Dans le Grand Ouest américain, en 1874, quelque part au fin fond des plaines de l’Oklahoma, deux gaillards désassortis chevauchent et devisent tranquillement. Un Indien en rébellion et un Français en fuite se lient d’amitié, portant avec eux leur misère et le poids de leur trouble passé. Après quelques mésaventures, ils finissent par arriver dans un village minier. Ils s’y installent, pour le meilleur et pour le pire. Surtout pour le pire.
Le scénario de Pierre Colin-Thibert pour ce Compadres publié chez Sarbacane associe clins d’œil au genre du western et originalités propices aux rebondissements. Le duo qu’il invente est assez improbable, mais rapidement attachant, bien campé et caractérisé. Singuliers, ces personnages sont néanmoins crédibles. Ni héros, ni monstres définitivement condamnables, ils sont capables de lâchetés comme d’actes de courage.
Le récit débute par un meurtre et se poursuit à travers les plaines par une rencontre. Mais il s’arrête finalement dans les montagnes : le western classique s’infléchit alors. Si les personnages restent des figures typiques du western – le directeur de la mine, les hommes de main, les immigrés venus des quatre coins de l’Europe – l’histoire prend un tour davantage politique. L’habituel lassitude des mineurs exploités devient une véritable quête sociale. Le western vire alors au récit engagé au ton anticapitaliste.
Loin de nuire à l’ouvrage, ce choix renouvelle l’intérêt pour l’univers de la conquête de l’Ouest. Il apporte aussi une réelle profondeur aux personnages. Et si l’ensemble est sombre, pessimiste et un brin désabusé, le plaisir de lecture reste entier après ce virage plutôt inattendu.
Ce plaisir tient également au travail du dessinateur Fred Pontarolo. Son trait fin transcrit habilement les sentiments de ses personnages. Les décors sont d’une grande beauté, sans réalisme maniéré, soutenu par un travail très maîtrisé des couleurs et des textures. Les tons ocres dominent mais n’excluent pas quelques touches plus vives et surtout l’utilisation de teintes froides, privilégiées pour les séquences nocturnes.
La composition des pages est relativement simple, mais très efficace, servant sobrement l’action. Nous regretterons seulement des bulles trop géométriques et un lettrage un peu froid comparé à la beauté des couleurs. Les cadrages sont majoritairement serrés, laissant parfois la place à des plans plus larges et même quelques plans d’ensemble : hommage sûr et discret au cinéma. Cet hommage se retrouve en couverture de l’album. Composé de quatre bandeaux, cette couverture magnifie le western avec des cadrages dignes d’un film de Sergio Leone.
L’ouvrage de Pierre Colin-Thibert et Fred Pontarolo s’inscrit donc avec brio dans le renouveau actuel du western en bande dessinée. Moins démonstratif que d’autres livres de cette veine, ancré dans un genre mais ne cherchant pas à rivaliser avec les "grands anciens" tels Blueberry ou Bouncer, la solidité du scénario et la qualité du travail graphique font de Compadres une très bonne surprise. Des personnages marquants, des ambiances sombres, des codes bien utilisés et dépassés, juste ce qu’il faut de dureté et de violence : ce sont les ingrédients d’un western moderne de bonne facture !
(par Frédéric HOJLO)
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21,5 x 29 cm - 96 pages couleurs - parution le 5 octobre 2016.
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