Au sommaire, une rencontre avec le très rare Gunnar Lundkist, l’auteur de Klas Katt (L’Association) ; un portrait de la maison d’édition Bicéphale, un éditeur qui, si l’on suit le commentaire qu’en fait Jean-Luc Coudray, a un cerveau de logicien au service d’un autre qui serait celui d’un poète… ; un retour sur les mystères du Blog de Frantico par Jean-Paul Jennequin ; un reportage sur la convention de la bande dessinée alternative à Oxford et un excellent dossier sur les zombies dans la bande dessinée...
On s’arrête sur une visite de la bibliothèque de BsK qui relit un album étrange publié par les éditions Michel Deligne en 1982 : Un monde sans parents de Martine Bordes-Piquemal. Il conclut son analyse en disant que son éditeur avait « de la merde dans les yeux » et que son seul mérite était d’avoir réédité les Félix de Maurice Tillieux. C’est bien là le problème des petits crétins qui refont l’histoire : Deligne, qui n’était certes pas un éditeur subtil, a donné « sa chance » à bon nombre de jeunes auteurs pour qui, à ce moment-là, « la technique [était] une ennemie ». On compte parmi ceux-ci Michel Kichka, le pionnier de la bande dessinée israélienne dont les cours à Bezalel ont engendré le groupe Actus Tragicus ou le « Kurtzman israélien » Uri Fink, ou un certain Ever Meulen, aujourd’hui coqueluche du New Yorker… En outre, Deligne a joué un rôle crucial dans la redécouverte de certains de nos classiques. Un travail de pionnier tout à fait appréciable. C’était un éditeur amateur, dans le bon sens du terme. C’est BsK qui a de la merde dans les yeux. Il est plus clairvoyant quand il remarque que sa bibliothèque a estampillé de façon assez bouffonne le label de « 100% petits éditeurs » les ouvrages de la collection Bayou chez Gallimard, ou encore ceux publiés par Denoël Graphic !
On continue avec un texte humoristique de Wandrille (éditeur de Warum) qui se moque gentiment de L’Association et de l’Oubapo en s’esclaffant de ses propres traits d’humour sans pour autant s’interroger de cette propension proprement immature des thuriféraires d’une certaine « Avant-Garde » de la bande dessinée à s’accrocher de façon superstitieuse aux modèles littéraires (Oulipo, surréalisme…) comme s’il s’agissait d’autant de pattes de… Lapin.
On s’arrête encore sur un texte de Guillaume Laborie qui nous explique « Pourquoi la bande dessinée indépendante a un avenir ». Pour illustrer ce truisme, en dépit de quelques contrevérités (notamment le fait que l’échec de Futuropolis à la fin des années 80 avait « laissé un vide artistique »), Laborie fait le juste constat d’une maturité réelle du public actuel pour aborder des œuvres « pointues » soulignant que la crise que traverse « la bande dessinée indépendante » porte en réalité sur le statut du créateur, affecté par « le mythe de la pureté intellectuelle » mis en opposition avec celui de l’éditeur dont la fonction principale serait de « gagner des sous » en vertu d’une délégation que lui aurait confiée l’auteur pour exploiter son œuvre. Il relève les incohérences d’une génération d’artistes qui aurait trahi « l’organisation collective qu’ils ont su bâtir tout d’abord sans se donner les moyens et le temps de la faire fructifier… » (P.50) rendant hommage à ces « purs » que sont Fabrice Neaud et Marjane Satrapi qui sont restés chez leur éditeur d’origine au nom d’une prétendue « fidélité ».
Il s’agit là d’une naïveté toute « fanique », comme dirait l’ineffable Harry Morgan. Laborie oublie que la création et l’édition sont avant tout une affaire d’hommes et de contexte économique et social. Quel est l’intérêt pour un auteur de poursuivre une aventure dont il ne retire plus aucun profit, ni intellectuel, ni pécuniaire ? Or, c’est précisément ce qui advint aux « traîtres » qui quittèrent L’Association entre 2006 et 2007. Les acteurs ont suffisamment exprimé publiquement leurs « désaccords ». Prétendre, comme le fait par ailleurs Laborie, que les éditeurs indépendants s’étaient dans les années 1990 établis en « véritables kibboutz » tenant en main « les vannes » de la distribution montre à quel point l’auteur de l’article ne sait pas de quoi il parle. La distribution de L’Association, d’abord autonome, a été confiée à un Comptoir des Indépendants dont elle devint un des principaux actionnaires, lui-même bâti sur un savoir-faire préexistant : celui de la diffusion de Vertige Graphic. Cette condition a été un préalable nécessaire à la diffusion réussie du Persépolis de Marjane Satrapi. Faire de l’auto-édition la seule et unique « troisième voie » entre « un libéralisme forcené et un collectivisme forcené » pour permettre une création qui s’autorise l’expérimentation est une absurdité démontrée tous les jours par la vitalité de labels comme Fantagraphic Books, Cornélius ou La Boîte à Bulles.
Bref, cette sixième livraison de Comix Club est un bon numéro, ouvert à la réflexion, qui confirme l’intérêt de cette petite revue trimestrielle qui vaut largement ses 11 euros.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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