Dommage que cette couverture tape à l’œil ne permette pas au lecteur de mieux saisir l’univers de ce petit livre en format A5+. New Rodeo Girls met effectivement en scène une marshall fédérale des États-Unis. Elle passe de ville en ville pour remplir ses missions ou porter secours si une hors-la-loi met du grabuge.
"Rien de nouveau sous le soleil (couchant)" me direz-vous, "On a déjà vu et lu ce type de récit des dizaines fois !’ Et vous aurez raison : Nicky joue justement avec les poncifs du genre, mais pour mieux s’en soustraire. Son western n’est peuplé que de superbes jeunes filles (pas d’enfants, pas de personnes âgées) en perpétuel déshabillé de soie ou de cuir ; le seul homme est un fauve à qui l’on n’a pas donné la parole et qui est d’ailleurs abattu des les premières pages. Le tout est rythmé au son des "Paw" et "My Gode" !
Les lecteurs qui se jetteraient sur l’album en pensant y trouver des coups tirés en rafales, seront sans doute déçus car l’ensemble reste plus érotique que le plus pornographique Royal Gentlemen Club, la précédente série de l’auteur. Cela ne retire pourtant pas l’attrait de cette lubrique parodie : on rit de bon cœur devant les inventions de western irréel (bien qu’attractif) uniquement féminin, et on admire le soin que l’auteur apporte à chaque dessin, ce qui transparaît justement moins dans la couverture. Bondage, fétichisme, un peu SM et très lesbien, voilà un cocktail détonnant lorsqu’on y ajoute du second degré
De John Willie à ... Chaland !
L’auteur s’explique d’ailleurs dans un dossier en fin d’album, qui contient aussi de superbes crayonnés ! Si Nicky mentionne dans le détail les maîtres à qui ils se réfèrent (Hergé, Frollo, Adolfo Ruiz sans oublier bien entendu John Willie), voici ce qu’il pense de Chaland : "Ses parodies étaient empreintes d’une poésie certes puérile, mais authentiquement sincère. Son âme chaste lui aura interdit, hélas, de développer ses personnages féminins, pourtant riches en promesses légèrement voilées. La parodie est pourtant la porte ouverte à toutes les audaces, n’est-il pas vrai ?"
Et de parodies, il en est question à différents niveaux dans cet album. Après quatre-vingt pages de cet excellent western, Nicky explore les dessous de Rose Garden School, un pensionnat de jeunes anglaises. Si le graphisme est toujours très "léché", le second degré est moins bien exploité.
La qualité parodique est heureusement de retour dans les trois derniers courts récits de cet album de 160 pages. Ces Wonder Pin-Up revisitent de manière décalée les comics de l’après-guerre. Mandraga met en scène une héroïne au regard hypnotique qui se cache aux yeux du monde sous le voile sobre d’une nonne. Mais les séides du IIIe Reich vont la forcer à reprendre du service ! Décapant !
Des explications freudiennes
Quant au court récit Tricky & Suzy, il présente un savant qui vient d’inventer un produit miracle, et son neveu qui n’a d’yeux que pour son assistante et ses culottes en dentelles. Rajoutez un odieux malfaiteur qui dérobe le produit, ainsi que des envies de croissance forcée chez le jeune Tricky pour séduire la belle Suzy, et voilà une superbe illustration des talents de Nicky, une réussite qui aurait d’ailleurs mérité un plus grand format.
L’auteur a sans doute puisé dans sa propre jeunesse pour ce récit, car il écrit dans la postface concernant l’après-guerre : "[Avec le] nylon, qui allait désormais habiller ces courbes, au plus près, [...] débutait l’âge d’or de la lingerie, exaltant le nouveau paradigme de la féminité. Car, sous le tailleur serré de ces dames et de ces demoiselles, l’œil inquisiteur du connaisseur devinait ou croyait deviner l’attache d’un porte-jarretelles ou la bretelle d’un soutien-gorge. Une découverte de nature à nourrir, voire à enflammer l’imagination d’un enfant voué dès sa naissance, au culte de la beauté, celle de la déesse Femme."
Pour vous donner un bon aperçu du style de Nicky et ses orientations artistiques, voici encore ce qu’il pense du fétichisme, un genre dans lequel on aurait tendance à le classer : "Le terme « fétichisme » est abusif, en l’occurrence. Il est vrai que l’habillage du corps doit le magnifier, dès lors, le choix entre la robe de bure et le soutien-gorge est rapidement établi. Le corps nu ne présente qu’un vague intérêt anatomique, plus proche de la bestialité crue que de la suggestion érotique. La lingerie directement en contact avec la peau a pour effet, outre de structurer le dessin, de mettre en valeur ce qu’elle cache, tout comme le flacon est souvent plus propice à stimuler l’imaginaire que le parfum qu’il contient. [...] Le fétichisme dans sa conception freudienne, consisterait à revêtir la femme de costume qui la rendrait intouchable, qui la mettrait hors de portée du désir masculin, qui la transformerait "magiquement" en divinité dominatrice. Le costume de Wonder Woman est fétichisé, tout comme la fourrure évoquée dans le masochisme. Le cuir et les bottes d’Emma Peel lui confèrent un ascendant insurmontable sur John Steed et son chapeau melon."
Super-héroïnes costumées, quelques fessées pas trop appuyées, un culte rendu au corps de la femme, un peu de bondage et beaucoup d’humour et un dessin très qualitatif, le cocktail de New Rodeo Girls parlera aux amateurs du genre qui recherchent un peu de fraîcheur, du renouveau dans un genre éculé.
(par Charles-Louis Detournay)
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