Par un hasard du calendrier, cet album paraît 60 ans, quasi jour pour jour, après que les premiers trains remplis de juifs à Drancy aient pris la destination des camps de la mort. Il arrive aussi dans le contexte de l’assassinat d’enfants juifs à Toulouse pour des motivations antisémites...
Ce livre, Michel Kichka que je connais depuis près de 30 ans, le portait en lui depuis longtemps. J’avais fait sa connaissance lorsqu’il publiait ses premières pages dans Curiosity Magazine, la publication du libraire belge Michel Deligne. Comme chez beaucoup d’aspirants dessinateurs, son dessin louchait vers Gotlib. Il avait fait son "Alya" (littéralement sa "montée" vers Israël) quelques temps après. On s’est longtemps perdu de vue, il avait une carrière à construire...
Il est entretemps devenu un des caricaturistes les plus prisés du pays, intervenant notamment dans Courrier International ou sur la chaîne TV5. Éminente figure de l’association Cartooning For Peace qu’il anime avec Plantu, l’auteur de Dessins désarmants est une personnalité charismatique qui a reçu en novembre 2011 le titre de Chevalier des Arts et des Lettres des mains de l’ambassadeur de France en Israël.
Cet album-là, c’est son "Maus" à lui. Comme Spiegelman, il est le fils d’un rescapé de la Shoah. Son père, Henri Kichka, a passé son adolescence dans 11 camps et a participé à la Marche de la mort. Son père, sa mère et ses deux sœurs y sont restés. Un passé qui pèse lourd pour le survivant, mais aussi sur sa famille.
Le jeune Kichka a vécu tout cela et si son "alya" peut être rétrospectivement comprise comme une volonté d’échapper à ce passé qui ne passe pas, son jeune frère Charly, quant à lui, a choisi la voie du suicide...
C’est un des parallèles à faire avec le livre emblématique d’Art Spiegelman, mais l’essentiel est cette parole "d’après-Maus" dont Michel Kichka s’acquitte brillamment. Il n’élude aucun tabou : l’antisémitisme en Belgique, avant et après la guerre, la difficulté d’être juif et l’enfant d’un rescapé de la Shoah, sa condition de dessinateur de BD et la pesanteur de raconter cette histoire après celle du Prix Pulitzer. Ces choses-là, Michel Kichka ne les avait pas dites à son père, mais heureusement, il pourra les lire.
Ceux qui ont le chance de côtoyer Henri Kichka sont frappés par ce trait : il lui est impossible de produire la moindre phrase sans jeu de mots, sans une vanne, le plus souvent improbable. L’humour, au quotidien, à chaque instant, lui sert de bouclier contre l’horreur. Manifestement, il a transmis à son fils la recette de cette potion magique.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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