Décidément, cette crise sanitaire est un sanglot long. La plupart des événements en présentiel ont été reportés cette année, sujets aux vagues successives de contamination, s’adaptant aux circonstances.
Les salons du livre et les festivals de BD sont bien évidemment touchés et leur avenir est pour le moins, c’est le cas de le dire, vague également. Cela impacte les auteurs, les éditeurs, notamment l’édition alternative et indépendante, les librairies locales qui souvent tiennent le stand des éditeurs, les institutionnels et les artistes qui profitent souvent de l’événement pour se faire connaître, sans compter tout un écosystème de permanents, d’intermittents et de freelances qui comptent sur cet événement pour assurer leur chiffre d’affaires.
Cette année, cela avait commencé par l’annulation de Livre-Paris au mois de mars, puis Aix, Bastia, Formula Bula à Paris, Japan Expo à Villepinte… Récemment Colomiers, Saint-Malo, Blois, SoBD et le Festival d’Angoulême sont passés à la trappe. Dans un redoutable effet de dominos, tous les festivals de BD présents et à venir se trouvent annulés.
Voici quelques semaines, le FIBD d’Angoulême avait décidé de placer son festival en juin, aussitôt suivi par Livre-Paris aux mêmes dates ! Déjà se posait la question de savoir comment allaient faire les éditeurs pour être présents aux deux événements ?
À cette bataille de titans s’ajoute le fait que deux autres festivals, et non des moindres, Les Rendez-vous de la BD d’Amiens et Lyon BD, ont également lieu en juin ! Leurs organisateurs viennent clamer leur désapprobation. Ils se sentent directement menacés, en particulier Lyon BD qui, ô ironie, se voyait déjà concurrencer Angoulême !
Pour le Ministère de la culture et le Centre National du Livre qui financent directement ou indirectement ces quatre événements, cela tient de la quadrature du cercle. La province y voit une preuve supplémentaire de l’arrogance parisienne, les petits festivals comme une agression en règle de la part des acteurs les plus puissants.
Or, ces derniers n’ont pas non plus le choix : il est question de leur survie et de dizaines d’emplois ! Sauf qu’en essayant de se sauver de la noyade, ils sont en train de faire couler les autres...
À charge pour l’État d’envoyer rapidement des bouées assez grosses pour éviter que le 9e Art ne coule dans son intégralité. « Quoi qu’il en coûte... » disait-on au printemps...
L’inscription de la crise pandémique dans la durée menace aujourd’hui plusieurs festivals de bande dessinée.
Si le ministère de la Culture a choisi de faire de 2020 l’année de la bande dessinée, c’est pour souligner l’incroyable foisonnement créatif dont font preuve le neuvième art, ses auteurs et autrices, et plus largement l’ensemble de ses acteurs depuis maintenant plusieurs décennies.
Ils défendent la bande dessinée, la diversité de ses formes, de ses représentations, autant que la vivacité et le foisonnement de sa création. Ensemble ils promeuvent les expressions riches et variées de ce qui est bien plus qu’une culture populaire : La bande dessinée est à tout à la fois une littérature, un medium, une discipline artistique, un art de la scène et visuel.
Parmi ces acteurs plusieurs festivals sont aujourd’hui particulièrement menacés par l’inscription de cette crise dans la durée et par ses conséquences sur le calendrier annuel des manifestations autour du neuvième art.
Lors du premier confinement, les festivals impactés ont déployé dans des conditions difficiles et avec une incroyable réactivité des trésors de créativité, d’innovation, et de résilience. Ils ont inventé des évènements et projets digitaux, échelonné dans le temps leurs programmations, publié des récits inédits en numérique et en papier, ils se sont purement et simplement réinventés.
Ils ont ainsi assuré le lien primordial entre les artistes et leurs publics. Plus largement, nos festivals ont permis de maintenir la place et le rayonnement du neuvième art et de ses créateurs au sein d’un paysage culturel profondément bouleversé par la pandémie.
Nos festivals ont pu, malgré les annulations et avec le soutien de la puissance publique, maintenir les rémunérations d’artistes liées aux événements annulés. Ils ont également su les développer dans le cadre des initiatives et projets nouvellement lancés et ainsi soutenir les artistes dans cette période difficile.
L’inscription dans la durée de cette crise pandémique vient désormais impacter des rendez-vous importants du secteur de la bande dessinée prévus pour le premier trimestre 2021. Parmi eux Livre Paris et le festival d’Angoulême font le choix d’un report au printemps de leurs évènements.
Cette reprogrammation vient bouleverser le calendrier annuel des manifestations autour de la bande dessinée. Elle aura pour conséquence immédiate de fragiliser les festivals de bande dessinée se tenant habituellement à cette période et avec eux le soutien qu’ils apportent depuis longtemps aux artistes du neuvième art*.
Le cumul de plusieurs rendez-vous dans une « poche » de dates allant de la fin mai à la fin juin va enfin drastiquement limiter l’exposition médiatique dont la bande dessinée et ses artistes bénéficiaient à l’occasion de rendez-vous répartis au long de l’année.
Alors qu’ils participaient à la plupart des grands rendez-vous de l’année, les professionnels du secteur indiquent qu’ils devront désormais faire des choix.
Enfin, c’est la diversité culturelle qui est menacée. Nos festivals ont démontré depuis de nombreuses années la pertinence d’une diversité des représentations de la bande dessinée qu’ils incarnent à travers des directions artistiques, des angles et des formats différents.
En défendant la place de cet art au sein des institutions culturelles de nos villes et territoires, en le faisant rayonner à l’international, en développant des actions à large échelle auprès des publics scolaires et la place des artistes dans la ville, nos festivals ont installé une image moderne, vivante, et résolument tournée vers l’avenir de la bande dessinée et de sa création.
Face à ces menaces, nous appelons les pouvoirs publics à tout mettre en œuvre pour que nos festivals et structures puissent continuer leur travail au bénéfice des artistes, des acteurs du secteur, au contact et au profit des territoires sur lesquels ils s’expriment, et au service de la diversité des représentations des arts de la bande dessinée.
Mathieu Diez, Directeur de Lyon BD
Pascal Mériaux Directeur des Rendez-Vous de la Bande Dessinée d’Amiens
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(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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