Le karuta est un jeu de cartes japonais basé sur la mémorisation et la rapidité, joué traditionnellement au nouvel an. Il en existe une variante dite « karuta de compétition », qui se joue comme son nom l’indique en compétition, par équipe ou seul, à travers des clubs qui s’affrontent lors de tournois.
Le josei manga [1] de Yuki Suetsugu narre les aventures de Chihaya Ayase qui rencontre durant ses années collèges un joueur talentueux de karuta, Arata Wataya, qui va lui transmettre la passion pour ce jeu un peu étrange et ringard.
Quelques années plus tard Chihaya, qui s’entraîne depuis sans relâche pour obtenir un jour le titre suprême de Queen [2], monte à son entrée au lycée un club de karuta. Recruter des membres, se préparer pour les tournois et affronter des équipes de lycées spécialisés en karuta, tels seront les principaux challenges auxquels sera confrontée notre héroïne.
La bande dessinée japonaise a ceci de particulière, parmi d’autres choses : n’importe quel sujet peut faire une histoire. Elle dénote aussi d’un goût certain pour les récits sportifs – dont les succès se trouvent malheureusement rarement transportables sur le marché français.
Chihayafuru combine ces deux aspects et traite son sujet à la manière d’un récit sportif. En soi, une recette classique mais il reste rare de voir un josei manga développer une histoire dans le pur style shônen sportif [3].
L’an dernier la série débutait la période de la seconde année au lycée de nos héros, avec en perspective le tournoi inter-lycée. Depuis nous sommes emmenés dans le vif du sujet et le lecteur, accompagnant Chihaya et ses amis, a enchaîné les matchs.
Les tomes dix et onze furent consacrés aux sélections, et depuis le tome douze se déroule la première phase du tournoi, celle par équipe, qui arrive dans ce quatorzième tome à la grande finale.
Le tournoi a été l’occasion de croiser la route, comme il se doit, d’équipes adverses aux caractérisations variées qui ont permis de mettre en valeur chacun de nos héros, mais également leurs interactions en tant que co-équipiers, se soutenant et se motivant entre eux.
Ce tome s’ouvre sur le dénouement de la demi-finale qui met ainsi en valeur « Bûcheur », le chétif binoclard, peu sûr de lui, mais dont la capacité à récolter des infos sur ses adversaires et à les synthétiser s’est révélée plus d’une fois cruciale.
Kanade a également droit à un joli moment illustrant sa passion et sa persévérance dans le karuta, suivi d’une touchante passation pour la finale. Des passages axés sur les compagnons de Chihaya fort réussis qui participent à une gestion très agréable du personnel du manga.
À ce titre, on appréciera les prestations colorées de « Maigrichon », le style pimbêche de l’adversaire de Chihaya en demi-finale ou le caractère lunatique et décalé de Shinobu la Queen (avec ses caleçons décorés d’un personnage fétiche douteux !), et de façon générale les dynamiques des équipes qui mêlent toujours avec efficacité humour et émotion.
En effet quelle série sportive peut espérer passionner sans adversaire digne de ce nom en termes de caractérisations ? En effet il ne suffit pas de leur coller l’étiquette de « fort » ou de « très fort » pour susciter de l’intérêt.
À cet exercice Yuki Suetsugu se montre donc très douée, et si on ajoute son trait précis et propre, qui lui permet de mettre en scène des corps (et non de simples silhouettes) et de saisir l’intensité des échanges à l’aide de cadrage dynamique, alors nous obtenons un excellent récit « sportif ».
Chihayafuru, un titre improbable pour une histoire qui l’est tout autant, mais qui se révèle, tome après tome, passionnant et exaltant à suivre, de quoi même donner envie de s’essayer au Karuta !
(par Guillaume Boutet)
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Chihayafuru T14. Par Yuki Suetsugu. Traduction Fédoua Lamodière. Pika Edition, Collection "Shôjo". Sortie le 25 novembre 2015. 176 pages. 7,50 euros.
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Lire la chronique du tome 9.
[1] Josei : désigne un type de manga ayant pour cible éditoriale des femmes adultes.
[2] Queen : titre suprême féminin dans le Karuta. Celui pour homme est Maître. Il existe également des tournois mixtes pour les titres de Meilleur du Japon et de Champion National.
[3] Shônen : désigne un type de manga ayant pour cible éditoriale des garçons adolescents.