Pas très doué le jeune pianiste. Mais pas du genre à abandonner. Dans la famille, la musique et la pratique d’un instrument semblent les seuls moyens de communiquer un peu d’affection et surtout d’obtenir une vraie respectabilité. Alors il travaille, il s’acharne, et quitte à irriter ses professeurs, en fait un combat.
La guerre arrive, il perd un bras. Autre combat : apprendre à jouer d’une seule main. La fortune familiale l’aide à commander des œuvres aux plus grands compositeurs de ce XXe siècle inquiétant mais tellement inspiré. Vient alors la célébrité, toujours dans la douleur. Ne manque que l’amour, qui viendra aussi par le partage de la musique.
Avec ses cases délicatement orchestrées et son noir et blanc étincelant, Yann Damezin rejette l’émotion facile pour nous guider sur les pas de son virtuose. Nous ne connaîtrons jamais son nom, mais sa carrière s’inspire largement de Paul Wittgenstein, célèbre commanditaire du Concerto pour la main gauche de Ravel, entre autres.
Jouant avec les figures géométriques d’un talent inspiré de David B. et Zeina Abirached, l’auteur offre de superbes pages, sans négliger un texte tout aussi fin. « Si les océans sont si vastes, c’est sans doute parce que tant d’exilés les ont abreuvés de leurs larmes » écrit-il, évoquant l’émigration du héros vers les États-Unis dans les années 1940.
Bienvenue à ce nouveau talent du 9e Art, déjà si mûr en auteur complet. La mélancolie de son pianiste laborieux et tourmenté est de celles qui touchent pour longtemps.
(par David TAUGIS)
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