Que les gardiens de la foi soient choqués par la moralité de certaines de nos BD, qui s’en étonnerait ? Après tout, pour certaines d’entre elles, choquer est un de leurs objectifs. Ainsi, Le Petit Spirou a plus d’une foi(s) versé dans une caricature teintée d’anticléricalisme. Il ne doit pas s’étonner de recevoir en retour un coup de crosse. Que les bons pères considèrent que le discours sur le sexe, quand il s’adresse aux plus jeunes, comme dans Titeuf, est déplacé voire suspect, cela ne nous surprend pas, surtout dans le chef des plus rigoristes d’entre eux. Ce qui frappe en revanche, c’est l’insondable ignorance teintée de mépris qui ressort des conseils qui sont donnés dans la chronique « Bons livres » signée par un certain L. Michel.
Une vision conservatrice et rétrograde
Ayant pris la peine de se renseigner, le titulaire de la rubrique « bandes dessinées » relit l’histoire de la BD : « Les inventeurs de la bande dessinée moderne, écrit-il, sont les Américains qui vont surtout après la crise de 1929, développer les thèmes irrationnels, difformes et sexuels. Flash Gordon, Tarzan, Mandrake et d’autres, sont en effet des dérivatifs aux difficultés modernes : L’évasion pour tous et en fait surtout pour les adultes dans un monde imaginaire et simpliste. » Ah ouais... Heureusement, selon lui, les maisons d’édition catholiques françaises ont réagi comme il convenait face à cette « menace » : « La presse catholique tenta, et souvent avec succès, constate-t-il, d’éditer des journaux de bandes dessinées : Bernadette, Cœur-Vaillant [sic] et surtout le remarquable Bayard. Les dessins étaient simples, souvent beaux, les notions morales fermes, on parlait de Dieu. » Il regrette cependant que ces mêmes maisons n’aient pas tenu le cap : « Les maisons d’édition catholique prenant le virage dialectique que l’on sait, ont supprimé leurs anciennes formules ; nous éviterons par charité de parler des nouveaux journaux « de jeunes » vendus actuellement dans les églises. C’est laid, bête et triste, et souvent sans rapport avec la religion. » La critique porte donc aussi bien sur les journaux de Bayard Presse que sur ceux de Fleurus Presse, pourtant d’obédience catholique. On voit donc poindre ici une conception traditionaliste, pour ne pas dire passéiste et rétrograde, de la presse des jeunes.
Pour une bande dessinée de droite, voire d’extrême droite ?
N’étant pas un spécialiste des groupements activistes de la communauté chrétienne, je ne connais pas le groupe « Salve Regina. » Mais, en le lisant, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre à quelle idéologie il se raccroche. Son texte est marqué par le mépris de la bande dessinée actuelle et stigmatise la décadence qui nous attend : « Qu’elle soit chrétienne ou non, la bande dessinée suit les goûts du temps ; quels sont les dangers de cette philosophie progressiste et colorée ? La puissance économique et idéologique représentée par la bande dessinée ne pouvait laisser la subversion indifférente. Elle a, là aussi, colonisé les rédactions et utilisé les pulsions de masse. Sans vouloir ouvrir de grandes discussions pour savoir si la bande dessinée est en elle-même subversive ou non, il faut bien constater que beaucoup de bandes dessinées actuelles sont d’une rare bêtise dans le texte, et d’une absolue laideur quant au dessin : il y là un reflet de la crise de la pensée contemporaine. ». Comment en est-on arrivé là, mon père ? « La bande dessinée, explique notre docte interlocuteur, se lit - inconsciemment souvent - globalement ; le lecteur (le jeune surtout) n’analyse pas, il « absorbe » passivement ; la réflexion n’entre pas plus dans la lecture du « texte » qui n’est qu’une suite de verbes et d’onomatopées. Ceci pour ce qui concerne la forme ; pour le « fond » il est devenu depuis les années 60 très progressiste, voire franchement vicieux (ce doit être une des raisons de son succès auprès des « intellectuels adolescents prolongés ») . Inutile de continuer plus avant. C’est une prose de combat, de reconquête. Taïaut, chassons les hérésies de nos chères petites têtes blondes. Cela faisait longtemps que la réaction religieuse ne nous avait plus opposé ces arguments, mais ils sont anciens et usés jusqu’à la corde, véhiculés par une frange « bien-pensante » de la droite comme de l’extrême droite. Inutile de dire que dans le contexte du rachat de Dupuis par Média-Participations, un groupe suspecté, à l’origine tout le moins, de défendre les thèses des catholiques traditionalistes, on a froid dans le dos.
Une prose de combat.
Comme dans les collèges jésuites de l’Eglise pré-conciliaire, notre rédacteur commet sa liste de prescriptions. Parmi les BD conseillées, on trouve la totalité du catalogue des Editions du Triomphe, un éditeur qui republie les vieilles BD de chez Bayard et Fleurus Presse, dont on a pu lire les placards publicitaires dans Présent, le quotidien du Front National ; l’intégrale de la collection Coccinelle que le RP Francart publie en Belgique. On conseille aussi La Patrouille des Castors de Mitacq et Charlier, les Don Bosco, Charles de Foucauld et Baden Powell de Jijé, Pourquoi pas ? Il a y, dans cette liste, quelques chef-d’œuvres. Tintin, Astérix, Barbe Rouge, Alix, Spirou et Fantasio, Gaston Lagaffe [NDLR : A notre avis, ils n’ont pas tout lu], Lucky Luke, Michel Vaillant... » et quelques grandes séries classiques sont tolérées.
A l’index, cependant, il y a quelques surprises : « Les Schtroumpfs » (« Ce petit peuple bien connu et sympathique ne doit pas nous faire oublier que l’inspiration de cette bande dessinée est communiste... »), Thorgal (« sa morale est fondamentalement païenne, donc anticatholique »), XIII (« peu de moralité du héros (tant pour les meurtres que pour les mœurs dissolues) et le côté noir de certains dessins. Certains poncifs révolutionnaires ne sont pas absents »). On déconseille très fortement : Largo winch ( « L’immoralité du héros est notoire : les scènes érotiques se succèdent tant chez le héros que chez ses amis, dans un monde où tous les coups sont permis (réalisme du monde de la politique et de la finance). A déconseiller absolument, même aux adultes.) » ; Akira (« Dans le genre des mangas, une histoire tellement captivante que l’on ne peut s’en détacher avant d’avoir tout lu (ce qui n’est pas sans danger, comme pour certains jeux vidéos...) Les pouvoirs paranormaux des héros vont conduire à l’anarchie complète, où la seule loi est celle du plus fort. Il vaut mieux dans ce cas éviter d’y toucher, que se laisser tenter (même les adultes) » ; Le petit Spirou (évidemment : « tout semble désormais tourner autour du sexe (d’enfant !) ou des bêtises du plus mauvais goût. Stupide, sale et sans intérêt, cette série est à déconseiller absolument, même aux adultes.) » ; Titeuf (« Un fatras malsain issu des fantasmes d’adultes sur la sexualité des enfants et dans le but évident de pervertir. »). C’est édifiant !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Merci à Mathilde de Frab de nous avoir filé le tuyau.
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