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Christophe Bec 2/2 : « Pour moi, il est capital de terminer les séries ! »

Par Charles-Louis Detournay le 2 septembre 2013                      Lien  
Rien qu'en 2013 et sans compter les deux "Prométhée", une dizaine de scénarios de Christophe Bec ont été ou vont être publiés au sein de quatre éditeurs différents. Revenons sur les projets d'un des scénaristes les prolifiques dans son domaine.

Christophe Bec 2/2 : « Pour moi, il est capital de terminer les séries ! »En partant d’un fait divers banal, vous installez savamment le suspense et la tension dans Le Meilleur Job du monde. Est-ce vraiment ainsi que vous fonctionnez ? En vous demandant quel secret inavouable peut se cacher derrière chaque événement ?

Il y a de ça oui, effectivement. Je dois être un peu parano et penser que les choses ne sont jamais aussi claires et nettes qu’on veut bien nous les présenter. Pour autant, je ne tombe pas non plus dans le panneau de croire que tout est complot, tout est caché, perverti. De toute façon, pour Le Meilleur Job du monde, je ne me voyais pas aller vers le récit intimiste d’un jeune homme, seul, sur une île paradisiaque. Je crois que ça aurait été très ennuyeux. Même si parfois j’aime bien aller vers ce type de récit, comme dans Royal Aubrac par exemple. Mais le cadre est tout autre dans ce dernier cas. Il fallait ici que je trouve un moyen de tordre cette histoire pour l’amener vers quelque chose qui puisse être intrigant. Et j’aime bien cette idée que cet endroit idyllique cache en réalité de la pourriture...

Comment vous est venue l’idée de partir d’une annonce publicitaire ? Un gigantesque coup de pub d’ailleurs !

Après que Dupuis ait décidé d’arrêter la série Sarah, Christophe Bec a proposé aux Humanos d’en reprendre la publication, qui s’achèvera en octobre avec le tome 3 inédit.

L’idée n’est pas de moi, mais de Jean Wacquet, mon directeur de collection chez Soleil. Il m’a proposé d’écrire quelque chose autour du buzz qu’avait fait cette annonce publicitaire. Habituellement, je refuse les commandes, mais là, je lui ai demandé un petit délai de réflexion, et très vite j’ai vu le parti que je pourrais en tirer. J’ai donc écrit un premier synopsis qu’il a accepté.

Vous présentez un héros bien caractéristique. Est-ce important qu’il colle à un certain type, ou le lecteur doit-il surtout pouvoir s’identifier à lui pour entrer dans votre intrigue ?

« Caractéristique », je ne sais pas… J’ai lu récemment la critique d’un collègue qui disait que j’avais tendance à ne camper que des personnages antipathiques et psychorigides. Bon, je ne sais pas si cet auteur en question a lu toute ma production, car je ne crois pas que ce soit le cas des personnages de Carême ou Royal Aubrac, mais ceci dit, il est clair qu’à la réflexion, j’aime bien les personnages assez monolithiques qui varient peu dans leurs opinions, leurs réactions. Ça correspond à un idéal, j’estime que c’est comme cela que l’on doit se comporter dans la vie, aller au bout de ses choix, être fidèle en toute circonstance à ses convictions. Cela doit peut-être se sentir dans la façon dont je définis mes personnages. Concernant Doug Ellis, le héros du Meilleur Job du monde, le choix de prendre un trader n’est pas un hasard (on le comprendra à la lecture du second tome) : il y a un peu de cynisme là-dedans, ainsi que d’en avoir fait un fils à papa un peu tête à claques.

Alors que pas mal d’auteurs à suspens jouent sur les flashbacks et les ellipses, vous présentez un récit purement chronologique. Cette histoire se présentait-elle ainsi pour ce type de construction ?

Le dernier tome révèlera pas mal de surprises et le récit va être d’une toute autre teneur. J’ai beaucoup hésité sur la façon de clore ce récit, mais là aussi, j’ai décidé d’être audacieux, ambitieux, de sortir des schémas classiques. Je suis en ce moment en train de réfléchir à ma façon d’écrire. J’ai vraiment envie de passer un cap et de me mettre plus en danger. On verra si ça paye, mais c’est ainsi que j’ai le sentiment d’avancer. Comme je l’ai souvent dit, je déteste la routine et, contrairement à ce que certains pensent, je suis de la catégorie des auteurs qui doutent beaucoup et se remettent en question continuellement.

Après, il y a des choses que je ne souhaite pas faire, dans lesquelles je n’irai jamais, des optiques auxquelles je ne veux pas déroger, comme par exemple aller dans une écriture essentiellement technique et mécanique comme le font remarquablement Van Hamme ou Dorison. Je reste persuadé qu’il faut amener une autre dimension dans un récit, quitte à ce que la technique soit un peu bancale. Pour moi, il y a toujours un manque dans ce type de récit : une dimension poétique, une plume plus instinctive, une prise de risques…

Je sais que les silences et les arrêts sont important pour faire monter la tension, mais vous auriez peut-être pu réaliser ce récit sous la forme d’un gros pavé plutôt qu’en deux ou trois volumes. Les diptyques et triptyques sont-ils la meilleure façon de toucher le lecteur d’aujourd’hui ?

Le Meilleur Job du monde sera effectivement en trois tomes, il était donc impossible de le réaliser sous forme de one-shot. Après oui, hormis Prométhée, je n’écris actuellement que des one-shots ou des cycles de deux ou trois albums. Ce qu’on appelait le few-shots (de 4 à 6 tomes) est risqué maintenant à mon avis, car on n’est pas certain de pouvoir aller au bout en cas de ventes faibles et, pour moi, il est capital de terminer les séries, je me suis toujours battu pour ça. Même si j’en ai abandonné au dessin, j’ai toujours bataillé pour trouver un repreneur, et même si des éditeurs ont arrêté quelques séries, là aussi, je me suis toujours bagarré pour trouver des solutions, trouver un autre éditeur… cela n’a pas toujours fonctionné, mais j’ai pu en sauver tout de même un bon nombre comme Pandémonium, Le temps des Loups, Carthago ou Sarah. Ces deux dernières séries continuent effectivement chez les Humanos.

Concernant une autre de vos grandes séries actuelles, Ténèbres, le tome 3 donne une réelle nouvelle dimension au récit, en expliquant les origines du héros et des dragons. Pourquoi avoir ainsi composé votre récit plutôt que de lui donner un aspect plus linéaire ? Toujours cet amour du puzzle et du jeu avec le lecteur ?

Le tome 4 sort au mois d’octobre.

Oui, probablement. Il faut dire que j’ai un peu rectifié le tir en cours de route concernant cette série. Au départ, je l’ai écrite en visant un public essentiellement adolescent, mais je me suis vite rendu compte qu’Iko avec son talent amenait une dimension supplémentaire au récit. Donc, dès le tome 2, j’ai plus écrit dans la veine habituelle de mes récits, plus adulte, moins référencé que dans le tome 1, avec des trouvailles. Je suis assez fier de celle de l’armée constituée de milliers d’hommes dont on découvre les cadavres prisonniers sous la glace d’un lac. Après, effectivement, dans un récit, j’aime bien souvent dévoiler les éléments, le background, au fur et à mesure, en dosant les révélations.

La magnificence du dessin d’Iko apporte un réel complément à l’album. Après trois tomes, est-ce que vous décrivez encore en profondeur les détails ou lui laissez-vous plus de liberté pour s’accaparer au mieux votre univers ?

J’essaie de laisser un maximum de liberté à Iko mais après, je suis tout de même assez précis dans mon découpage et la description des ambiances, des décors. Le tome 4 sera un long périple où l’on suivra les fuyards de la citadelle de Kirgräd ; ils traverseront de nombreux décors, très différents les uns des autres, à ce niveau j’essaie d’être très précis, de fournir éventuellement de la doc photo qui servira de référence visuelle [voir la capture d’écran ci-dessous. NDLR).

Une capture d’écran d’un scénario de Christophe Bec
© Christophe Bec

On est sidéré par votre lien au cinéma, car la construction et la fin de ce troisième tome est réellement du grand spectacle, à la manière hollywoodienne...

Oui, la fin de ce tome 3 est un des climax de l’histoire, je le voulais très spectaculaire, visuel, et surtout j’ai la chance d’avoir le dessinateur qu’il faut pour ce type de récit. Sans un grand dessinateur, je ne me serais jamais lancé dans l’écriture d’un scénario d’Heroïc Fantasy, un genre tellement éculé en BD notamment.

Je sais bien qu’on m’a reproché dès le tome 1 d’avoir écrit quelque chose de trop référencé, de déjà vu, de décousu, mais tout le jeu (et l’enjeu) est là. Quand tout a été fait dans un genre, il ne sert à rien de tenter de le renouveler. J’ai choisi le parti de planter un cadre connu, même s’il mixe différentes influences, et ensuite de créer quelques failles, plus originales, dans lesquelles s’engouffrer.

Au niveau de l’Heroïc Fantasy il ne sert même plus à rien d’essayer de revenir aux origines du genre, Alex Alice a tenté de le faire dans « Siegfried », avec talent d’ailleurs, mais au final, toutes l’HF a tellement puisé dans ces mythes, que cela revient à enfiler tout un tas de poncifs, même originels, et l’intérêt est limité au final. Pour ma part, j’ai préféré bourrer ce tome 1 de tout un tas de références digérées : Thorgal, Superman, Le Seigneur des anneaux… de shaker tout cela, et d’essayer de sortir un cocktail pas trop indigeste.

Comment va se composer la suite des aventures de Ténèbres ? En combien de tomes ?

Je pense qu’il y aura cinq tomes. Le tome 4 sera dans un genre totalement différent, pour le coup beaucoup plus linéaire. Cela m’a permis de développer le caractère des personnages, de m’attarder sur leurs relations, de créer des interactions. Quant au final du récit, si je n’en ai pas encore tous les aspects, je vais essayer, comme pour la plupart de mes autres récits, d’être ambitieux et de surprendre un peu. C’est le but que je me fixe, après, entre ce que l’on vise et la réalité, il y a souvent un écart.

Pour revenir à votre carrière, est-ce que Doppelgänger signait la fin de votre travail de dessinateur en bande dessinée ?

Jusqu’à il y a quelques mois, j’étais en pleine réflexion là-dessus. J’ai eu la possibilité de reprendre au dessin un célèbre personnage de BD : Bob Morane, puis cela ne s’est pas fait pour des raisons assez complexes à expliquer en quelques mots, c’est une longue histoire, il faudrait une interview complète pour ça !... Puis finalement, je me suis engagé pour un one-shot chez Glénat intitulé Les Tourbières noires que j’ai écrit aussi et où je reviens à un dessin grand format, travaillé, avec un encrage au pinceau. Avec le recul, je ne suis pas satisfait de ce que j’ai fait sur Doppelgänger. Je vais essayer de renouer avec le dessin que j’aime : très encré et fouillé, comme on en fait plus trop, avec à la fois un classicisme formel, mais aussi une modernité narrative. Enfin, c’est l’objectif : la réalité de la table à dessin, c’est tout autre chose !... Mais je me suis laissé un grand laps de temps, sans pression, pour essayer de réaliser mon meilleur album, en retrouvant véritablement le goût du dessin.

Christophe Bec reprend les pinceaux pour dessiner Les Tourbières noires, à paraître chez Glénat.
Photo : © Christophe Bec/Glénat

Si ma mémoire est bonne, ne vouliez-vous pas réaliser tout d’abord un film sur la thématique des Tourbières noires ?

Oui, c’était un projet de court-métrage au départ, qui devait être produit par Metaluna. Mais finalement, le projet n’a pas abouti. J’ai donc largement réadapté le scénario pour en faire une bande dessinée. Je suis surtout revenu à quelque chose de proche de la toute première version écrite pour le film, qui était plus personnelle, sans les nombreuses modifications qu’avaient demandé le producteur pour différentes raisons... En fait, c’est une adaptation extrêmement libre de La Peur de Maupassant. Je continue néanmoins à m’investir dans l’écriture et la réalisation de films. J’ai d’ailleurs tourné un autre court-métrage l’été dernier.

Vous avez multiplié les récits authentiques ces derniers mois, Aéropostale T1 et Death Mountains...

Le tome 1 de cette série chez Soleil avec Patrick Dumas raconte l’aventure d’Henri Guillaumet (grand ami de Saint-Exupéry), survivant des Andes après le crash de son avion. Un extraordinaire récit de survie, une leçon de témérité et de courage, et qui révèle aussi –et c’est ce qui m’a inspiré dans cette histoire– une vraie part d’absurdité. Et effectivement, j’ai réalisé ce diptyque chez Casterman, Death Mountains. Un récit que j’ai écrit sur une période de sept années et qui conte l’histoire dramatique du Donner Party, un convoi de pionniers lors de la conquête de l’Ouest qui s’est retrouvé piégé au sommet des Rocheuses, en plein hiver. Les survivants ont dû avoir recours au cannibalisme pour survivre. Le dessin est de Daniel Brecht dont ce sont les premiers albums. Je pense que c’est la révélation d’un dessinateur très doué.

Quels sont vos autres projets ?

Mon projet principal est déjà de bien finir ce qui a été entamé ! Ensuite au niveau des nouvelles sorties, un diptyque avec J-J. Dzialowski pour les éditions Glénat : « Lancaster – Les Portes de l’Arctique », un vrai grand récit d’aventure dans les glaces où est découvert une étrange momie... Toujours pour Glénat, un récit de science-fiction intitulé Sibéria 56 avec Alexis Sentenac au dessin, là aussi dans la glace : c’est également un récit de survie en groupe, sur une planète glaciaire avec une faune extrêmement hostile. Et enfin, mon adaptation libre du Monde Perdu de Conan Doyle, qui vient de sortir chez Soleil, avec un duo de dessinateurs : Faina et Salvatori.

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire la première partie de cette interview : Christophe Bec (1/2) : « Prométhée est un récit ambitieux. J’ai pris le pli de révèler des choses, quitte à décevoir. »

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- Death Mountains, tomes 1&2

Photo en médaillon : © Christophe Bec

 
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