Remarqué lors de la publication d’Auschwitz (publié chez le même éditeur), l’auteur a cette fois choisi d’élargir son propos dans un ouvrage manifestement ambitieux, épais (près de 140 pages) et fortement nourri d’intentions philosophiques.
Avec Cesium 137, le titulaire du Prix Jeunesse de l’Assemblée Nationale [1] propose une fresque qui mêle à la fois les conséquences tragiques de l’Holocauste à celles de l’accident de Tchernobyl en passant par Hiroshima ou le 11 septembre.
Prenant appui sur des dialogues présentés à la manière de voix off désenchantées et lointaines ce roman graphique nous dresse un constat particulièrement sombre, fruit d’une recherche désabusée de ce qui reste de « l’âme humaine ". Vaste programme !
Ce voyage graphique et esthétique transporte le lecteur des ruines d’Oradour sur Glane, village martyr sous l’occupation nazie à un New York dévasté un soir d’été 2001 dans un tourbillon "d’images-chocs" et de témoignages froids.
L’accumulation de faits historiques tragiques connus et déjà fort médiatisés devient assez vite indigeste, malgré l’apparition de personnages jugés emblématiques dont la "présence" pose question :Mickaël Jackson, Roman Polanski ou Leni Riefenstahl apparaissent dans ce récit de manière peu convaincante et un peu surprenante. Ce curieux mélange traversé des différents témoignages de survivants ou d’acteurs involontaires de ces différentes tragédies s’apparente davantage à un patchwork laborieux, prétentieux plutôt, qu’à une démarche philosophique solide et cohérente. N’est pas Kubrick qui veut et il apparaît assez vite que l’auteur s’est fait dépasser par son sujet.
Les dessins de Pascal Croci dont le crayonné très poussé et nuancé témoigne d’un incontestable savoir-faire mais dissimulent mal une volonté d’esthétisme trop affichée pour maintenir l’émotion et l’intérêt tout au long du livre. La finesse et la souplesse du trait peuvent-elles compenser la confusion d’un propos beaucoup trop noir et désespéré (pour ne pas dire désespérant !) afin de captiver le lecteur tout au long d’un album aussi atypique ?
Ce procès à charge d’une humanité victime de sa folie destructrice aurait de quoi séduire, s’il n’était pavé que de bonnes intentions. On peut craindre que le public passe à côté des volontés pédagogiques et philosophiques auxquelles Pascal Croci semble très attachées, par lassitude, face à un discours qui tourne court. Malgré ses insuffisances, la tentative reste courageuse, inédite, mais sans doute insuffisamment attractive pour éveiller la curiosité et maintenir l’intérêt jusqu’à la fin.
(par Patrice Gentilhomme)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
[1] Décerné en 2005 pour Auschwitz.