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Comment Tintin a perdu la parole

Par Le Bédénaute le 23 janvier 2005                      Lien  
Le public de la télé québécoise connaît bien cette courte publicité : dans une salle d'attente quelconque, une dame bienveillante présente une BD à une jeune fille qui semble trouver le temps long. La jeune fille accepte l'album et l'ouvre. Dans les pages ouvertes, on reconnaît les cases des {Bijoux de la Castafiore} mais le texte n'y est pas : les phylactères sont vides. Pour savoir comment Tintin a perdu la parole, entrevue avec {{Sophie Labrecque}}, PDG de la Fondation pour l'alphabétisation.

Même si le Québec a un très bon niveau de vie, on y retrouve quand même 21,1% (17% pour le Canada) de la population âgée de 16 à 65 ans ayant « une capacité de lecture limitée » (données du recensement canadien de 2001). L’objectif de la Fondation est de faire en sorte que « tous les adultes aient accès à la formation de base en lecture et en écriture » et les moyens mis en oeuvre comprennent des campagnes médiatiques, des conférences et des témoignages, en plus d’initiatives comme « La lecture en cadeau », où des jeunes d’âge scolaire reçoivent un livre neuf. D’autres publicités sont plus alarmantes : incapacité de lire les lettres sur un clavier d’ordinateur, ou le mode d’emploi d’un médicament !

Pourquoi avoir mobilisé Tintin pour cette cause ?

« Cette publicité était déclinée pour un public particulier. Le but était d’atteindre le maximum de personnes, de sensibiliser les jeunes et les gens dans la population qu’il faut prévenir l’analphabétisme. On se sert de la lecture comme déclencheur, comme coup de foudre ; la lecture est un symbole qui permet de changer une vie, de réaliser des rêves, d’exercer le métier qu’on aimerait faire ». Le risque de devenir analphabète est bel et bien présent pour les enfants qui n’ont pas accès à toutes les conditions nécessaires à un bon apprentissage pour se réaliser pleinement dans la vie. Selon les recherches de la Fondation pour l’alphabétisation, les premiers livres sont, pour 50% des gens, des BD « et elles rejoignent autant les garçons que les filles. Malgré une très bonne édition au Québec, aucun personnage n’a un rayonnement ni ne faisait l’unanimité autant que Tintin ». Ce sont les concepteurs professionnels d’une firme de marketing de Montréal soutenant la Fondation philanthrophiquement, qui ont proposé cette approche.

Comment la société Moulinsart a-t-elle réagi à la proposition d’utiliser Tintin pour combattre l’analphabétisme ?

« Ils ont très bien réagi ! Lorsque nous leur avons présenté le dossier, nous leur avons dit exactement ce que nous voulions faire, y compris une maquette et les moyens que nous voulions prendre. » L’utilisation de Tintin par un organisme sans but lucratif et pour une cause noble n’a donc pas causé de problème : Tintin ne faisait rien de répréhensible, en fait, il ne dit ... rien ! Cette publicité a donc rempli sa fonction d’émouvoir car le public a réalisé qu’à cause de l’analphabétisme, « certaines personnes ne peuvent même pas lire les albums de Tintin ».

Si Moulinsart a bien réagi, Sophie Labrecque s’étonne par contre de la complexité des interactions avec cette société. « Un an et demi de préparation pour faire une campagne de deux ans ». Par exemple, même si la Fondation pour l’alphabétisation avait proposé des maquettes, celles-ci ont entièrement été refaites par Moulinsart si bien que le Tintin utilisé au Québec est unique. Toutes les déclinaisons de la maquette originale ont dû être approuvées. La Fondation pour l’alphabétisation s’est vu attribuer les droits exclusifs - sans aucun frais - pour le Canada pour deux ans mais devait garantir le plein contrôle sur l’image, même sur le site Internet. Le succès de cette aventure a donc tenu dans la façon de présenter le dossier et dans la finalité de la démarche. Effet secondaire intéressant, cette campagne a généré beaucoup de demandes, provenant de partout dans le monde, de la part de collectionneurs qui désiraient les cartes postales et les affiches. De ces cartes postales, 180.000 ont été gratuitement rendues disponibles dans les régions de Québec et de Montréal, 150 affiches placées dans les restaurants et les bars, 500 autres sur les supports publics pour les bicyclettes, en plus du spot publicitaire à la télévision.

Quel a été l’impact d’une telle campagne ?

En fait, l’utilisation de Tintin était intégrée dans une campagne corporative plus vaste intitulée « Combler le vide », et était surtout destinée au volet « prévention ». « Un sondage réalisé par Léger Marketing (1.004 répondants) en juin 2004 a montré que Tintin a été un levier majeur pour la notoriété de la Fondation pour l’alphabétisation. Alors que 2% du public québécois nous connaissait en 1999, cette proportion est montée à 45% en juin de 2004. Une personne sur deux au Québec connaît maintenant la cause et la Fondation. C’est majeur ! ». Il est par contre impossible de connaître l’impact de la campagne uniquement sur le volet « prévention ». Pour ceux et celles qui se posent déjà la question, la réponse est « non », la présence de Tintin ne s’est pas traduite par une augmentation des dons du public, celui-ci demeurant sous l’impression que l’alphabétisation relève strictement du Ministère de l’éducation. Par contre, la part corporative provenant des compagnies a beaucoup augmentée suite à cette campagne, mais les plus grosses retombées ont définitivement été au niveau de la sensibilisation du public. « C’est là qu’a été notre plus gros impact. Je pense que Tintin a été comme un élément ludique, très déclencheur. Paradoxalement, pour notre projet de prévention, il a été moins efficace mais pour la Fondation et sa cause, il a été extraordinaire ».

Comptez-vous encore utiliser des personnages de BD dans vos prochaines campagnes ?

« La présente campagne avec Tintin se termine en juin 2005, mais on se pose la question de savoir si on ne pourrait pas aussi avoir recours à Boule et Bill ou Astérix et Obélix. La Fondation y réfléchit actuellement. » Leur réflexion les a poussés à envisager un auteur du Québec, mais la BD québécoise n’a pas de « héros » aussi connu que Tintin peut l’être. Le nom du Red Ketchup, de Fournier et Godbout, serait même sorti lors d’un remue-méninge avec l’agence de marketing, mais il s’adresse à une classe plus restreinte de la population locale.

« Je suis très contente d’utiliser la BD car il y a un autre enjeu, également, qui est d’attirer les garçons vers la lecture - plus que les filles - et l’élément déclencheur de la lecture chez les garçons, c’est la BD » conclut Sophie Labrecque.

Entrevue réalisée en décembre 2004.

L’illustration est ©Hergé/Moulinsart 2003

(par Le Bédénaute)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Voir la publicité télé (20 secondes) avec Tintin réalisée par Francis Leclerc de Diesel Marketing

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