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Condamnés à Moore

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 août 2005                      Lien  
Alan Moore est un astre brillant de mille feux qui, depuis près de vingt ans, enflamme l'imagination de ses lecteurs. Ce scénariste anglais qui a profondément bouleversé la bande dessinée contemporaine vient de publier son premier roman en français : « L'Hypothèse du lézard ». Un joyau accompagné d'essais et d'hommages qui méritent vraiment le détour.

Il y a d’abord cette préface de Michael Moorcock dédiée au maître anglais au sujet duquel ActuaBD avait consacré en son temps un grand dossier. Elle porte comme juste titre : « Hommage à la corne d’abondance » et souligne à quel point l’imagination fertile du scénariste de Northampton est une source d’inspiration pour ses contemporains, une source bienfaisante qui n’est pas près, heureusement, de se tarir. Il tente d’expliquer l’importance de Moore dans la création contemporaine : « Ce que les musiciens britanniques avaient fait pour le rock’n’roll, dit-il, Moore commença à le faire régulièrement pour les comics américains. Sans affectation ni perte d’impact, il utilisait la bande dessinée pour aborder les thèmes sérieux de son époque. » Et de constater que l’apport substantiel de Moore avec Watchmen , par exemple, « ne résidait pas dans les innovations, dans les nouveaux riffs sur le thème du super-héros, mais dans le questionnement fondamental de la nature du pouvoir et de ceux auxquels nous confions ce pouvoir. » Dans cet album effectivement, le scénariste anglais interpelle le lecteur avec cette question, centrale en ces temps où les super-puissances semblent assumer sans vergogne leur impérialisme : « Qui garde les gardiens ? » Interrogation visionnaire qui taraude l’esprit des lecteurs initiés depuis près de vingt ans.

Som Som

Condamnés à MooreEn abordant ce que son éditeur qualifie de « roman » (un bien court roman en vérité, il n’aurait pas été honteux d’utiliser le terme de « nouvelle »), le premier de Moore traduit en français, on perçoit très vite que la qualité de son écriture vient avant tout de sa capacité à produire des images totalement surprenantes, dans leur profondeur et leur finesse, comme dans la singulière originalité de ses personnages, de ses figures, de ses situations et de ses symboles. Parlant de Stevenson, Henry James disait : « Je connais peu de meilleurs exemples de la façon qu’a un génie de garder toujours une surprise dans la poche. » Moore a cet art-là : au bout de chaque développement chargé d’émotion, une porte s’ouvre et derrière elle, une perspective nouvelle se révèle. Que la moitié du visage de Som-Som, cette enfant que l’on destine à devenir une putain promise aux sorciers, soit en porcelaine, n’est que la première étrangeté d’une nouvelle qui en recèle bien d’autres. La belle traduction française de Patrick Marcel prend du plaisir à en ciseler le phrasé. Elle produit un récit foncièrement poétique, évocateur, impérieux comme un oracle.

Une histoire qui en cache d’autres

On se contenterait bien de ce texte unique. Mais les éditeurs ont eu peur que le lecteur soit en manque. Dès lors, la nouvelle de Moore est suivie par un cortège hétéroclite d’essais, d’interviews et d’hommages rendus au maître. Un mélange offert à Moore en quelque sorte. On y trouve deux interviews : l’une de notre collaborateur Laurent Queyssi, Au coin du feu avec l’oncle Al, une autre de Johan Scipion, Ainsi parlait Alan. Plusieurs essais brillants : l’un, biographique, Alan Moore, le gentleman de Northampton, par Jean-Paul Jennequin et notre collaborateur François Peneaud qui réalise également dans les pages suivantes, sous sa seule signature, une analyse de From Hell. Raphaël Colson nous apporte, dans L’art du conte, son éclairage sur la tradition super-héroïque propre au comic-book. Johan Scipion entreprend une étude sur Eddie Campbell, le dessinateur de From Hell, tandis que Pascal Blatter nous livre son analyse de Suprême et Paul De Fillipo la sienne de Top Ten. On y trouve aussi un texte hommage de Stephen Bissette (qui dessina pour Moore d’inoubliables numéros de Swamp Thing) et quelques dessins d’auteurs de BD qui viennent compléter ce sommaire déjà riche.

Un livre indispensable pour tous ceux qui, comme nous, sont condamnés à Moore.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

« L’Hypothèse du Lézard », Les moutons électriques éditeur, 18 €.

 
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