Il existe peu d’hommes politiques, tous bords confondus, qui ne reconnaissent pas en de Gaulle les qualités d’un grand chef d’Etat et qui ne se revendiquent, en totalité ou en partie, comme ses héritiers (à tort ou à raison, c’est un autre débat). Et comme toutes les grandes figures, seules quelques images se rattachent à son action : l’appel du 18 juin, le défilé sur les Champs Elysées à la Libération de Paris, la constitution de la Cinquième République, la guerre d’Algérie (et le fameux « Je vous ai compris ! »), mai 68…
Grand Angle s’attaque donc à un gros morceau en voulant réaliser une biographie du général en bande dessinée. Pour cela, le tandem choisi est intéressant. Jean-Yves Le Naour est un historien reconnu, spécialiste de la Grande Guerre mais qui a déjà réalisé plusieurs albums avec Grand Angle, et Claude Plumail, qui a déjà dessiné plusieurs albums sur les deux Guerres mondiales, au graphisme efficace et classique.
Les albums précédents montraient un de Gaulle toujours en mouvement : prisonnier pendant la Grande Guerre (tome 1), il tente sans cesse de s’évader (et est toujours repris) et, en 1940 (tome 2), il parcourt la France et l’Angleterre à la recherche d’une solution à la déroute militaire. Si le scénario passe sous silence les années 1941-1943, nous retrouvons un général toujours dans l’action, tout d’abord entre l’Algérie et Londres, puis en France. Nous nous perdons parfois un peu dans ces déplacements mais il est très intéressant de découvrir les relations entre de Gaulle, Churchill et Eisenhower, général en chef des armées américaines.
Que nous soyons gaulliste ou pas, il est difficile de ne pas admirer l’opiniâtreté dont le général fait preuve face à des dirigeants qui mettraient bien la France sous contrôle. L’album, comme à l’habitude du scénariste, fourmille d’anecdotes (trop ?). Malgré quelques planches moins réussies, l’ensemble donne une première approche intéressante d’une période extrêmement riche et fondatrice de l’Europe contemporaine et il s’agit sans doute de l’album le plus réussi de la trilogie.
Pourtant, nous restons sur notre faim. Le format standard en 46 planches est une contrainte majeure qui montre ici ses limites. La vie du personnage et les événements de l’époque sont tellement riches, nombreux et complexes que le récit est nécessairement lacunaire. La masse d’informations concentrée donne le vertige. Bien entendu, l’essentiel est dit et replace bien le contexte de l’époque mais il aurait été intéressant, pour ne pas dire nécessaire, de développer certains passages, certains personnages. Par exemple, Churchill reste très superficiel et, pour rester sur le personnage-titre, nous aurions aimé avoir plus d’informations sur ses liens avec sa femme et ses enfants.
Les Américains craignent en lui un futur dictateur mais il est présenté dans l’album comme décidant seul, n’écoutant pas ses conseillers. Était-il réellement comme cela ou est-ce la contrainte de la synthèse qui oblige à grossir le trait ? Alors que nombre d’éditeurs ont abandonné ce format, nous pouvons donc regretter que Grand Angle y reste attaché.
Toutefois, comme dans les précédents albums de la série, le dossier documentaire, réalisé par la Fondation de Gaulle, est très intéressant. Il apporte un éclairage complémentaire indispensable. Dans l’ensemble, l’album reste un bon moyen d’avoir une première approche de la vie et de l’action de de Gaulle et d’avoir une idée des enjeux majeurs qui se sont joués et qui auraient pu changer le visage actuel de la France et de l’Europe.
(par Jérôme BLACHON)
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