Les scénaristes (et frères) Bruno Ricard et Sylvain Ricard ont adopté un parti-pris intéressant : tous leurs personnages sont plus antipathiques les uns que les autres. Que ce soit la commanditaire de la mission de Christophe Anatoli Dorvechess (dit "Chess"), notre personnage principal envoyé détruire une petite base militaire où il découvre un mystérieux gamin convoité par beaucoup de monde, l’ami de Chess, prêt à le trahir, ou même le dit Chess, uniquement préoccupé de sa propre survie et qui s’enfuit avec l’enfant, tout ce petit monde se dézingue sans scrupules, et la vie humaine ne vaut pas cher. Il est préférable que le lecteur se s’attache pas trop aux personnages qu’il rencontre...
En tout cas, on ne pourra pas reprocher aux scénaristes de masquer les effets de la violence pour mieux divertir leur lectorat. Le seul léger reproche que l’on pourrait leur adresser serait celui du rythme choisi : s’il est assez haletant, Chess n’arrêtant pas de courir pour éviter de se faire prendre, il laisse tout de même un peu sur sa faim, le mystère qui entoure la mission de Chess restant quasiment entier au bout de 48 pages. L’enfant transporté par Chess (et pas vraiment par altruisme) est manifestement au cœur d’une opération scientifique de grande envergure, mais absolument rien n’en est révélé dans ce premier tome. Le lecteur pourra donc au choix soit se sentir un peu frustré, soit être suffisamment intrigué pour vouloir lire la suite.
Le travail du dessinateur Michaël Minerbe, qui signe ici son premier album, manque parfois de souplesse dans la gestuelle des personnages, mais l’ambiance créée par ces gueules découpées à la serpe (et la mise en couleur soutenue d’Albertine Ralenti) convient bien à ce monde froid et désespéré.
La métaphore du jeu d’échec traverse l’album, depuis le nom du personnage principal jusqu’aux scènes agréablement énigmatiques entre un responsable chinois et un autre arabe, s’affrontant politiquement et sur l’échiquier. L’impression de manipulations à plusieurs niveaux est effectivement bien là, et peut être mise au crédit des scénaristes, qui semblent avoir monté une intrigue joliment complexe.
(par François Peneaud)
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