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Corto Maltese, T. 13 : Sous le Soleil de minuit - Par Juan Diaz Canalès & Rubén Pellejero - Casterman

Par Charles-Louis Detournay le 7 octobre 2015                      Lien  
Ceci n’est pas du Hugo Pratt ! Mais est-ce du Corto Maltese ? Développons quelques premiers éléments de réponse…

1915, après une séquence constituée d’un rêve quelque peu prémonitoire, nous retrouvons Corto Maltese et Raspoutine en Amérique du sud, soit juste après La Ballade de la Mer salée, ainsi que nous le supposions. Les deux amis se séparent rapidement, et Corto rejoint la ville de San Francisco qui s’intéresse peu à la guerre en Europe pour mieux organiser l’Exposition Universelle qui doit se dérouler dans la ville.

Corto y reçoit une lettre de son vieil ami Jack London. Ce dernier, se sentant mourir, lui confie une dernière volonté : retrouver une femme, son amour de jeunesse, pour lui porter une lettre d’adieu. L’écrivain promet un incroyable trésor en échange de ce service qui va entraîner Corto dans le grand nord du continent américain.

Corto Maltese, T. 13 : Sous le Soleil de minuit - Par Juan Diaz Canalès & Rubén Pellejero - Casterman

Difficile de se mettre dans la tête d’un scénariste qui reprend une figure aussi mythique que Corto Maltese. Juan Diaz Canalès a-t-il voulu trop en mettre dans ses premières pages ? On a ce sentiment. On passe très (trop) rapidement d’un rêve introductif à une rixe avec Raspoutine. Le caractéristique barbu est rapidement évacué pour camper le décor de l’expo universelle, tandis que le mythique Jack London n’apparaît pas, avant que Corto ne débarque en Alaska, s’y fasse presque tuer et est jeté en prison, pour finir sur un bateau en pleine tempête...

Cette succession de séquences trop rapides donne l’impression d’un Corto passif devant les événements et fragilise son lien avec l’action et avec le lecteur. Pratt savait débuter son récit avec des chapitres d’action tout en laissant aux dialogues le soin d’évoquer le contexte des faits et cerner les personnalités mises en place.

Cela dit, la tempête achevée, le récit entre dans une phase plus contemplative et le charme commence à opérer. Fallait-il être secoué dans ses repères pour apprécier le nouveau Corto made in Canalès ? Ou le scénariste devait-il se retrouver dans ces paysages désolés où le dessin se déploie pour développer son potentiel ?

Qu’importe ! Des saillies incisives aux rencontres improbables, Corto se balade une fois de plus en faisant fi des frontières pour mieux nous étonner et nous charmer. Canalès a su également trouver la juste limite entre les personnages authentiques en marge de la normalité et les faits historiques qui chamboulent le monde. Avec cette pointe d’allusions littéraires qui émaillent traditionnellement les récits de Pratt.

Une des gageures de cette reprise était de trouver un dessinateur qui puisse approcher le style de Pratt sans le parodier, et qui tienne le cap de ces récits au long cours. Rubén Pellejero parvient à trouver son équilibre dans cette équation presque insoluble. Beaucoup d’images de cet album se nourrissent de cases des aventures d’Hugo Pratt. Même si Pellejero respecte certains codes graphiques : les longues jambes de Corto, les travellings sur les paysages, les plein-cadres sur le visage des personnages principaux, etc., on remarque très rapidement qu’une personnalité parallèle à celle de Pratt est en train d’émerger.

Comme pour le scénario, on se laisse prendre au plaisir de retrouver un vieil ami perdu de vue, même s’il a un peu changé. L’arrivée de la neige rappelle l’avalanche des rochers des Éthiopiques, ce qui achève cette sensation d’ambivalence : Pellejero dessine du Corto, et pas du Pratt. Tant mieux !

Que l’on y recherche une femme, de l’or, une identité, du pétrole ou un trésor, cette sarabande se déploie dans un tourbillon poétique et délicieusement anarchisant au charme indubitable.

À la fin du récit, après bien des bouleversements, le lecteur sera content d’avoir trouvé son propre trésor : un Corto Maltese, certes différent de celui d’Hugo Pratt, mais qui n’a perdu, comme le jardin de Gaston Leroux, ni son charme, ni son éclat.

(par Charles-Louis Detournay)

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4 Messages :
  • Le caractéristique barbu est rapidement évacué pour camper le décor de l’expo universelle, tandis que le mythique Jack London n’apparaît pas, avant que Corto ne débarque en Alaska, s’y fasse presque tuer et est jeter en prison, pour finir sur un bateau en pleine tempête...

    et est jeté en prison ! En fait, toute la phrase mériterait une petite retouche.

    Sur le plan graphique Ruben Pellejero, tout en respectant la charte graphique prattienne, parvient à conserver son style propre qui contribua fortement au charme de la série Dieter Lumpen. Tous les personnages satellites autour de Corto ont plus que des airs de parenté avec ceux qui apparaissaient dans ses premiers albums (Les mémoires de Mr Griffaton et En fréquence modulée inclus). Espérons avec cette reprise plus qu’honorable, que son immense talent incitera tous ceux qui ne connaissaient pas trop son travail à le découvrir depuis ses débuts en 1986 chez Magic Strip. Voilà encore un auteur auquel le Grand Prix d’Angoulême irait comme un gant !
    Serge BUCH

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    • Répondu par Philippe Wurm le 9 octobre 2015 à  10:24 :

      Pellejero est un géant du dessin, on est tout à fait d’accord.

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  • Au regard du défi, quelle superbe réussite !

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    • Répondu par romi le 17 octobre 2015 à  18:48 :

      oui tout à fait, pour ma part si on m’avait dit que c’était un inédit de Hugo Pratt lui même je l’aurais cru.
      Mention spéciale pour la version noir et blanc que je préfère à la version couleur (un peu plus cher mais la reliure et le papier sont en plus de bien meilleure qualité ça vaut le coup)

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