chaque grand pôle géographique. Tezuka, Hergé et Barks ».
Arrivé à temps pour trouver une place sous les sapins de la Noël 2010, le premier volume de l’intégrale Carl Barks couvre la période 1950-1951. Un parti pris qui signifie que les années 1947, 1948 et 1949, durant lesquelles l’auteur met en place son univers ne seront rééditées que dans les derniers volumes de cette anthologie. Il s’agira d’être patient. L’appareil critique en prélude donne un grand nombre d’éclaircissements sur le contexte de réalisation des planches, mais le style ampoulé des textes se révèle assez vite agaçant. On regrettera également la maquette tout à fait quelconque, absolument pas à la hauteur de ce qui constitue pourtant un véritable événement patrimonial. L’entame de cette Dynastie Donald Duck vaut donc bien plus pour son contenu que pour son contenant. Cela n’empêche cependant pas de (re-)découvrir l’œuvre de Barks, qu’il fallait jusqu’à aujourd’hui, picorer parmi les rééditions de la presse Disney.
(par Morgan Di Salvia)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Photos de Carl Barks © Disney Enterprises Inc.
Illustrations © Disney - Hachette / Glénat
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[1] dont le prénom est emprunté à Ebenezer Scrooge, personnage central du déchirant Chant de Noël de Charles Dickens.
[2] Jusqu’à Hollywood : Steven Spielberg et George Lucas ont avoué s’être inspiré de plusieurs aventures de Carl Barks pour écrire le premier film d’Indiana Jones « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », sorti en 1981.
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