Bientôt deux ans que le terrorisme islamiste s’en est pris à la rédaction de Charlie Hebdo. Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, notamment, disparaissaient dans une tuerie dont l’onde de choc se fait encore ressentir. Après l’unanimisme affiché le 11 janvier 2015, les "Je suis Charlie" se sont opposés aux "Je ne suis pas Charlie". Puis sont venus les "Je suis Charlie mais…" et les "Je ne suis plus Charlie".
Car si le journal demeure un symbole de la liberté d’expression, les feux médiatiques qui se sont abattus sur Charlie Hebdo l’ont fait découvrir à beaucoup… Qui ont alors appris que le successeur de Hara-Kiri n’a que peu à voir avec le Journal de Mickey. La une affichant un Mahomet pour qui "Tout est pardonné", dessiné par Luz, avait déjà donné le ton et amoindri l’enthousiasme des foules.
Ce sont d’abord des défenseurs (du moins se présentant comme tels) des personnes handicapées qui ont mis en cause l’hebdomadaire. Le dessin incriminé ? Sa cible en était Nadine Morano : présentée comme "la fille trisomique cachée de de Gaulle", celle-ci venait de tenir des propos plus que douteux sur la "race blanche", que le journal se devait de dénoncer.
Ces propos – "Nous sommes un pays judéo-chrétien, le général de Gaulle le disait, de race blanche" – avaient fait l’objet d’un signalement à la justice par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Même si ce signalement avait été classé sans suite, Mme Morano avait dû subir les conséquences de son discours, puisqu’elle fut sanctionnée par son propre parti.
Mais la caricature avait choqué le "Collectif contre l’handiphobie" (curieux néologisme) qui avait donc porté plainte pour "injure" et "provocation à la haine et à la discrimination". Ce qui valut à Riss, auteur du dessin, directeur de publication et directeur de la rédaction du journal, de faire le déplacement jusqu’à la 17ème Chambre du TGI de Paris, le 18 novembre dernier. Le dessin avait été publié en octobre 2015. Le temps de la Justice n’étant pas celui des médias, il faudra attendre le 10 janvier 2017 pour avoir le verdict.
Le Parquet – qui d’une manière générale n’est pas connu pour son indulgence – a requis la relaxe. Il est à noter que c’est la première fois que Charlie Hebdo avait à se défendre à la suite d’un dessin mettant en scène une situation de handicap. Ce n’est pourtant pas la première caricature publiée qui employait ce ressort comique. Signe des temps ou plainte d’une association en mal de reconnaissance médiatique ? Se fonder sur un unique procès paraît un peu court, pour l’instant, pour répondre.
L’autre dessin ayant récemment fait l’objet d’une plainte avait soulevé encore davantage d’indignation. En réaction au séisme ayant touché la ville italienne d’Amatrice et à l’origine de presque 300 morts, ce dessin signé Félix montrait trois victimes ensanglantées et les comparait à des plats de pâtes. L’associant à un dessin de Coco qui pointait du doigt les responsabilités de la mafia dans les dégâts consécutifs au tremblement de terre, la ville d’Amatrice – ou, quoi qu’il en soit, ses représentants – a porté plainte contre Charlie d’abord en Italie, à Rieti (Latium), puis en France.
L’Ambassade de France à Rome avait pris le soin de se démarquer de la publication de Charlie Hebdo. Ce qui est en soit assez étonnant, le journal n’ayant ni la vocation ni l’ambition de se faire la voix de l’Etat français. Le maire d’Amatrice a néanmoins estimé que le dessin édité le 31 août était une "injure envers les victimes du séisme". Quant à la caricature de Coco, publiée sur la page Facebook de Charlie, elle serait "diffamatoire envers les victimes et les Italiens".
Nous ne savons quand le dossier sera instruit. La plainte a été révélée le 25 novembre dernier par L’Express. Il appartiendra évidemment aux juges de se prononcer sur la recevabilité de celle-ci et, le cas échéant, sur la légalité de la parution. Car – faut-il le rappeler – ce n’est pas à l’institution de nous dire si ces dessins sont de bon ou de mauvais goût. En revanche, il n’est pas illégitime de se demander si Charlie Hebdo a outrepassé la loi.
Cela ne serait pas la première fois. Depuis 1992 et le nouveau départ de Charlie, la rédaction a dû faire face à une cinquantaine de procès. La retentissante affaires des "caricatures de Mahomet", pour lequel de grandes figures médiatiques et politiques s’étaient déplacées, ne doit pas faire oublier que ni les islamistes ni même les religieux de toutes les obédiences n’ont jamais été les seuls à incriminer le journal. Visé par des élus du Front national et des associations catholiques dites identitaires, le journal a également essuyé les plâtres et les plaintes de divers journalistes et politiques. Condamné en définitive que rarement – dans moins d’un cas sur cinq – l’hebdomadaire est maintenant rôdé et son avocat Maître Richard Malka connaît bien ses arguments.
Faut-il donc déplorer ces nouvelles plaintes ? Pourquoi pas, si l’on observe que les plaignants appartiennent à des catégories qui jusque-là avaient épargné le journal. La diversification des plaintes tendrait à montrer que, malgré la promotion d’un "esprit Charlie", les tolérances individuelles et communautaires se font de plus en plus limitées.
Mais si l’on se replace dans le temps long de l’histoire de l’hebdomadaire et de la caricature, alors nous pouvons louer comme un "retour à la normale" – pour paraphraser une fameuse affiche de 1968. Après les violences extrêmes de janvier 2015, il est heureux de constater que les désaccords peuvent encore se régler sur le terrain judiciaire.
Voir en ligne : L’article de L’Express
(par Frédéric HOJLO)
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