« Tuer l’indien pour sauver l’homme », tel est le fondement pédagogique de ce pensionnat perdu en pleine nature dont les principes obligent ces jeunes Indiens à renoncer à tout ce qui fut à l’origine de leur culture et de leur identité.
Dans le premier tome, on assistait à l’installation de Jonas et de son épouse à Carlisle et ses déboires face aux rigidités de l’institution et la force des préjugés. D’abord convaincu des intentions généreuses et éducatives de ce projet d’intégration, Jonas va vite constater que la violence et les humiliations font partie du quotidien à Carlisle. Fort de ses convictions généreuses et humanistes, le jeune professeur devra non seulement affronter les partisans d’une éducation rude et autoritaire, mais aussi des pensionnaires de moins en moins décidés à abandonner leurs traditions.
Dans ce second tome, l’opportunité d’un voyage à New York (dont le but est non seulement d’impressionner la société locale mais aussi de récolter des fonds ) va orienter le récit vers une dimension plus dramatique.
En parcourant la grande métropole, les jeunes Indiens découvrent la puissance de l’homme blanc à travers son mode de vie et ses habitudes. L’injustice de leur condition est encore attisée notamment par l’attitude impitoyable du Major Mercy.
Des liens d’amitié (mais pas seulement !) se nouent entre le jeune professeur et ses élèves. Amoureux de la jeune Elisabeth, il s’éloigne de son épouse Mary, enceinte, tout en s’opposant de plus en plus fréquemment à Pratt et à ses méthodes. L’expérience de Carlisle, de plus en plus contestée, sera-t-elle vouée à l’échec ?
L’un des mérites de ce cycle reste assurément de revenir sur un phénomène peu connu en Europe : les tentatives (plutôt maladroites et mal maîtrisées) d’intégrer les populations indiennes décrites avec un souci de réalisme... peut-être au détriment de la fluidité du récit.
Pour leur première collaboration, les deux auteurs se sont efforcés de restituer les ambiances d’une période où la conquête de l’Ouest touche à sa fin. La volonté de civiliser les Indiens et de les faire entrer dans l’American Way of Life se heurte à la force des préjugés et au désir de la part des populations de préserver leur culture et leurs valeurs. Sujet difficile, dont l’arrière-plan de western plus ou moins intello (ou pédago) peut tromper le lecteur amateur de chevauchées trépidantes et de duels au soleil.
Le parti-pris d’établir un va et vient entre le massacre de Wounded Knee dans les années 1970 et le quotidien de Carlisle, au début du XXe siècle, ne suffit pas à dynamiser ce récit. Certaines irrégularités dans le dessin et le montage bousculent la lecture d’une histoire qui, en dépit de ses intentions généreuses et humanistes, peine parfois à convaincre. Les intentions du jeune Bradford s’accommodent difficilement avec les exigences d’une narration captivante. Peu à peu, le lecteur se perd dans une narration qui finit par s’essouffler.
Si les intentions de ce cycle consacré à cet aspect peu connu de l’histoire américaine sont sympathiques et méritent l’intérêt, on reste malgré tout un peu sur notre faim. Un sujet trop grand, trop ambitieux qui aurait sans doute mérité plus d’audace et de souffle dans la narration et davantage de maîtrise graphique.
(par Patrice Gentilhomme)
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