Peu de jeunes auteurs ont un parcours aussi particulier qu’Alexandre Franc. Après Les Isolés qui raconte le naufrage d’un couple après un avortement mal assumé (Paquet, 2007), il se penche sur le sens de la révolte de Mai 68 (Mai 1968, histoire d’un printemps, Sc. Arnaud Bureau, Ed. Berg, 2008) avant d’évoquer avec le docteur Laurent Alexandre les perspectives parfois angoissantes de la manipulation génétique (Macula Brocoli, Champaka, 2009). Il reprend le scénario pour Actes Sud avec Victor et l’Ourous, une parabole intelligente et décalée sur l’amour, avant de commettre avec Thomas Cadène (qu’il retrouve sur Les Autres Gens) un hommage à Jean-Paul Goude (La Jungle des images, Dupuis, 2011) et de céder le dessin à Claire de Gastold pour Les Satellites (Gallimard, coll. Bayou, 2012), une fable sur l’adolescence perturbée.
Il retrouve ici l’écriture et le dessin pour évoquer l’écrivain Régis Debray, philosophe, membre de l’académie Goncourt, normalien et compagnon de route de Che Guevara, figure de la gauche française qui rencontre Pablo Neruda et Salvador Allende, co-organise l’enlèvement et le procès de Klaus Barbie, avant de devenir le fondateur de la médiologie.
Au départ, il pense pouvoir faire une bande dessinée avec lui, suite à une déclaration de l’écrivain sur ActuaBD (voir notre entretien avec le dessinateur en cliquant sur le lien ci-dessous). Mais très vite, en dépit d’une rencontre où s’exprime une sympathie réciproque, il se rend compte que la conception de la BD par l’écrivain, qui est de l’ordre du fantasme, ne correspond pas à son approche. Il en résulte un dialogue autour d’un projet qui est aussi une réflexion sur la condition précaire de dessinateur de bande dessinée aujourd’hui, et surtout de jeune dessinateur qui a grandi dans l’admiration de Scott McCloud et des grands auteurs de L’Association.
Rares sont les ouvrages qui affichent une telle sincérité et un tel respect du sujet. Sans esbroufe, avec une intelligence pénétrante, Alexandre Franc interpelle Régis Debray dans ce qu’il a de plus brillant : ses idées sur l’action politique, la République, les grands hommes de l’Histoire de France, la Colonisation... Mais en même temps, comme un nain face à un géant, il ne cache pas le caractère impressionnant de la démarche, ni la difficulté d’en faire une bande dessinée dans les conditions qui sont les siennes, celles d’un jeune père dans une situation économique précaire. Une sorte de rencontre du troisième type.
Ne ratez pas ce qui constitue l’un des ouvrages les plus intelligents de cette rentrée.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion