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Christian Durieux : "Le deuxième album de Des Gens honnêtes est un vrai livre hédoniste".

Par Nicolas Anspach le 30 octobre 2010   Des Gens honnêtes est un vrai livre hédoniste"." data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Twitter">            Des Gens honnêtes est un vrai livre hédoniste"." data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">    Des Gens honnêtes est un vrai livre hédoniste".&body=À%20lire%20sur%20ActuaBD%0D%0Ahttps://www.actuabd.com/Christian-Durieux-Le-deuxieme" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="E-mail">   Lien  
{{Christian Durieux}} s’est associé à {{Jean-Pierre Gibrat}} pour mettre en scène la vie ordinaire de Philippe, un homme de 53 ans qui perd son travail, et tente de se reconstruire. Les auteurs nous brossent son portrait avec beaucoup d’humanité, de fraicheur et de sensibilité et nous racontent les épreuves et les joies qu’il rencontre.

Philippe mène une vie tranquille. Toujours un peu porté sur le Côte du Rhône, il affiche une désinvolture que rien ne semble devoir altérer, pas même le renvoi de son fils Arnaud du lycée. Qu’à cela ne tienne, il va aller avec lui dans le Bordelais, voir ce lycée hôtelier où Arnaud pourrait terminer ses études. Simplement, on n’est jamais à l’abri d’une bonne idée… Celle-ci va surgir, dans un moment d’ennui profond dans le train : et s’il montait un salon de coiffure dans le TGV ?


Christian Durieux : "Le deuxième album de <i>Des Gens honnêtes</i> est un vrai livre hédoniste".Vous avez rencontré Jean-Pierre Gibrat grâce aux éditions Dupuis.

Effectivement. Jean-Pierre voulait écrire cette histoire depuis longtemps. Il cherchait un dessinateur. J’étais alors plongé dans la réalisation de l’album Central Park, scénarisé parJean-Luc Cornette. Claude Gendrot, l’ancien directeur éditorial des éditions Dupuis [1], a montré quelques pages en noir et blanc de Central Park à Jean-Pierre. Il a été intéressé. Claude a alors organisé une rencontre. Jean-Pierre m’a parlé de l’histoire pendant cinq minutes. Ensuite nous avons refait le monde en riant beaucoup ! J’ai vite découvert que Jean-Pierre était d’une grande modestie. J’ai immédiatement été en confiance pour travailler avec lui. Les événements de la vie et les disponibilités de chacun ont fait que notre méthode de travail a évolué.

Dans quel sens ?

Le deuxième album de Des Gensnonnêtes a été écrit à quatre mains. Au fil des mois et des années, nous sommes devenus très complices. Nous avons la même empathie et la même tendresse pour les gens et nos personnages de fiction. Cette année, nous n’avons pas eu beaucoup l’occasion de nous voir, mais nous travaillons beaucoup via Skype. Le soir, on passe des heures à discuter de la vie et de notre histoire. Au début, ma femme me prenait pour un fou, car je riais beaucoup, tout seul, dans mon atelier (Rires). C’est toujours ainsi lorsque je discute avec Jean-Pierre.

Extrait des "Gens honnêtes" T2 - Philippe rencontre Robert, un libraire épicurien.
(c) Durieux, Gibrat & Dupuis

Jean-Pierre Gibrat nous a dit vouloir écrire une dizaine d’albums dans cetet série…

C’est peut-être beaucoup ! Mais il est prévu que nous en réalisions cinq ou six. Ce sera un peu inédit pour la collection Aire Libre qui ne publie que des histoires de maximum trois volumes ! Mais on n’y peut rien : c’est l’éditeur qui a souhaité publier nos livres dans cette collection. Jean-Pierre et moi-même savons comment nous allons conclure la série. Mais il nous faudra cinq ou six albums pour y arriver. Philippe restera le personnage principal, mais d’autres vont prendre de la place, comme dans cet album, Robert.

Les femmes étaient peu présentes dans le premier tome. Pourtant Jean-Pierre Gibrat est connu pour sa manière de les mettre en scène avec subtilité.

La fille de Philippe intervenait beaucoup dans la première histoire ! C’était l’enfant de Philippe qui était la plus présente. Par contre, finalement, nous n’avons pas abordé le parcours de son ex-femme ! Il se peut qu’un jour elle intervienne pleinement. Rien n’est prémédité dans cette série. Le premier album racontait la descente aux enfers de Philippe, qui perdait son boulot. Il était proche de la clochardisation. Puis, par une pirouette, il remonte la pente en arnaquant 300.000 € à quelqu’un ! On s’est demandé ce qu’il allait faire de cet argent. C’est une belle somme, mais pas si énorme que cela. Il pouvait s’acheter un commerce, mais cela ne nous semblait pas très innovant ! On a cherché une idée. Et on la eue : Comme il perd une partie de son fric suite à de mauvais placements, Philippe va devoir rebondir…

Extrait du T2 des "Gens honnêtes"
(c) Durieux, Gibrat & Dupuis

… Et il devient coiffeur ! Il ouvre un salon de coiffure dans un TGV. D’où vient cette idée étrange ?

Jean-Pierre avait le souvenir de trajets en train où il s’était ennuyé. Et il s’était demandé alors ce que l’on pourrait faire dans un train si on n’avait pas de livre à lire. Il a eu cette idée : se faire coiffer. Dans la vie de tous les jours, on postpose ce genre de contrainte. Là, dans un train, on a du temps pour soi. Un amoureux peut se refaire une beauté avant de voir sa fiancée. Un homme d’affaires peut se faire coiffer avant une réunion, etc.

Jean-Pierre Gibrat nous disait que Philippe lui ressemblait beaucoup.

Oui. Dans l’humanité et dans sa façon particulière de prendre la vie. Philippe est de la même génération que Jean-Pierre. Il se sent proche de lui pour cette raison. Et puis, dans son entourage, il y a sûrement des gens qui ont rencontré les mêmes difficultés que Philippe. Les enfants de Philippe ressemblent aussi beaucoup à ceux de Jean-Pierre.

Christian Durieux & Jean-Pierre Gibrat à "Quai des Bulles"
(c) Nicolas Anspach

Après la déprime et l’alcoolisme, Philippe commence à s’en sortir …

Il garde quand même l’alcoolisme ! Il faut rester sérieux, quand même ! (Rires). Il ne va pas tout jeter d’un coup. Blague à part, il commence à s’en sortir grâce à différentes rencontres. Sa famille le soutient et ses nouveaux amis lui donnent des coups de pouce ! L’entourage de Philippe est important dans cette série. Un personnage différent sera à l’avant-plan dans chaque album.
Et puis, vous aurez remarqué que cette BD est un vrai livre hédoniste qui parle du plaisir de la vie ! J’espère qu’il comporte également un côté jubilatoire.

Effectivement, et Philippe est visiblement heureux sur le dessin de couverture de ce deuxième album…

Notre éditeur, José-Louis Bocquet en voyant ce dessin nous a dit : «  Génial, c’est la top couverture bien-être de l’année » (Rires).


La couverture du premier tome représentait aussi un personnage couché …

Ah, oui ?! Vous avez raison. La première était déjà dans la mélancolie. Mais pour cet album-ci la mélancolie est plus douce.

Qui a eu l’idée d’amener dans la série Robert, un personnage volubile et excessif. Il aime boire du bon vin en dissertant ou en lisant de la littérature …

C’est une de mes idées. J’aime beaucoup la littérature. Je suis un gros lecteur de livres. Et j’aime aussi le vin. Ce n’est pas pour rien que je suis parti habiter en France, dans la région de Bordeaux, au milieu des vignes. Une partie de l’histoire se passe d’ailleurs près de chez moi. Il est possible que cela continue et que les Gens honnêtes prennent une direction plus champêtre. Rien n’est décidé pour le moment. Et puis, nous avons choisi cette région pour une raison pratique : le trajet en TGV entre Paris et Bordeaux dure trois heures. On peut coiffer beaucoup de personnes pendant un tel trajet ! Cela permet à notre personnage d’avoir le temps pour coiffer des gens, et … de devenir amoureux !
Pour en revenir à Robert, j’ai amené ce personnage. Mais Jean-Pierre se l’est directement approprié. Il a une un art inimitable pour amener des dialogues ciselés. Alors que j’écrirais un dialogue basique du style « Victor Hugo, c’est costaud ! », Jean-Pierre lui emploiera un texte plus imagé, plus fort : « Victor Hugo, c’est charpenté comme Notre-Dame-De-Paris ». Les dialogues de Robert sont dans cette veine.

Voici la première version (en crayonné) de la première demi-page 28 (planche 26), que Christian Durieux a ensuite entièrement redessinée pour changer le rythme.
(c) Durieux, Gibrat & Dupuis

Vous avez travaillé avec Jean-Pierre Gibrat, Hervé Bourhis, Andreas et Jean-Luc Cornette, qui sont tous les quatre dessinateurs. Est-ce que vous avez ressenti une différence dans l’écriture par rapport à des scénaristes qui ne manient pas le dessin ?

Andreas est un horloger ! Il construit ses histoires d’une manière remarquable. Ici, pour les «  Gens honnêtes », on avance à tâtons. Il y a trois mois, on ne savait pas comment le livre se terminerait. Le découpage est très libre, et parfois je réalise des planches sans avoir de scénario. Vous parliez du personnage de Robert tout à l’heure. Eh bien, j’en ai eu l’idée du début de l’histoire, et j’ai dessiné les planches. J’ai demandé à Jean-Pierre ce qu’il pensait. Il a rebondi en modifiant des textes, des détails. Les dessins existaient avant la touche finale !
J’avais envie de faire un livre généreux, qui intègre beaucoup plus de cases. Cela permet de s’arrêter plus longtemps sur les personnages. Avec le recul, j’ai l’impression que le premier tome des «  Gens Honnêtes » était un peu pingre. Je voulais qu’il soit plus riche, plus nourri !

Plus vous vieillissez, plus votre trait devient souple.

C’est le contraire du corps (Rires). Oui, je commence à être satisfait de mon trait. Cela ressemble à ce que j’ai envie de faire. Les Gens honnêtes est une histoire du quotidien, où l’on fait passer des émotions qui peuvent être tragiques ou jubilatoires. Un style plus souple permet de passer sans encombre de la tendresse, à la simplicité, en passant par des ambiances totalement fantaisistes. Je pense à cette fameuse scène, qui se déroule durant la nuit, où Philippe et la serveuse passent leur temps à coiffer des mannequins dans le train. Cette scène est totalement fantaisiste. Mais nous essayons de toujours garder une justesse dans ce genre de séquence pour que les événements restent plausibles. Je dois en tenir compte dans mon dessin…

Allez-vous alterner des récits plus personnels avec Les Gens honnêtes ?

Oui. C’est un désir profond. Et puis, je me sens très lié à Sébastien Gnaedig, le directeur éditorial de Futuropolis. Cette maison d’édition me laisse explorer d’autres territoires. Je travaille actuellement sur un récit pour la collection Le Louvre, et qui mettra en scène le célèbre musée. Je suis sur un petit nuage ! J’assumerai le dessin et le scénario de cette histoire. J’aimerais aussi, idéalement, publier beaucoup plus rapidement le troisième tome des Gens honnêtes. Surtout, que comme je l’ai dit, ma collaboration avec Jean-Pierre est une vraie récréation. On avance souvent à l’aveugle, puis un rythme se crée. J’ai dû recommencer ou supprimer quelques pages pour cette raison. Dont notamment une scène où Philippe est obligé de coiffer les gens sur un quai dans une gare à cause d’une grève de la SNCF. Cela marche tellement bien pour lui qu’il aimerait qu’il y ait plus souvent des grèves pour embaucher du personnel (Rires).

Le crayonné de la première demie-page de la page 44 (planche 42) du T2 des « Gens honnêtes ». Il y a eu des changements dans le découpage entre cette esquisse et la planche finale. « Cet album fut une aventure à tâtons, en avançant, recommençant, au jour le jour. », nous dit Christian Durieux
(c) Durieux, Gibrat & Dupuis

Ce deuxième tome des « Gens honnêtes » est dédié à André Geerts. Que représentait-il pour vous ?

André était un ami. Je le connais depuis que j’ai commencé à réaliser des bandes dessinées. Ma femme, Françoise, a réalisé les couleurs de sept albums de Jojo sous le pseudonyme de Francesca. Nous nous côtoyions donc souvent. Lorsque nous sommes partis à Bordeaux, nous nous sommes un peu perdus de vue. Mais chaque fois que je revenais à Bruxelles, je le voyais. Nos rencontres, plus épisodiques, étaient très fortes et heureuses. J’ai appris sa maladie en terminant le livre. J’ai mis cette dédicace en espérant qu’il en ait connaissance. Mais hélas, l’album est paru après son décès.

Pourtant, dans le malheur, je suis heureux que ce soit ce livre-là en particulier qui ait pu lui être dédié : c’est un livre sur le goût de vivre, la légèreté, c’est un livre d’appétit et nous parlions souvent de cet appétit, de ce goût des choses, parfois aussi quand il lui arriver de nous manquer."

(par Nicolas Anspach)

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Christian Durieux, sur Actuabd.com, c’est aussi :

Une interview : "J’ai l’impression d’être plus nourri par mes lectures que par la réalité." (Septembre 2009)

Des chroniques d’albums :
- Des Gens Honnêtes T1
- Le Pont T1
- Gusgus T1

Lire aussi une interview de Jean-Pierre Gibrat à propos de Des Gens Honnêtes : "On peut prendre position en décrivant des personnages !" (Octobre 2008).

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Photographies : (c) Nicolas Anspach
Illustrations : (c) Durieux, Gibrat & Dupuis.

[1Aujourd’hui éditeur chez Futuropolis.

Les Gens honnêtes Dupuis ✏️ Jean-Pierre Gibrat ✏️ Christian Durieux
 
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