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"Clandestino" ou le terrible destin des Harragas

Par Vincent GAUTHIER le 14 avril 2014                      Lien  
Dans le cadre d'une série de reportages sur les migrations internationales, le magazine américain Struggle envoie son reporter en Algérie. Il va rencontrer les acteurs de ce phénomène pour comprendre pourquoi et comment chaque jour des milliers de personnes tentent de franchir, au péril de leur vie, les frontières entre les pays du Sud et ceux du Nord.
"Clandestino" ou le terrible destin des Harragas
Clandestino
Aurel - Glénat ©

Hubert Paris, journaliste pour le magazine Struggle, est envoyé au Maghreb pour réaliser un reportage sur les migrations à destination de l’Europe et principalement de l’Espagne. Il va tenter d’en démasquer les enjeux et les acteurs, sans dénonciation excesssive, ni manichéisme.

Pour étudier ce phénomène, il court de rencontre en rencontre : des officiels, de jeunes candidats au départ, des membres d’organisations non-gouvernementales. Il cherche à suivre les Harragas qui tentent la traversée de la Méditerranée à destination des immenses serres d’Almeria. Ces jeunes femmes et ces hommes qui, avec ou sans diplôme, sont condamnés à tenir dans les murs dans leur pays d’origine, faute de relation ou de moyens de corruption. L’émigration est pour eux la seule possibilité de s’en sortir et d’aider leur famille.

Le reporter, qui semble d’une grande candeur à son arrivée en Algérie, perdra vite ses illusions. Au fil d’une discussion avec deux officiels marocains et algériens, il découvre les accords entre l’Union Européenne et les pays du Maghreb pour l’envoi de main-d’œuvre à bon marché. Ces accords passent pour partie par l’attribution d’un statut avancé de coopération dans le cadre de l’Aeneas pour la migration de travail légal. Il s’y intéressera d’autant plus que, depuis le déclenchement de la crise économique de 2008, les Espagnols pauvres concurrencent à nouveau les immigrés pour travailler dans les serres. D’où des conditions de travail encore plus dégradées, des salaires diminués, dans un pays ou la Troïka (Union Européenne, Banque Centrale Européenne et Fonds Monétaire International) impose ses vues austéritaires.

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Ces transferts de main-d’œuvre légaux ou non sont à destination du plus grand ensemble de serres en Europe situé à Almeria. Ces dizaines de milliers de bras vont cueillir des légumes qui, en toutes saisons, garniront les étals des supermarchés du nord de l’Europe. Au-delà de la médiocre qualité des récoltes pour la consommateur européen, l’entretien de ce circuit commercial appauvrit les pays d’Afrique et les prive d’une partie de leur population pour les employer dans une agriculture de moins en moins viable écologiquement et de moins en moins bonne pour le citoyen. Le travail est effectué dans des conditions qui pourraient s’apparenter à de l’esclavage, le logement est indécent et les conditions de vie sont le plus souvent insupportables. De plus, l’aggravation de cette nouvelle crise systémique du capitalisme complique les conditions d’accueil des immigrés qui sont, comme dans chaque période de crise, les boucs-émissaires d’une partie de la population.

Pour les immigrés clandestins qui tentent la traversée de la Méditerranée, les risques sont nombreux. Des milliers de femmes et d’hommes tentent chaque année leur chance avec le départ sans retour comme seule alternative. Nombreux sont ceux qui y laissent la vie : plusieurs centaines chaque année, la tragédie de Lampedusa nous l’ayant rappelé récemment.

Franchir les frontières n’est pas aisé : aux barrières naturelles se sont agglomérées les murs, les barbelés, les miradors qui, vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, constituent des symboles honteux qui séparent cette fois riches et pauvres. Il faut ensuite éviter les polices, les camps de rétention et le retour vu comme un échec par ceux qui sont partis comme par ceux qui sont restés.

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Cette folie des frontières où chaque jour des hommes risquent leur vie pour des conditions d’existence plus décentes et souvent chimériques offrent ici une fiction politique et sociale basée sur des faits réels : « Je n’ai pas pris de liberté avec les informations mais j’en ai pris avec les personnages, les lieux et les situations, afin d’être plus libre et plus dense dans la narration. »

Limpide dans les explications qu’il fournit sur les enjeux terriblement cyniques des transferts de main-d’œuvre à destination de l’Europe, cet album est issu des reportages effectués par Aurel aux côtés de Pierre Daum (auteur de Ni valise, ni cercueil) pour Le Monde diplomatique. Faisant fi d’un certain manichéisme, il ne dévoile pas les exploitants agricoles espagnols ; les personnages principaux ne font pas montre d’héroïsme mais décrivent un univers sombre, complexe et anonyme.

Un récit peut tenir sur la longueur car ce genre de publication, l’album, est moins lié aux contraintes de temps que le reportage de presse. De même, s’il semble passer par toutes les contraintes du reportage en bande dessinée, notamment en mettant en scène son reporter fictif, la touche de fiction, par sa distance, tempère un peu de la gravité du sujet. Mais en contre-point de cette liberté, la relation entre le journaliste et une agente d’ONG surdose de pathos un récit qui, du coup, en ressort affaibli et lézarde quelque peu la logique du reportage.

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Aurel - Glénat ©


Habitué au dessin d’humour en album, c’est dans un projet ambitieux et de grande ampleur que s’est lancé Aurel. En travaillant sur son style, il utilise des procédés propres au reportage avec un réel talent de dessinateur. Cet album atypique et instructif ne comble pas tous les questionnements, mais donne assurément envie d’en apprendre plus sur un problème humain et économique que ni les élections algériennes en cours, qui devraient amener Abdelaziz Bouteflika à rempiler pour un nouveau mandat, ni celles, européennes, de mai 2014, qui ne donneront pas plus de poids au parlement par rapport à la très libérale commission, ne régleront.

On regrette juste le parti-pris assumé de la fiction qui ôte par sa forme un supplément d’impact au travail journalistique effectué.

(par Vincent GAUTHIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Clandestino - Par Aurel - Glénat

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