Marie pleurait sur les pieds de Jésus a été publié par les éditions Cornélius en mai dernier. Mais c’est en ce mois de novembre que Chester Brown, auteur controversé de la bande dessinée alternative canadienne, vient présenter son ouvrage en France. En dédicace à Paris, Bordeaux, Lyon et au festival de Colomiers, le dessinateur aura sans doute l’occasion de débattre avec ses lecteurs.
Car son dernier livre est propice au débat. C’est pour cela qu’il semble avoir été réalisé, mais c’est aussi ce qui lui confère l’essentiel de sa valeur : donner à réfléchir et à discuter sur la Bible, la place que les femmes y trouvent et les interprétations que nous pouvons en faire. Si Chester Brown partage un avis à la fois très personnel et fort documenté, il ne l’impose pas de façon univoque et signale explicitement qu’il demeure ouvert à toute nouvelle idée, tout nouvel apport à l’exégèse biblique.
Nous connaissons depuis quelques années déjà les liens très singuliers que Chester Brown entretient avec la gent féminine. Son livre Vingt-trois prostituées racontait ainsi comment, après avoir été déçu par ses relations amoureuses, il s’était décidé à n’avoir des rapports sexuels que tarifés et presque dénués de sentiments. Mêlant confession candide, défense des "travailleurs du sexe" et auto-justification, ce livre avait engendré quelques polémiques – tout en rassurant sur les qualités narratives et graphiques de son auteur !
Cette défense des prostitué(s)s et de leurs client(e)s reste présente dans Marie pleurait, ainsi qu’une forme d’auto-justification. Mais ce n’en est pas le cœur. Chester Brown souhaite sincèrement apporter une pierre à l’immense édifice des commentaires bibliques. S’il le fait en partant de ses sujets de prédilections, le lecteur ne pourra lui en vouloir. D’une part, nous ne relevons aucun systématisme chez l’auteur, qui reste capable d’éloigner des idées non convaincantes et qui pourtant auraient pu renforcer sa propre thèse. D’autre part, il fait preuve d’une réelle honnêteté, en signalant les passages relevant de la pure invention et en citant abondamment ses sources, du Robert Crumb de La Genèse aux biblistes les plus éminents.
Quelle thèse Chester Brown avance-t-il donc ? Pour lui, le rôle de certaines femmes de la Bible aurait été édulcoré, comme censuré, lors de l’écriture des Évangiles. Il met ainsi en avant cinq d’entre elles, qui auraient employé leur corps et la sexualité comme moyens d’actions à part entière – et sans pour autant qu’un quelconque châtiment divin ne vienne les en punir. Nous retrouvons là un thème cher à l’auteur, mais il parvient toutefois à le dépasser – à le transcender en quelque sorte.
Au-delà de la place des femmes dans la Bible, au-delà de son regard sur le travail sexuel, Chester Brown parvient à questionner le rapport au divin. Encadrant sa bande dessinée d’un chapitre sur Abel et Caïn et d’un autre sur la parabole des talents, la complétant avec une mise en images du Livre de Job, il cherche à montrer que l’obéissance aux préceptes divins, si évidente et confortable soit-elle pour un croyant, n’est pas forcément récompensée. L’initiative, l’inconséquence voire la débauche n’empêchent pas l’Amour divin. Le questionnement et la désobéissance sont des chemins vers Dieu.
Cette démarche risque fort de déplaire tant aux religieux fanatiques qu’aux laïcistes rigides. Pourtant, elle est éclairante : elle montre que croyants comme non-croyants ont tout à gagner à questionner le fait religieux. Marie pleurait nous rappelle l’efficacité du dessin de Chester Brown et la précision de son trait. Mais ce livre – qui n’a pas la prétention de détenir la Vérité ni même de conseiller s’il faut croire en Dieu ou non – est surtout un brillant travail de réflexion, qui ne peut que stimuler l’intellect du lecteur.
(par Frédéric HOJLO)
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