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Catel & Paringaux : « Nous avons abandonné nos habitudes pour nous laisser entraîner dans l’univers de l’autre »

Par Charles-Louis Detournay le 14 août 2010                      Lien  
Paringaux était marié avec Loustal, Catel faisait de la biographie ou des livres jeunesse. Leur rencontre était impossible. Et pourtant ...

Catel & Paringaux : « Nous avons abandonné nos habitudes pour nous laisser entraîner dans l'univers de l'autre »Comment une rencontre aussi inattendue que la vôtre a-t-elle pu se produire ?

Philippe Paringaux : La bande dessinée n’est pas mon vrai métier. J’étais dans la presse, et travaille maintenant principalement comme traducteur, essentiellement concernant la musique. Comme je ne collaborais qu’avec Loustal, et encore épisodiquement, je ne vais à Angoulême que lorsque nous sortons un livre ensemble.

C’est effectivement un rythme de travail assez caractéristique. Est-ce dû au temps que Loustal peut consacrer à vos récits ?

P : Pas vraiment, cela dépend surtout des histoires que j’ai en tête. Nous nous connaissons depuis sa venue dans Rock ‘n Folk en 1977, et je pense que nous n’avons réalisé qu’une demi-douzaine de récits en une trentaine d’années. Cela vient comme cela doit. J’étais donc à Angoulême il y a deux ans, pour le Sang des voyous. En dédicace, je me suis rendu compte qu’une autre auteure de Casterman, fort jolie d’ailleurs, signait beaucoup plus que nous ! On a donc sympathisé, mais sans réellement penser collaborer.

Catel : Je connaissais et j’appréciais bien entendu les albums de Philippe, et tout en comprenant bien que son univers était aux antipodes du mien ! C’était très plaisant de rencontrer un réel écrivain, aux histoires extrêmement bien écrites, mais bien entendu très sombres. De cette rencontre est née une réelle amitié, on sentait qu’on pouvait réaliser un projet commun, mais sans mettre réellement le doigt dessus.

D’entrée, on plonge dans l’ambiance du récit ...

C’est alors José-Louis Bocquet qui vous a proposé de collaborer autour d’un personnage central féminin ?

PP : Pas directement. José-Louis nous voyait juste déconner, mais sans vraiment envisager de travailler tous les deux. L’idée a donc germé dans sa tête d’éditeur : « Ces deux personnes n’ont presque rien à voir, artistiquement parlant, ce serait pourtant intéressant de les faire se rencontrer sur ce terrain, plutôt que de toujours associer des auteurs qui brassent dans le même domaine. » N’étant pas un gros fournisseur d’histoire, il a fallu que je me creuse les méninges, et de fil en aiguille, bien après Angoulême, nous en sommes venus à parler d’un documentaire que j’avais écrit et qui retraçait la vie de Mireille Balin.

Catel : À l’époque, je sortais de la biographie de Kiki de Montparnasse, et je travaillais sur un autre récit du même genre. J’ai donc tout de suite été attiré par cette histoire assez terrible. Mais cela n’était qu’un socle pour cette collaboration à laquelle nous pensions de plus en plus. En effet, c’est aussi et surtout l’imaginaire et la fiction de Philippe qui m’attiraient, mais j’étais séduite par ce que cela puisse reposer sur une histoire authentique. C’était également une sorte de lien entre mes différents livres. Cela donnait donc un scénario sur-mesure, comme un grand couturier. Je préfère effectivement dessiner des femmes, plutôt que des hommes.

On peut donc dire qu’il y avait une série de demandes qui étaient exprimées ?

PP : Plutôt un réel diktat, on peut le dire ! (Rires)

Catel : C’est ça, fous-toi de moi ! Non, le plus compliqué pour Philippe a été de sortir de son carcan de bande dessinée récitative.

PP : « Tu t’étais amusé à envoyer tes petits textes à Loustal », m’a-t-elle dit, « Mais maintenant, tu vas devenir un vrai scénariste de bande dessinée en remplissant des bulles ! » (Rires)

Dans la manière de vos précédents récits avec Loustal, vous employez tout de même des récitatifs dans le carnet du père de Dolor ?!?

Catel : Ce n’était pas concevable de ne pas lui laisser cela !

PP : Elle s’est surtout dit que si je devais complètement modifier ma façon de travailler, ce serait sûrement nul, et qu’il valait mieux avoir la sécurité d’un travail partiellement bien accompli ! (Rires) J’ai donc raccourci mes textes pour ne pas être uniquement dans l’ambiance, sans non plus faire une bande dessinée d’action, faut pas déconner !

Catel : Je voulais qu’on puisse jouer sur ces changements de rythme : des discussions engagées, puis des balades plus mélancoliques, parmi lesquelles une autre ambiance pouvait s’immiscer. Puis les temps et les degrés de lecture s’entremêlent : entre le journal du père, ses moments à elle, le passé évoqué, il fallait trouver une façon agréable de tout faire passer sans alourdir le récit. Pour ma part, c’était aussi une grande innovation !

Sensualité de l’évocation de l’amour vécu, puis perdu

Comment ce récit de Dolor fait-il écho à vos propres personnalités ?

Catel : Je pense que Philippe s’est beaucoup donné dans cette écriture, car il a une part de lui dans cette femme qui recherche son père et ses racines. Il a lui-même été abandonné ainsi assez tôt après sa naissance. Sans le faire exprès, il a donc raconté une part de sa vie.

PP : Certains hommes sont des gros lâches !

Catel : Cette culpabilité arrive souvent après, cette histoire est donc beaucoup plus crédible qu’on ne le croirait au premier abord. J’avais d’ailleurs demandé à Philippe d’écrire le récit le plus personnel qu’il puisse livrer, et en lisant le scénario, je lui avouais mon étonnement en me rendant compte qu’il avait raconté une partie de son histoire à lui !

PP : Je ne m’en étais pas rendu compte une seconde ! Pour ma part, je n’ai jamais entamé cette démarche de recherche de mon père…

Catel : … car tu n’en as pas gardé de souvenirs ! C’est d’ailleurs pour cela que Dolor, elle, se souvient, tu voulais travailler sur les sujets de l’amour et de la trahison, que cela soit pour Dolor ou Mireille Balin.

Mireille Bastin, un personnage à part entière !

Vous êtes donc parvenus à mêler vos deux univers ?

PP : Nous ne voulions pas seulement nous arrêter au mélange du rose et du noir, caricaturalement parlant. Nous désirions autant marier le fond que la forme, la façon de faire pour créer un bel amalgame.

Catel : Pour nous, c’est donc une réelle expérience réussie, du point de vue humain, car nous aurions pu ne pas nous comprendre, mais au contraire, nous ne nous sommes jamais heurtés, disputés. Même si au départ, peu de gens pensaient que nous allions réellement réussir à nous entendre pour faire un album digne de ce nom. Sans doute, parce que je fais également des récits pour les enfants. Mais j’ai besoin de diversité pour pouvoir m’y replonger encore mieux, par exemple comme dans Rose Valland.

PP : Dans la tête des gens, mon association avec Loustal est un travail particulier dans lequel on ne peut pas s’immiscer. C’est peut-être pour cela que certains n’y croyaient pas, car on me considère sans doute encore comme un amateur en bande dessinée, mais aussi marié à vie à Loustal.

Catel : J’ai également une profonde amitié avec Jacques, il m’a beaucoup soutenu dans mon travail. Je ne voulais pas du tout lui faire concurrence, et c’est aussi pour cela que j’ai désiré qu’on travaille sur un autre registre.

Après Dolor, vous allez remettre le couvert pour un autre récit, ma Vie en rock ?

PP : Effectivement, ce sera l’occasion de raconter des anecdotes m’étant arrivés, dans le monde de la musique. Mais c’est encore un projet à long terme, car Catel a beaucoup de travail d’ici-là !

Catel : Directement, il joue les déçus ! Cela sortira chez Dupuis, mais nous avons déjà pré-publié quelques histoires chez Flammarion, dans Pilote ainsi que Rock ‘n Folk.

PP : Je n’ai jamais voulu écrire mes mémoires, car je trouve cela pompant. Mais je me mets en scène dans de petits coups de projecteurs, des courts récits de deux à maximum six pages, en tant que Tintin non pas reporter, mais rockeur. Il s’agit de situations authentiques, des moments anodins s’ils n’étaient pas vécus avec des personnes comme Morrison, Hendricks, Gainsbourg, Bowie et d’autres. Il s’agira surtout souvent de choses un peu ridicules ou d’évoquer une ambiance. Plus que la gloriole, j’apporte l’aspect personnel. Ce seront les coulisses du rock, sous forme de roman graphique en couleurs. Encore une idée de José-Louis Boquet !

Le récit jongle habilement entre les divers temps de l’intrigue

Et Catel, vos autres projets ?

Si j’arrête Léo & Léa, car je ne sais pas non plus tout faire, je vais continuer Top Linotte. Je travaille sur une biographie d’Olympe de Gouges avec José-Louis. L’incroyable succès de Kiki, auquel nous ne nous attendions pas du tout, nous a poussé à continuer de réaliser ce que nous aimions : des portraits de femmes charismatiques, un peu des outsiders de l’Histoire, c’est-à-dire qu’elles ont eu un rôle important, mais demeurent pour autant assez peu connues. Olympe de Gouges rentre dans ce cadre : cette femme sexy qui a écrit les droits de la femme, prônait l’abolition de l’esclavage ainsi que l’égalité entre les deux sexes, et on lui a coupé la tête pour cela. En plus, sa vie est très romanesque !

C’est tout de même une toute autre période que celles auxquelles vous êtes habitué ?

Catel : Pour moi, c’est comparable à dessiner des extra-terrestres ! (Rires) Même si je ne maîtrisais pas du tout les costumes ou l’environnement, je devais justement réaliser de grosses recherches, et cela en devient jouissif de se lancer dans cette découverte. On traverse presque tout le XVIIIe, où la mode change tous les dix ans. Pour Kiki, je trouvais plus facilement de la documentation, mais ici, c’est un peu plus ardu, mais c’est ce qui est passionnant !

C’est de nouveau un défi assez imposant, vous avez besoin de cela pour avancer, comme de travailler avec Philippe Paringaux ?

Oui, j’ai besoin de varier les projets, ce qui m’aide à ne jamais m’ennuyer ! À côté des calèches et des perruques, je dessine le rock de Philippe avec Jimi Hendricks. C’est parfois difficile aussi de changer aussi radicalement de psychologies tout en voulant garder la justesse du trait qui évoque ce qu’il faut, mais bizarrement cela m’équilibre de me partager entre divers univers. C’est moi !

(par Charles-Louis Detournay)

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Photos : © CL Detournay

 
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