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Cédric : 30 ans, mais toujours intemporel

Par Charles-Louis Detournay le 22 avril 2016                      Lien  
Déjà le trentième album de Cédric ! Une sortie qui coïncide avec les trente ans d'existence de ce jeune garçon turbulent, entouré de sa famille et de ses amis : ça se fête !

On ne présente plus la série Cédric, un des grands succès de la bande dessinée populaire pour la jeunesse de ces vingt-cinq dernières années. Certes, certains bêcheurs avancent que la culture du neuvième art se déniche plus dans les petites officines spécialisées que dans les rayons des supermarchés ! Ce serait oublier que la bande dessinée est avant tout un medium de divertissement, et que s’adresser aux plus jeunes permet de continuer à le faire vivre dans un environnement où les écrans et autres jeux vidéo sont omniprésents.Nous avons donc été à la rencontre de ces deux auteurs qui se connaissent depuis plus de trente ans afin de mieux comprendre quelle était la recette de cette longévité.

À n’en pas douter, un des éléments déterminants de cette éternelle jeunesse est certainement ce fameux grand-père bougon au grand cœur. Rappelons que le sel de la série se situe dans le cadre familial du jeune Cédric. Certes, ses parents sont bien présents à la maison, mais chose plus rare, c’est aussi le cas de son grand-père. Un papy qui ressemble d’ailleurs à son scénariste, Raoul Cauvin, autant par le physique que par l’humeur !

Cédric, c’est Cauvin !

Cédric : 30 ans, mais toujours intemporel
Raoul Cauvin, l’éternel Cédric
Photo : Charles-Louis Detournay

« Cédric peut entrer de grandes colères, explique Raoul Cauvin, Comme son grand-père ! Comme moi ! Toutes les histoires de Cédric ont un fond de vérité : je pars d’une anecdote que j’ai vécue, et je la transpose dans l’univers de Cédric, en faisait réagir l’enfant qu’il est dans la situation où il se trouve. Par exemple, Cédric n’aime pas les oies, car étant petit, une oie d’une ferme voisine me pourchassait. Hormis tout ce qui est lié à l’amour (bien que j’avais une amoureuse à l’époque de ma première communion), tout est donc tiré d’expériences que j’ai connues, de la façon dont les gens réagissaient. »

« J’avais initialement dessiné un grand-père plus éloigné de Raoul [Cauvin], nous explique Antonio Laudec. Mais les dialogues me semblaient si proches de sa nature que je l’ai progressivement dessiné de plus en plus ressemblant à mon scénariste ! »

« Je ne critique jamais le travail d’un dessinateur, réplique Raoul Cauvin. C’est la façon dont Tony me voit. D’ailleurs, la plupart des dessinateurs avec qui je travaille m’ont croqué un jour où l’autre. Je n’ai donc aucun souci avec la façon dont Tony me représente dans Cédric. Mais Marc Hardy, lorsqu’il me dessine… Ah, nom didjô ! »

Le cadre de la série Cédric ne se limite pas au cercle familial. Il y a bien entendu les échanges avec les autres enfants de son âge. Les meilleurs amis, dont Christian, à qui l’on peut tout confier. Puis les premières amours, avec la petite Lily, malheureusement atteinte de mucoviscidose, mais surtout Chen, la jeune chinoise dont Cédric est éperdument amoureux. Mais sa timidité donne lieu à bien des déboires !

Antonio Laudec, un vrai bout-en-train
Photo : Charles-Louis Detournay

« Le prénom de Chen est tiré du nom d’un restaurant qui se situe près de Namur [NDR : Capitale de la Wallonie]. Mais j’ai appris par la suite que Chen était un prénom masculin ! Heureusement, personne ne m’en a tenu rigueur. »

« Comme modèle, explique Laudec, j’ai pris une petite fille qui passait régulièrement devant l’école où ma femme travaillait. Cela était aussi le cas de la petite Caprice qui était pour l’occasion dans la classe de ma femme. J’avais besoin d’un modèle pour cette fille noire, mais comme c’était l’époque de l’affaire Dutroux, impossible d’aller la photographier. J’ai donc demandé à mon épouse de prendre une photo à son insu. Je l’ai faite assez ressemblante, et nous avons même gardé le prénom. »

« Cette demande d’inclure cette petite fille noire était venue des producteurs du dessin animé qui espéraient pouvoir le diffuser aux États-Unis, commente Cauvin. « Mais nous devions respecter pas mal de conditions : le personnage ne pouvait être ni gros, ni bête, etc. Et c’est ainsi que j’ai créé Caprice. Et que Tony s’est retrouvé à dessiner des terrains de basket ! »

« Finalement, vu toutes les contraintes nécessaires pour imaginer être diffusé là-bas, conclut Laudec, Nous avons décidé de renoncer à cette option… Mais nous avons gardé la petite Caprice car elle nous plaisait ! »

La plus grande caractéristique de la série demeure : elle est intergénérationnelle ; enfants, parents et grands-parents peuvent la lire et s’y retrouver. C’est donc un vecteur de médiation sur des sujets du quotidien, et c’est ce qui explique que de jeunes lecteurs devenus parents la proposent à leurs enfants. Sans doute la raison de ce succès qui pour l’heure n’a jamais été démenti !

« Nous n’avons jamais réfléchi à cet aspect d’intemporalité en travaillant sur les albums de Cédric, nous confie Cauvin. Je maintiens Cédric dans cet âge de sept-huit ans, car c’est selon moi la plus bel âge de la vie. En effet, les temps évoluent, avec l’informatique et tout ce qui s’en suit, mais l’humain ne change pas. Auparavant, Cédric lisait un livre, maintenant Tony lui place une console entre les mains. Pour ma part, je mise l’essentiel sur les rapports entre enfants, parents et grands-parents. C’est toujours la vie qui nourrit mes scénarios. »

Si le propos général de Cédric s’adresse aux enfants, certaines thématiques peuvent échapper aux plus jeunes : lorsque le grand-père aborde des sujets plus complexes comme la mort, sa jeunesse ou la maladie. Voilà pourquoi les adultes se retrouvent également dans la lecture d’une série jeunesse comme celle-ci, surtout lorsque Laudec place quelques clins d’œil sur les journaux lus par le grand-père ! Un second degré bienvenu, mais qui permet également de faire passer quelques messages aux lecteurs plus âgés.

« Une clé de la série réside dans le fait que Cédric ne comprend pas les histoires de grandes personnes, surtout quand c’est le grand-père qui les raconte, explique Raoul Cauvin. L’exemple le plus frappant est celui du grand-père qui a précédemment expliqué qu’il avait dû laisser son épouse sur le côté du chemin car elle avait un caillou dans sa chaussure, et qu’on ne peut s’arrêter sur le chemin de la vie. C’est d’ailleurs cette histoire qui a initié le projet du dessin animé. Si jamais certains enfants ne comprennent pas cette allusion, ce n’est pas très grave, car ils s’intéresseront plus à d’autres gags de la série. »

« Cette proximité entre le grand-père et Cédric ne se produit presque plus à notre époque, prolonge Laudec, car les grands-parents ne vivent plus chez leurs enfants. Pourtant, c’est le cœur de leur complicité, une relation qui n’existe pas avec les parents, car ses derniers doivent rester dans leur rôle éducatif incontournable. »

« Quant aux gags en manchette des journaux, il faut révéler au grand public que Tony est un indécrottable farceur. Il en a déjà fait voir de belles auprès de ses amis dessinateurs. Et c’est à lui que je dois cet amour secret avec Lara Fabian, qu’elle m’avait lâchée, puis repris ! Bref, toute une relation tumultueuse ! »

« Je n’utilise pas seulement ces journaux pour faire de blagues, mais également pour aborder des sujets qui me préoccupent. Je sais bien entendu que le métier d’auteur de bande dessinée se paupérise, et j’en profite pour glisser un message via ces journaux. Également à l’attention du Festival d’Angoulême qui représente selon moi l’usine de la profession, sans oublier un certain élitisme dont ils ne se sont jamais départis. Je voulais donc aborder ces sujets de manière humoristique. »

Cédric donne l’occasion, juste après Gaston Lagaffe, de profiter des plus remarquables scènes d’injures et de colère de la bande dessinée. Parce que la vie de Cédric, ce ne sont pas que les bons moments, mais également les disputes entre les différentes générations, ce qui donne lieu de fréquents dîners à la friterie située non loin de là. L’occasion de rappeler humoristiquement que, même au sein d’une famille qui s’aime, on peut ne pas être toujours d’accord.

« Cauvin s’amuse à écrire des scénarios qui bougent, commente Laudec, Et je fais le maximum pour mettre en scène ces colères ! Comme les décors sont souvent identiques, j’ai besoin de me concentrer sur les personnages ou d’apporter parfois un peu de fantaisie. L’arrivée du dessin animé m’avait obligé à concevoir un réel plan des pièces de la maison, ou de l’implantation de l’école. Je devais m’y tenir dans la conception de mes planches pour maintenir une cohérence entre les albums et le dessin animé. Mais comme c’était finalement plus réducteur que stimulant, j’ai repris ma liberté ! »

En laissant le plus de place possible à l’interaction entre les personnages, Cédric pêche parfois par un trop grand classicisme dans la conception de ses planches. Cela explique que Laudec pousse parfois la mise en scène croquée par Cauvin, pour peaufiner un arrière-plan ou un décor spécifique. Un trait qui rappelle d’ailleurs une autre série plus éphémère des mêmes auteurs : Taxi Girl !

Un trentième album hors norme

Mais si l’on a célébré les vingt ans de la série grâce à une belle exposition en 2009, on peut s’étonner de fêter ses trente ans en 2016, soit sept ans plus tard seulement ! Mais le facétieux Laudec a réponse à tout :

« Comme on célèbre en 2016 les 70 ans de Lucky Luke pour sa première apparition dans le Journal de Spirou en 1946 (alors que son premier album n’est paru qu’en 1949), il me semblait légitime qu’on fasse de même avec Cédric ! Nous voulions donc marquer le coup de ce trentième album, via l’inclusion d’un petit dossier. Et comme nous rencontrions souvent des lecteurs qui nous demandent régulièrement comme se réalise une planche de bande dessinée, de la première idée à la concrétisation sur la page en passant par les couleurs, nous trouvions plus légitimes d’expliquer ce cheminement plutôt que d’y caser de longues interviews. Patrick Gaumer avait si bien réussi la monographie sur Raoul qu’il était incontournable pour réaliser ce dossier. Il a d’ailleurs été trouver la première planche de Cédric, prouvant que notre petit blondinet allait déjà sur ses trente ans ! »

Ce tome 30 de Cédric contient donc un dossier anniversaire de 16 pages, qui alterne agréablement les croquis, les inédits, les explications, les planches oubliées, les couvertures refusées, des photos de produits dérivés, etc. Gaumer revient donc en détail sur la réalisation d’une histoire, mais rappelle également que l’éditeur ne croyait pas vraiment aux chances de cette série familiale, au cœur des années 1980 qui privilégiaient d’autres thématiques scénaristiques.

Une planche que Patrick Gaumer a retrouvé pour le dossier anniversaire

Quant au contenu de l’album en lui-même, il est fidèle à l’ADN de la série, une transposition authentique et humoristique de la vision d’un enfant de huit ans. On retrouve d’ailleurs une cocasse rencontre entre le jeune garçon et un psy. Ainsi qu’un nouveau rêve de Cédric, dans lequel il se voit adolescent, tentant de sauver Chen du naufrage du célèbre transatlantique : « La P’tite Annick » ou quelque chose comme cela… Mais justement, Cédric peut-il vieillir ?

« La séquence de Cédric et son psy est tirée d’une réelle expérience personnelle, explique Cauvin. « J’avais été convoqué à l’école de mon fils, celui-ci avait répondu n’importe quoi à son psy. "Il fallait que je réponde, alors j’ai répondu n’importe quoi" m’expliqua-t-il. Je peux vous jurer qu’il n’a plus jamais vu un psy dans le cadre scolaire ! Plus sérieusement, Cédric transpose ce qu’il entend et ce qu’il vit avec son imaginaire de sept-huit ans, sa propre vision de la vie. Il se pose des questions, écoute les réponses, mais c’est toujours un peu à côté de la plaque. Un décalage que l’adolescent n’est pas capable de réaliser. Je ne fête d’ailleurs plus d’anniversaire de Cédric, car après l’avoir fait une fois dans une histoire, un enfant est revenu vers moi en me disant : "Ça y est : Cédric a neuf ans vu qu’il a fêté son anniversaire !". Or, je ne veux pas qu’il grandisse, autrement que dans son imaginaire. Je ne fais donc plus d’histoire sur les anniversaires. Car je garde ce que j’ai trouvé de plus beau dans une famille : l’enfance. »

Bien entendu, en lisant le titre de ce trentième album Silence, je tourne, difficile de ne pas évoquer le film dont on annonçait précédemment le possible tournage->br5734]. Mais tout ne semble pas encore concrétisé, d’après Cauvin qui philosophe : « J’ai profité de l’expérience de Zidrou [NRD : le scénariste entre autres de "L’Élève Ducobu", dont deux films ont été réalisés.] qui m’expliquait que cela se décidait en haut lieu, et que je n’aurais de toute façon pas voix au chapitre concernant l’histoire. Donc, on verra si cela concrétisera.. »

Raoul Cauvin et Antonio "Tony" Laudec, devant le coeur du Télévie

Un don pour la vie

Ce qui est certain, c’est que l’entente et la bonne humeur des deux auteurs est toujours au beau fixe. Et qu’ils continuent de se démener pour que celle-ci contamine le public. Les deux auteurs ont d’ailleurs réalisé un objet très spécial qui est sera vendu demain matin aux enchères pour le Télévie [1]. Cauvin et Laudec ont voulu expliquer par le papier leur façon de travailler :

« J’écris mes histoires dès qu’elles me viennent, conclut Cauvin. Et je ne me relis presque pas, de peur d’être tenté de corriger ce premier jet. Puis je la croque sur une feuille A4, en modifiant légèrement les dialogues afin de correspondre à la mise-en-scène. Quand on compare mon scénario et la page finale, on voit que Tony modifie parfois le découpage, voire agrandit ou rétrécit une case, mais il ne modifie jamais les dialogues. »

L’album unique en vente pour le Télévie

L’objet mis en vente pour le Télévie présente donc la totalité du tome 30 de Cédric avec la double vision des auteurs. Sur chaque double page, on retrouve à gauche le scénario original croqué par Cauvin, et à droite la planche finalisée. Le tout est rehaussé d’un dessin spécialement réalisé par Laudec pour l’occasion. Un beau cadeau à la vie, pour une série qui s’en inspire tant !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Voir la page des enchères du Télévie, qui comprend également une planche de Lady S dédicacée par Van Hamme, ainsi que le tirage de tête du dernier Largo Winch

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Concernant Cédric, lire :
- les chroniques des tomes précédents : 25, 24, 23, 20 et 15
- Cédric, l’air de rien…
- l’interview de Laudec & Cauvin : « L’humour est mal vu dans la bande dessinée »
- Cédric célèbre ses 20 ans par une expo ludique à Charleroi
- Un long métrage pour Cédric

[1Une variante belge du Téléthon, qui réunit des fonds pour la recherche contre le cancer.

 
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