Hara Kiri est un journal de caricatures fondé en 1960 par François Cavanna, le Professeur Choron et toute une bande de trublions, dont Fred qui en dessina le logo. C’était avant tout un journal de dessins dont la tradition graphique et l’humour s’inscrivaient dans celles de Chaval, de Dubout et des grands caricaturistes de L’Assiette au Beurre, de Grandjouan à Jossot, mais avec une dimension moderne supplémentaire : l’usage de la bande dessinée, puis celui de la photo. Cavanna, dans la préface, le définit sobrement : Hara Kiri était "un journal dont la vocation était d’aborder les sujets par le biais du rire"...
Oui mais, quel rire et quels sujets ! Comme le dit bien Pacôme Thiellement (dommage que son texte d’introduction soit d’une effroyable bigoterie : "Gloire à... Gloire à..."), Hara Kiri faisait rire de tout ce qui faisait horreur. Et dans les années 1960, les bourgeois de l’après-guerre qui ressemblent assez bien aux gens qui votent à l’extrême droite de nos jours, avaient horreur de bien des choses : du sexe, de l’anarchie et de l’anticonformisme, de la vulgarité, des antimilitaristes, de l’irrationnel, du "laid" et du "mauvais goût", de la cruauté, du dessin "mal fait", des gauchistes et d’une presse qui ne soit pas conservatrice,...
Or, il y avait tout cela dans Hara Kiri et ce recueil en fait l’éblouissante démonstration, les plus grands dessinateurs des année 1960 à 1985 (année où le journal casse sa pipe) qui vont du grand Chaval, à Vicq, que l’on lit aussi bien dans Tintin que dans Spirou ou dans Pilote, de Maurice Henry qui publie dans Le Surréalisme au service de la révolution, de Topor, cofondateur du groupe Panique, et qui deviendra aux côtés de Cabu, Wolinski, Reiser, Gébé, Siné, Willem déjà, Vuillemin (ici notamment avec Hitler=SS), parmi les piliers de cette publication qui suscita des répliques aussi bien en Espagne qu’en Turquie.
On découvre au détour des pages le premier Moebius (qui ressemble beaucoup à Mézières), des dessins de Lob inspirés par Hans Bellmer (ce qui rappelle combien ce genre de publication est héritière du Surréalisme), les premières pages du Petit Cirque de Fred, celles de Pravda la survireuse de Pellaert, les premiers dessins de Serre, Barbe, Hugot, Kamagurka & Herr Seele, Schlingo, Pichon, Poussin, Francis Masse, Lefred-Thouron, Bazooka... C’est dire les talents de défricheurs de cette équipe.
Le tout est, comme l’annonce le journal dès ses débuts en novembre 1960 : "irrespectueux, tonique, curieux, déconcertant, mordant, brutal, insolite, cruel, ahurissant, rafraîchissant, bizarre, explosif." Rarement un journal satirique aura aussi bien tenu sa promesse !
Si le Père Noël ne verse pas dans le cadeau bête et méchant cette année, c’est que c’est vraiment une ordure !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion