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Christophe Bec : "Pour éviter de m’ennuyer, je change souvent d’univers "

Par Charles-Louis Detournay le 24 décembre 2008                      Lien  
{Bunker, Pandemonium, la Collection Hanté, le Temps des Loups, Deus} et {Prométhée} ! Difficile de passer à côté de Christophe Bec quand on aborde le rayon des nouveautés. En plus de ces séries en cours, il programme des one-shots de {Bunker}, les préquels de {Sanctuaire}, la suite de {Carthago}, une nouvelle série avec Corbeyran, etc.

Après le premier tome de Bunker, vous avez arrêté de dessiner pendant presque deux ans ?

Disons que j’ai fait une pause. J’avais lancé différentes séries dont j’assurais le dessin comme le Temps de Loups et Bunker, mais la renommée de Sanctuaire m’a permis de placer différentes histoires que j’avais en chantier depuis quelques années. J’avais envie de lever un peu le pied, et je me suis consacré à ces récits, ainsi qu’à la collection Hanté.

La reprise de vos séries suit globalement bien le dessin des premiers tomes.

Il faut bien entendu respecter le lecteur. Le premier tome de Bunker marchait fort bien, j’ai alors fait des recherches, et je suis tombé sur les travaux de Nicola Genzianella, déjà fort connu en Italie. Nous nous sommes rapidement trouvés des points communs : fan de Gillon, il apprécie comme moi la période réaliste des années 70. Il voulait depuis longtemps travailler pour la France, et comme le second tome rompait avec le cadre du premier, il pouvait garder son style tout en respectant la série. Pour le Temps des Loups, ce sont les Humanos qui m’ont présenté Luca Raimondo. Pour cette série, il faut coller aux traits des personnages, qui sont le ciment du récit. Il a donc eu un peu moins de liberté, mais il travaille en même temps pour l’Italie. Le scénario est écrit, mais le dernier tome de cette trilogie ne sortira pas avant 2010.

Christophe Bec : "Pour éviter de m'ennuyer, je change souvent d'univers "
Le troisième tome de Bunker sort en janvier !

Vous venez de sortir Prométhée en tant que scénariste et dessinateur. Qu’est-ce qui vous a poussé à reprendre le dessin ?

Il fallait la conjonction de deux éléments forts : l’envie et … le besoin ! À cette période, les Humanos ont eu des soucis de paiement, et comme mes scénarios n’étaient pas suffisants pour me faire vivre, il fallait que je m’y replonge. Quand Xavier Dorison m’a proposé de dessiner son XIII Mystery, j’ai vraiment retrouvé un objectif à atteindre, il m’a remis le pied à l’étrier, même si cela ne s’est finalement pas concrétisé avec moi. J’avais alors l’histoire de Prométhée dans mes cartons, et j’ai vraiment été super bien accueilli par Mourad Boujdellal : avec un bref synopsis, il m’a tout de suite fait confiance. Et le climat de travail avec Jean Wacquet est optimal !

Le concept de Prométhée est plutôt … prometteur. Outre le fait de vous retrouver au dessin, on profite d’explications scientifiques, d’éléments sur des énigmes mondiales qui entremêlent le vrai et le faux, mais la fin de ce premier tome est plutôt brusque...

C’est vrai ! En réalité, ce premier tome devait faire 68 pages, mais en avançant, je me suis rendu compte que je n’aurais jamais la place de finaliser mon introduction ! J’ai donc modifié ma copie pour m’orienter vers un diptyque lançant la série. Suite à Carthago, je me suis rendu compte du succès de la vulgarisation scientifique. J’ai alors eu envie de parier sur l’intelligence du lecteur pour donner du crédit à mon récit. Je me suis entouré d’une série de personnes qui ont un bagage suffisant pour étayer mes dires, même si nous profitons tout de même de quelques raccourcis pour ne pas lasser le lecteur.

Vous évoquez les méandres du naufrage du Titanic, avez-vous des sources secrètes pour remettre en cause la thèse officielle ?

Il s’agit plus d’une rumeur qui circule, comme la fameuse mission Appollo XX que je vais évoquer. Je souhaite bouleverser les repères du lecteur pour le manipuler afin de faire prendre le récit dans les terreaux de son imaginaire et de l’Histoire.

Planche 11 du second tome de Prométhée

Comment se déroule votre collaboration avec votre condisciple aux Beaux Arts d’Augoulême, Stéphane Betbeder, qui co-signe les scénarios de Bunker, Deus, et d’Hanté ?

En débutant avec Hôtel Particulier, voilà près de dix ans que nous collaborons : les thèmes viennent en majorité de moi, puis nous échangeons nos idées, ce qui allège considérablement le travail. Nous allions d’ailleurs souvent l’utile à l’agréable : chaque année, nous louons ensemble une maison avec piscine, et pendant le séjour, on alterne les brainstormings et les discussions passionnées pour échafauder les trames de nos récits. Ensuite pour les découpages qui nécessitent plus de précision et de calme, chacun rentre chez soi, et nous échangeons alors nos propositions de manière plus traditionnelle.

À ce propos, vous avez d’entrée annoncé la couleur en cadrant Bunker en cinq tomes ! Votre récit est-il définitivement écrit, ou était-ce une demande de Dupuis pour rassurer le lecteur du futur de la série.

Dans ce cas-ci, c’est effectivement à la demande de Dupuis que nous avions déjà donné les titres des cinq albums, mais nous nous sentons déjà un peu à l’étroit dans cette construction. Quoiqu’il arrive, nous la maintiendrons, mais nous voulons aussi greffer des one-shots autour de l’univers de Bunker, comme XIII Mystery. On évoquerait la fondation de cette société, réalisés par un ou plusieurs autres dessinateurs. Le tome 3 de la série mère sortira prochainement, mais juste après, nous pensons publier le premier de ces spin-offs.

Votre dessin est fort inspiré de la photographie, ce qui vous a d’ailleurs valu de petits soucis judicaires !

Christophe Bec génère les photos de sa prochaine série, Doppelgänger
Photo : © Eric Corbeyran

Effectivement, depuis l’affaire (Sanctuaire, je varie les sources différentes avec des photos que je génère moi-même, pour camoufler au maximum l’origine des mes dessins. Bien entendu, quand je m’inspire d’acteurs comme Fred Ward pour mes personnages, cela tient plus de l’hommage ! Je fais alors des arrêts sur image des vidéos. Je travaille beaucoup avec la 3D, car, par exemple, il n’y a rien d’intéressant à dessiner les voitures : je mixe donc les sources et les techniques pour éviter le bête décalquage et amener ma propre vision. Selon les albums, je varie aussi les effets : il y a beaucoup de peintures sur ordinateur dans le Temps des loups. Pour Promothée, je reviens à un dessin plus traditionnel. En réalité, sans appui photo, mon dessin est trop stéréotypé, un peu comme celui de Jean Graton. C’est peut-être joli, mais cela ne permet pas de percer à notre époque, et ce style est pour moi trop lassant pour en être fier. Comme 70% des dessinateurs, j’ai donc recours à cet appui photographique, afin de tendre vers le réalisme.

Vous travaillez de cette façon-là pour votre nouvelle collaboration avec Éric Corbeyran ?

Nous avions déjà collaboré sur Dragan, il y a longtemps, et nous souhaitions tous deux se relancer dans l’aventure avec nos expériences respectives. Je lui ai parlé d’une histoire de double maléfique (Doppelgänger en suédois, ce qui sera le titre de la série) : ce sera une histoire fantastique contemporaine très David Lynch, évoquant la rencontre entre un jeune garçon hanté par son double et une jeune femme morte qui ne s’est pas rendu compte de son propre décès. Avec Corbeyran, j’ai généré 100 % des photos avec des acteurs et des mannequins. Je vais attaquer cela prochainement, au crayon et sans encrage. Après le troisième tome de Prométhée, je dois enchaîner les trois tomes pour une prochaine sortie chez Marvel aux USA, ce sera plus expérimental, mais donnera une dimension récréative à ce diptyque.

Vous semblez très influencé par les films américains, et par un genre plutôt porté sur l’horreur car vous évoquez les loups-garous, les requins géants tueurs, les fantômes, les maladies contagieuses, etc.

Je suis attiré vers des lieux abandonnés ou chargés d’émotions fortes. Je suis fan de cinéma d’horreur, américain et japonais, et même dans Tintin, c’est le fantastique qui m’attirait. En me disant qu’il fallait faire ce que j’aimais, j’ai donc exploré en priorité ces voies-là ! C’est un créneau qui n’avait pas forcément été souvent utilisé, mais il me semble arrivé tout doucement au bout de ce que je voulais explorer. Prométhée est donc plus ambitieux et risqué mais d’un grand défi technique, scénaristiquement parlant. Concernant la trilogie de Pandemonium, un lien affectif qui m’y lie, car j’ai correspondu avec des personnages qui avaient vraiment été dans l’hôpital.

Le second tome de Sarah, chez Dupuis.

Comment va se construire la série de Sarah, que vous avez lancée dernièrement, avec le dessinateur de Pandemonium, Stefano Raffaele ?

Il s’agit d’une série ouverte, dont le premier cycle comprendra trois albums. Ensuite viendra un diptyque qui explorera la genèse du traumatisme de Sarah. Celui-ci se déroulera à New York, et nous en saurons plus sur le personnage du « jardinier » qui a séquestré et violé notre héroïne, étant enfant. On se focalisera donc plus sur l’état psychologique de Sarah.

Vous avez également lancé et co-dirigez également la collection Hantée chez Soleil.

Comme je le disais, je voulais explorer un genre plutôt méconnu dans la BD, en racontant l’histoire de lieux particuliers. Il m’a fallu consacrer un mi-temps pendant un an pour lancer la collection, mais je suis très content du résultat. Un second collectif va suivre avec de grands noms comme Victor de la Fuente, ou Travis Charest qui vient de signer les armes du Méta-Baron, un auteur très talentueux, mais pas très rapide (rires). J’ai aussi pu collaborer avec des scénaristes de renom comme Valérie Mangin, Makyo ou Alcante, tout en produisant des collectifs pour lancer de jeunes auteurs. Deux d’entre eux viennent d’ailleurs de signer pour un premier album, ce qui me ravit. Loudun, le dernier titre en date de la collection vient d’ailleurs de sortir.

À côté de sa version manga, Sanctuaire Reminded, il y a un projet de prequels pour Sanctuaire. Pouvez-vous nous en dire plus ? Toujours chez les Humanos, malgré leurs problèmes financiers ?

Il y a eu certains moments pas très faciles, mais les Humanos conservent toute ma confiance. Ces problèmes ont perturbé Éric Henninot, le dessinateur de Carthago, mais l’attendu second tome attendu sortira en février [1], mais avant de réaliser le tome 3, Éric va dessiner un XIII Mystery avec Yann. Pour Sanctuaire, Xavier Dorison, Stéphane Betbeder et moi-même travaillons sur un projet, mais nous n’en sommes qu’aux prémisses. Nous allons aussi développer la licence Sanctuaire, via un jeu de cartes, une potentielle adaptation au cinéma. Malheureusement, alors que le scénario est de qualité, le manga marche un peu moins bien qu’on ne l’aurait cru. Peut-être le noir et blanc qui déroute le public ? En tout cas, la série ira à son terme, mais sous une autre forme, cartonnée et en couleurs.

Planche 14 du second Carthago

J’ai presque peur de vous le demander, mais avez-vous d’autres projets ?

(rires) Oui ! Pour Quadrants, je travaille sur la vie en BD de Robert Wadlow, l’homme le plus grand du monde (2m72). Déjà enfant, ce personnage atypique m’avait passionné. Et ce sera un vrai défi technique de le placer dans des cases de BD. David Chauvel m’a demandé il y a quelques temps d’écrire un polar pour une nouvelle collection qu’il dirige, ce fut un exercice inédit pour moi et tout à fait passionnant. Je veux aussi poursuivre ce qui est installé, avec en priorité, le dessin de Prométhée (le tome 2 est déjà à moitié fini).

Il serait quasiment fastidieux d’énumérer le nombre d’albums que vous signez, co-signez, ou sur lesquels vous collaborez. Comment expliquez-vous cette boulimie de travail ?

Je m’ennuie très vite, et je ressens donc le besoin de prendre des risques. Des sujets s’imposent à moi, et comme j’ai la possibilité de les traiter, je m’y mets, corps et âme (rires). Bien entendu, le fait de ne pas avoir dessiné pendant deux ans m’a permis de multiplier les séries, mais je pense prendre une fois de plus un tournant dans ma carrière en modifiant l’axe des mes histoires. Tant qu’elles plaisent au lecteur, et répondent à mes attentes, c’est le principal !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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- Avec Stefano Raffaele, Pandemonium, tomes 1 et 2, ainsi que Sarah
- Bunker, tomes 1, 2 et 3 avec Stéphane Betbeder et Nicola Genzianella.
- Deus avec Stéphane Betbeder et Paolo Mottura.
- Le Temps des Loups, tomes 1 et 2, avec la collaboration de Luca Raimondo.
- Dans la Collection Hanté qu’il co-dirige : le premier collectif, Fontainebleau, Mortemer et Loudun
- Carthago avec Eric Henninot.

Toutes les illustrations sont © Christophe Bec.

[1Le premier tome en est déjà à sa quatrième réédition.

 
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