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"Come Together" : les Seventies du plaisir vues par Erich von Götha

Par Charles-Louis Detournay le 24 juillet 2022                      Lien  
Dans le domaine de la bande dessinée érotique, voici l'une des sorties patrimoniales les plus importantes de l'année. Erich von Götha reste l'un des maîtres du genre, reconnu entre autres pour "Les Malheurs de Janice", "Twenty"... Il s'agit en plus ici d'une série de 180 pages inédites en album, l'équivalent de quatre tomes. Un événement en soi !

Nous n’aurons pas l’outrecuidance de vous présenter à nouveau le travail d’Erich von Götha. En effet, nos lecteurs fidèles connaissent ses deux séries-phares :Les Malheurs de Janice et Twenty. Si vous êtes néanmoins dans l’expectative ou que vous avez besoin d’une petite piqûre de rappel, nous vous conseillons de vous reporter notre article consacré à l’intégrale des Malheurs de Janice, suivi des Carnets secrets d’Erich Von Götha. Profitez-en : c’est gratuit !

Passé cette initiation, vous êtes devenu (ou vous étiez déjà) un connaisseur de cette référence de la bande dessinée érotique, de cet Anglais qui s’est consacré à ce genre pendant plusieurs décennies. S’il réalisait déjà des illustrations érotiques auparavant, le premier grand pas d’Erich von Götha dans la bande dessinée se situe vers 1979. En quel pas ! Car il crée, réalise et surtout dessine seul le contenu d’une revue dénommée Torrid, qui fait souffler un vent de libération sexuelle sur la prude Albion.

De 1979 à 1986, von Götha réalise quinze numéros de cinquante pages chacun, soit l’équivalent de l’intégralité des planches des albums qu’on lui connaît. Un trésor qui dormait dans les rayonnages des spécialistes, et que Dynamite exhume ici pour notre plus grand plaisir. Il ne s’agit pas de rééditer les magazines à l’identique, mais bien de compiler tous les chapitres et illustrations d’une seule série : celle intitulée Come Together.

Derrière cette référence à la chanson des Beatles, se situe un deuxième sens que l’on pourrait traduire par "Jouissons ensemble". Et voilà bien le maître-mot de Jo et son mari David, les héros de ce feuilleton érotique de 180 pages. Six mois après s’être passés la bague au doigt, nos tourtereaux commencent à ressentir un peu de lassitude dans leur relation. Jusqu’à ce que Jo découvre que son mari est photographe érotique. Elle décide dès lors de jouer les assistantes, et se retrouve rapidement prise par le jeu.

"Come Together" : les Seventies du plaisir vues par Erich von Götha

Plus qu’une aventure, un témoignage !

Influencé par l’écriture automatique de Moebius dans Le Garage Hermétique qu’il a découvert dans Métal Hurlant, Erich von Götha se laisse complètement guider par son inspiration pour réaliser ce feuilleton d’un érotisme très osé pour l’époque. Mais ce qui fascine à la lecture de Come Together, au-delà des expérimentations successives vécues par ce couple libéré, c’est le miroir de son époque. En cette fin des Seventies et du début des Eighties, von Götha dépeint une étonnante Albion qui vit avec passion ses fantasmes derrière la façade de l’étiquette et du velours côtelé.

Délires artistiques, pourriez-vous croire... Pas du tout ! Von Götha se passionne pour le sujet, par goût avant tout, et en retire de la matière pour ses récits. Aussi collabore-t-il avec la sexologue renommée Tuppy Owens qui lui fait rencontrer des personnes à la sexualité débridée et qui s’offrent au plaisir à toute heure et tout lieu, "des bureaux aux terrasses sans vis-à-vis qui permettent des ébats en plein air", comme l’explique Bernard Joubert dans son passionnant ouvrage Les Carnets secrets d’Erich Von Götha.

D’autres références entrent en ligne de compte, comme les standards érotiques de l’époque, avec principalement Histoire d’O et le film Emmanuelle. L’auteur s’inspire également de son cadre professionnel. Car von Götha n’est dessinateur érotique qu’à ses heures perdues, il est en réalité le directeur artistique d’une grande agence publicitaire. C’est ainsi que les tournages et les shootings auxquels participent Jo et David vont l’inspirer, apportant un élément d’authenticité aux aventures fantasques de ses personnages.

Le Baron, l’avatar d’Erich von Götha

Citons encore l’arrivée du Baron Janssens qui intervient dès le troisième épisode de la série. Cet avatar de papier d’Erich von Götha est le fil rouge de son œuvre, et les amateurs trouveront là une nouvelle occasion de le revoir, sans doute pour quelques-unes de ses toutes premières apparitions.

Enfin, précisons que si Torrid était révolutionnaire pour l’époque, aucune pénétration n’est explicitement représentée. Et si les sexes féminins ne semblent pas heurter la moralité, aucune érection n’est présente, les pénis restant tête basse. Qu’importe, la sexualité ne s’évoque pas qu’avec des gros plans explicites. Au contraire, les scènes imaginés par von Götha (et certainement tirées de sa vie et de ses rencontres) sont autrement plus provocatrices, et certains dialogues feront sans doute rougir quelques lecteurs qui se croyaient blasés.

Un style qui s’affirme

Quant au graphisme, on le voit réellement évoluer sous nos yeux dès les premières pages. Au début de Torrid, le style de von Götha est encore hésitant : il cherche à perfectionner son encrage, tente différentes techniques pour poser les ombres car le magazine est bien entendu publié en noir et blanc pour des raisons de coût d’impression. Parfois, on remarque que certaines pages sont plus hâtivement réalisées, par rapport à d’autres plus consciencieuses. Cela dépendait certainement du rythme de publication et de la pression ressentie au moment du bouclage.

Un visuel inspiré par Crepax

Outre une légère parenté graphique avec William Vance (qui était également dessinateur publicitaire) dans el dessin des autos et motos, on ressent une grande influence venue du dessinateur italien Guido Crepax. Certains mouvements et ports de têtes le relient directement à Valentina, mais aussi certains cadrages et mises en page dont le maître italien avait la secret.

Enfin, von Götha dépasse ce cap pour acquérir son propre style : de grandes cases dans des planches où leur nombre se réduit progressivement, à la différence de Crepax ; ainsi qu’une utilisation plus affirmée des l’usage du lavis pour apporter volume et lumière à ses scènes. C’est bien simple, hormis le cadre historique, certaines planches pourraient très bien être extraites du premier tome des Malheurs de Janice.

Bien sûr, la restitution graphique n’est pas toujours à la hauteur. Il aurait été impossible de repartir des originaux, et l’éditeur a donc dû scanner toutes les pages des magazines. Et l’on a beau essayer de les retravailler au mieux, les impressions noires et blanches de l’époque peinaient à rendre les teintes et les nuances de l’original. Certaines pages génèrent donc de petits sentiments de frustration, rapidement englouties dans l’océan de plaisir de lire de cette série au long cours.

Peut-on espérer d’autres ouvrages publiant le contenu de Torrid ?! « On y pense effectivement, nous répond l’éditeur Nicolas Cartelet. Mais il n’y a pas de série aussi longue que "Come Together", ces autres livres seront d’une pagination plus modeste. »

Nous ne sommes heureusement pas pressés, car on lit et relit cet imposant volume de Come Together avec beaucoup de plaisir, pour sa vision de la sexualité de l’époque, si bien restituée par Erich von Götha, et l’éclosion d’un style. Rien que cela vaut le détour !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782362345531

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