« Instagram est une application très liée à l’affect. Sa présentation sous forme d’images, sans mises en mots ou presque, implique un rapport très affectif au contenu, pas forcément rationalisé. »
Fanny George, sémiologue et maître de conférences à la Sorbonne, spécialiste de la représentation de soi et de l’identité numérique pour la revue en ligne NEON.
Inutile d’être sherpa pour savoir qu’il n’y a rien de plus encombrant que de trimballer des BD dans son sac à dos. Alors, profitez donc des vacances pour reposer vos lombaires, chopez vos smartphones hyper-polluants avec vos deux pouces opposables et laissez-moi vous conter quelques jolies stories.
Quand j’ai les pupilles déshydratées, je me les rafraîchis à grand coup de strips autobiographiques de Salome Lahoche. C’est toujours frais, pétillant et le must c’est qu’il y en a en plus pour tous les goûts. Qu’elle aborde le syndrome prémenstruel, Stranger Things, une invasion de fourmis ou les mecs woke d’école d’art, elle arrive toujours à vous tirer les zygomatiques vers le haut du panier avec style et sans donner l’impression de forcer.
Une forme de grâce salutaire pour tout amateur qui se respecte car bien souvent en humour la légèreté se fait trop rare quand il s’agit d’aborder certains sujets délicats comme la politique, le genre, le racisme ou encore les ist (oh, combien de lourdingues se croient profonds, combien de provocateurs et de transgressifs se révèlent à l’usage n’être que des pitoyables réactionnaires).
Parmi ses dernières publications qui ont fait le buzz sur internet, je vous conseille le détournement génial de la mascotte chérie de nos mouflets, l’ Âne Trotro, qui se mue pour le plus grand plaisir en l’ Âne Trotsky. Allez voir, c’est déjà un classique. Bref, jeune, bourrée de talents, avec un trait juvénile qui vous file la banane, rien de plus normal que Salome Lahoche sorte enfin son son premier livre, La Vie est une Corvée, compilant deux ans de strips publiés sur Insta, le 2 mai 2023 aux éditions Exemplaires et prépare une Bd aux éditions Même Pas Mal, publication prévue la même année.
Tout ce qui faut là où il faut, ici.
www.instagram.com/salomelahoche/
Et maintenant, une petite interview...
Quand et pourquoi avez-vous commencé à publier des BD autobiographiques sur Instagram alors que, si je me souviens bien, vous ne postiez que des illustrations au début ?
Salome Lahoche : En fait j’ai commencé à faire de la BD quand j’étais au collège, parce que je lisais des blogs BD autobiographiques, donc j’ai toujours dessiné des petites blagues sur ma vie dans des carnets, mais je ne les montrais pas. Et puis à un moment, des copains autour de moi, comme le désopilant Adrien Yeung, ont commencé à faire des strips sur Instagram, et voyant que ça marchait bien je me suis dit : pourquoi ne pas m’y mettre aussi ?
Avant je ne produisais pas de bande dessinée spécialement pour Instagram, et ce que je pouvais montrer de mon travail, c’étaient les illustrations, puisque c’est assez compliqué de montrer 40 planches en format A4 sur dix cases en format carré. Donc pour résumer, en bonne opportuniste, j’ai un peu suivi le mouvement du strip sur Instagram, qui est en plein essor ces dernières années, et je fais de l’autobiographie car j’aime bien en lire et que c’est un support confortable qui permet d’avoir de la matière à blague en permanence sans trop se creuser la tête.
Ça permet aussi une forme de catharsis car plus la vie est merdique plus elle va faire rire les autres, et leur permettre de se reconnaître. Je pense que c’est compliqué de faire de l’autobiographie drôle quand tout va bien, mais sans doute pas impossible...
Vous ne redoutez aucun sujet et vous trouvez toujours matière première dans votre vie pour aborder la politique, le social, le féminisme etc. dans vos strips. Des sujets difficiles que vous traitez toujours avec un humour décomplexé et libre, sans oublier vos chutes qui sont toujours très surprenantes. Comment travaillez vous vos gags ?
S.L. : Il y a certains sujets qui m’accompagnent au quotidien, notamment sur les questions de politique, d’écologie, et de féminisme. Ce sont des thèmes actuels qui reviennent souvent dès les conversations avec mes amis, dans mes lectures, etc. Donc, parfois, je me dis « tiens, aujourd’hui je vais traiter de tel sujet. ». L’humour est une parade contre l’air du temps.
Et puis, parfois, j’ai une idée qui apparaît subitement pendant que je suis en train de penser à autre chose, et qui est en lien avec quelque chose qui m’est arrivé récemment, et je commence à me raconter des blagues dans ma tête pendant que je prends des bains ou que je marche dans la rue, et je remâche le truc jusqu’à avoir la structure du strip en 10 cases. Et pendant que je dessine je trouve des blagues qui souvent sont des expressions que j’ai entendues, ou des gros mots qui font rire à tout les coups.
Pour faire une bonne chute, j’ai l’impression qu’une recette qui marche pas mal est de faire un pas de côté et de proposer quelque chose d’un peu absurde, qui n’est pas tout à fait sur le même ton que le reste du strip. En fait c’est un peu comme raconter une anecdote au bar à des amis, mais en ayant 5h pour s’appliquer, donc il y a moins de risques de faire un bide.
Si vous vous foutez des sports extrêmes, c’est mal tombé, je m’en vais vous expliquer en quoi consiste le Nascar. Le Nascar est une compétition de stock car la plus dangereuse du monde très populaire aux USA. Elle puise ses origines dans la contrebande de gnôle du temps de la prohibition. Afin d’échapper à la police, les trafiquants de l’époque traficotaient les moteurs de leurs caisses pour les rendre ultra-rapides. De nos jours, la tradition perdure encore tous les dimanches sur un circuit ovale comme un ballon de rugby crevé et des courses de 500 miles avec des vitesses de pointe avoisinant les 320 km/h. Presque la même, quoi. Sauf qu’aujourd’hui les fous du volant sont payés une fortune, l’alcool coule à flot mais dans les gradins et les seules sirènes que vous pouvez y entendre sont celles des ambulances.
Geoffroy Monde et Xavier Bouyssou se sont emparés de ce folklore motorisé pour le projeter dans un futur proche et nous offrir à travers les portraits de coureurs-malfaiteurs une fresque digne d’un Michel Vaillant cramant l’asphalte du vice, une sorte de version post-moderne des Fous du Volant mais à la sauce Monster Energy.
Pour infos, la trilogie Poussière de Geoffroy Monde (aux éditions Delcourt) est toujours disponible dans toutes les bonnes librairies, quant à Xavier Bouyssou nous attendons avec impatience le 9 septembre 2022 la sortie chez 2024 de Toonzie, l’histoire d’un gourou d’une secte de losers persuadés qu’à chaque individu correspond un toon, un personnage de dessin animé qui flotterait au dessus de sa tête. Entretiens-bien le volant...
www.instagram.com/nascar.bd/
www.instagram.com/xavierbouyssou/
www.instagram.com/geoffroymonde/
Comment a commencé votre collaboration pour le projet Nascar BD ?
Geoffroy Monde et Xavier Bouyssou : À la base, c’est la marque de boissons Monster Energy qui s’est mise en quête de dessinateurs, à l’époque du "boom" des "BD Insta". Leur but était de faire une opération de com’ décalée qui jouerait avec l’image de marque du produit. Monster, qui est aussi un gros sponsor de la NASCAR aux États-Unis, cherchait également a installer ce sport dans l’imaginaire collectif des Français.
Nous avons tous les deux eu vent du projet a travers des amis qui avaient été contactés mais n’étaient pas intéressés. Pourtant, être associé à une marque aussi connue est une chance pour un artiste. Nous avons donc envoyé un "book" pour tenter notre chance. Finalement, nos deux profils ont été retenus. Nous ne nous connaissions pas a la base mais nous avons du apprendre à travailler ensemble, a distance.
Vos strips seront-ils publiés en livre ?
G.M & X.B. : Pour le moment, ce n’est pas prévu. Ce projet est exclusivement destiné au "digital". Au dernier festival d’Angoulême, nous avons fait un petit fanzine mais notre employeur nous a vite fait comprendre que c’était la première et la dernière fois. Le contrat que nous avons signé fait que nous ne sommes pas propriétaires de l’univers ou des personnages. Si le compte dépasse les 10K abonnés en revanche, il y a peut être une chance que Monster décide de miser davantage sur ce projet, et décline l’univers sur d’autres supports.
Comment se passe la collaboration, le "ping pong mental" entre vous ?
G.M & X.B. : Nous avons très peu de contacts, et nos échanges passent en général par une Dropbox interne à Monster France. Notre Chief Art Director, Aurélien, nous envoie généralement des pistes en amont, sous forme de mots-clés. En partant de ça, nous créons le "strip de la semaine".
Du moins, c’est comme au début, mais plus ça va, plus nous sommes livrés à nous-mêmes. Un de nos strips a été trop loin dans le trash pour Monster, et le compte peine à atteindre ses objectifs de visibilité. Du coup, on a de moins en moins de nouvelles. Ils ne semblent plus trop impliqués. C’est chiant, mais en même temps on est un peu sous leurs radars maintenant et on se sent un peu plus libres (du coup on s’est autorisés à dévier un peu de l’univers Nascar et à partir dans un délire de prison) . Et comme on ne leur coûte presque rien (65 euros par strip), je ne pense pas qu’ils vont nous débrancher (rires).
(Propos recueillis par Thomas Bernard)
(par Thomas BERNARD)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Avis aux scrogneugneux, je suis toujours preneur de toutes vos découvertes, sinon rendez-vous aux prochaines vacances.
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