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Christian Durieux : "Dans Geisha, nous suivons la quête d’indépendance d’une femme dans un cadre extrêmement codifié"

Par Christian MISSIA DIO le 24 août 2018                      Lien  
À l'occasion de la publication du second et dernier tome de "Geisha ou Le jeu du shamisen", l'excellente histoire écrite par Christian Perrissin pour les éditions Futuropolis, nous avions rencontré son compère, le dessinateur Christian Durieux, lors de son passage à Bruxelles. Entre anecdotes et ambitions artistiques, l'auteur se livre avec sérénité.
Christian Durieux : "Dans Geisha, nous suivons la quête d'indépendance d'une femme dans un cadre extrêmement codifié"
Geisha ou Le jeu du shamisen T.2/2
Christian Durieux & Christian Perrissin © Futuropolis

Geisha ou Le jeu du shamisen. Cette histoire en deux tomes, est votre première collaboration avec Christian Perrissin. Comment est né ce projet ?

Christian Durieux : Geisha ou Le jeu du shamisen est né d’une idée de Christian Perrissin, qui est un passionné du Japon. Pour cette histoire, il s’est particulièrement intéressé à l’univers et à la destinée des geishas. Nous ne nous connaissions pas à la base. Christian à proposé ce scénario à Sébastien Gnaedig, notre éditeur chez Futuropolis, qui me l’a ensuite proposé. Et inversement, il a fait lire une de mes BD à Perrissin. Nous nous sommes alors rencontrés, contents de collaborer ensemble.

Il y avait deux choses qui m’intéressaient dans ce projet. D’une part, le destin individuel d’un personnage. Dans notre BD, nous suivons le destin de Setsuko Tsuda, une petite fille qui est vendue par sa famille en vue de devenir une geisha. Elle intégrera une okiya - une maison de geishas - pour débuter son apprentissage de l’art car en japonais, geisha signifie “femme qui excelle dans le métier de l’art ”. Tout au long de l’histoire, notre héroïne essayera de trouver sa liberté et son autonomie dans ce cadre extrêmement codifié.

L’autre chose qui m’intéressait dans ce projet, c’est que j’étais justement à la recherche d’un dessin qui s’organise autour de la sensibilité de la ligne. Une ligne que je trace au crayon et au fusain. J’ai pensé que l’univers des geishas et du Japon serait encore mieux retranscrit à travers ces techniques.

Concrètement, comment avez-vous fait pour retranscrire les ambiances de cet univers ?

Ce qui m’intéressait, c’était l’espèce d’ambiguïté, d’ambivalence dans laquelle se retrouve notre personnage. Setsuko se retrouve dans un monde de règles dont elle va être tributaire. Vous le savez, le Japon a une culture très patriarcale. C’est un univers très dur car lorsqu’elle est achetée par la maison de geishas, celle-ci investit une grosse somme d’argent pour l’éducation, la prise en charge et la formation de la jeune fille, qui devra ensuite rembourser cet investissement.

Geisha ou Le jeu du shamisen T.1/2

L’éducation est particulièrement mise en avant dans votre diptyque car on voit notre geisha apprendre le maniement du shamisen, qui est une sorte de luth.

En effet et c’est une idée intéressante de Christian Perrissin. Dans l’imaginaire occidental, la geisha représente surtout la séduction à la japonaise. Hors, notre héroïne n’est pas particulièrement belle et séduisante. Elle a des traits disgracieux - je lui ai fait un gros nez - et ne possède donc pas les atouts d’une courtisane. Elle va donc devoir compter sur un talent particulier pour se faire remarquer, qui est celui de l’art du shamisen, cette guitare à trois cordes dont jouaient les geishas. C’est ce qui va lui donner son autonomie et sa liberté. Mis il y a un prix à payer, puisqu’elle est en même temps captive de cette société très réglementée.

Vous êtes un auteur complet. Est-ce un sujet que vous auriez aimé développer seul ?

Oui mais je n’aurais jamais eu la finesse de Christian Perrissin. Moi, je suis un bavard dans mes scénarios, tandis que Christian a trouvé un angle intéressant pour ce diptyque : c’est notre héroïne âgée qui raconte son histoire. L’histoire est racontée par des textes off à la première personne et c’est fait avec beaucoup de finesse. Il n’y a pas énormément de paroles. Tout cela est extrêmement retenu, extrêmement pudique. Cela permet de faire ressortir, à la fois le côté séduisant de cet univers et l’aspect plus dur et sordide de la condition de vie des geishas. Nous montrons l’arrière-cuisine, si je puis dire.

Geisha ou Le jeu du shamisen T.1/2

Dans ses scénarios, Christian Perrissin réussit souvent à faire ressortir les failles de ses personnages tout en leur conservant un certain charisme. C’était notamment le cas de Vera Mikhaïlov, l’héroïne de la série El Niño. Qu’est-ce qui vous rapproche artistiquement, Perrissin et vous ?

À travers des titres tels que Kongo ou Martha Jane Cannary, il y a un côté didactique dans les scénarios de Christian Perrissin. On apprends des choses sur une société, une civilisation ou une organisation, mais cela est fait à travers des personnages extrêmement romanesques. Et qui dit romanesque, dit ambigu et complexe. Ce ne sont pas des personnages caricaturaux.

L’évolution de la petite Setsuko, c’est l’évolution d’une femme emprisonnée dans une histoire compliquée pour elle-même mais aussi emprisonnée dans l’Histoire complexe du Japon, qui est en pleine évolution à cette époque-là. L’Empire du Soleil levant s’ouvre à l’Occident mais ressent encore le besoin de préserver ses codes. Et tout cela, Christian le fait à travers un personnage, qui est sensible, qui est humain et qui est en évolution.

On va suivre en fait toute son évolution, de sa vie de jeune fille jusqu’à sa vieillesse. Donc, on va pouvoir vivre avec elle toute l’ambiguïté de sa condition. À la fois, la condition de quelqu’un qui a gagné sa liberté par rapport à sa condition d’origine, d’un milieu très pauvre et analphabète, elle passe dans un milieu très éduqué et raffiné. Mais dans ce milieu-là, il y a aussi un prix à payer pour en faire partie. Christian résume cela magnifiquement dans une phrase : “le goût amer de la liberté”. Et ça, c’est la grande force de Christian Perrissin, c’est de montrer cette ambivalence. Il montre une liberté qui est le prix de nombreux sacrifices, ce qui rend Setsuko finalement assez fragile et humaine.

Trente ans de bande dessinée

Cela fait près de trente ans que vous faites de la BD. Vous aviez débuté avec le scénariste Bosse. Quel regard portez-vous sur votre parcours ?

Houlà, c’est très loin ! J’étais encore un enfant quand j’ai débuté avec Bosse (rires). Ce qui est génial, c’est que je suis à un stade de ma vie où il y a encore plein de choses que j’aimerais faire. Ça, c’est sûr !

Geisha ou Le jeu du shamisen T.2/2

Considérez-vous que votre art est arrivé à maturité ?

Ce qui est certain, c’est que je n’ai pas de regrets. Par contre, je dirais que je fonctionne par bonds. Et en quelque sorte, il y a des moments dans tout ce travail que j’ai fait, certains livres que j’ai réalisés représentent des étapes qui m’ont fait grandir et avancer vers des choses disons, plus personnelles. Parfois, cette évolution ne se fait pas en travaillant sur ses propres scénarios mais en collaborant avec d’autres scénaristes. Et là, en l’occurrence, en travaillant sur cette histoire écrite par Perrissin, j’ai fait évoluer mon travail esthétique. C’est donc de nouveau une étape qui me sera utile pour le futur. C’est gentil de dire que je suis arrivé à maturité, graphiquement parlant, mais je n’aimerais pas que cette maturité soit synonyme de fin.

Que cette maturité soit une sorte d’apogée qui marquerait ensuite une régression dans votre art ?

Oui, c’est ce que je veux dire. Mon travail sur Geisha doit être un début de rebond vers autre chose. Quelque chose qui me servira pour la suite de ma carrière. Je suis loin d’être blasé, au contraire. Tous ces moments de nouveaux bonds, sont des moments qui créent de nouvelles stimulations, un nouveau désir pour encore aller vers autre chose. Donc c’est extrêmement positif pour la suite de mes projets.

Un "Spirou par..."

Justement, quels sont vos prochains projets ?

Je travaille actuellement sur un projet complètement différent. Il s’agit d’un Spirou par... que je réalise en tant qu’auteur complet. C’est une manière de varier les plaisirs que d’alterner des projets en collaboration ou en solo.

Geisha ou Le jeu du shamisen T.2/2

Vous opérez une sorte de retour aux sources, en quelque sorte ?

En quelque sorte. À propos de l’allusion à Bosse que vous m’aviez faite tout à l’heure, je dois préciser qu’il m’a donné cours pendant un an dans le collège où j’étudiais dans mon adolescence. Et c’est lui qui m’avait encouragé à cette époque-là à aller frapper à la porte de la rédaction de Spirou, car il y avait la fameuse rubrique « Carte blanche » pour les auteurs débutants.

Manque de chance pour moi, ils venaient juste d’arrêter cette rubrique quand j’ai été les voir. Mais bon, je n’avais que 13 ou 14 ans et mon style n’était pas suffisamment mûr pour pouvoir espérer publier dans leurs pages. J’ai attendu vingt ans mais j’y suis finalement retourné. Ce qui est marrant c’est que je suis retourné chez Spirou avec la série Oscar, qui était portée sur l’enfance, tandis que le gros de mon travail est plutôt dans le registre réaliste.

Quel est le pitch de ce nouveau one-shot Spirou ?

J’ai eu beaucoup de plaisir à écrire cette histoire. Il s’agit d’un huis-clos dans un grand palace au bord d’un lac à la montagne, qui se déroule durant trois jours et trois nuits. Nous suivons un dictateur déchu qui vient se réfugier dans cet hôtel qui s’appelle le “Pacific Palace” car jadis, ce potentat y avait signé un traité de paix pour la fin d’une guerre dans les Balkans.

Il vient s’y réfugier mais la France est un peu embarrassée car elle ne sait pas quoi faire de ce singulier personnage. D’un côté, il n’est pas bon d’être associé à lui mais d’un autre côté, cet ancien dictateur connait beaucoup de secrets embarrassants. Il serait donc malvenu de le pousser manu militari hors des frontières françaises. Il faut donc trouver une solution à ce problème. Cette solution sera trouvée dans ce palace, où justement un certain Spirou y travaille comme groom en compagnie de son ami Fantasio... Ce qui est intéressant c’est qu’à la fin de l’intrigue, nos deux héros auront chacun une vision complètement différente des événements dont ils auront été les témoins. Fantasio n’aura pas la lecture exacte des événements, contrairement à Spirou.

Quand sortira cet album ?

Je pense vers 2020. Avant cela, il y aura le magnifique Spirou d’Émile Bravo qui paraîtra enfin. Il s’agit d’un livre épais, qui devrait probablement sortir en quatre volumes.

Geisha ou Le jeu du shamisen T.2/2

Voir en ligne : Découvrez le diptyque "Geisha ou Le jeu du shamisen" sur le site des éditions Futuropolis

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782754822855

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Photo : Christian Missia Dio

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