On y retrouve au dessin quelques Wallace Wood, Frank Frazetta, Steve Ditko, Jeff Jones, Gil Kane et autres Luis Garcia, excusez du peu ! Ils se croisent dans les pages de l’intégrale à travers des histoires fantastiques, de science fiction, d’horreur, qui aujourd’hui paraissent absolument clichés et génériques : n’oublions pas que ce sont elles qui ont façonnés les codes du genre à l’époque de leurs premières publications.
C’est cette nostalgie qui rend l’album aussi délicieux : des dessins en noir et blanc, clairs, fourmillant de détails, mettant en scène des personnages très archétypaux : le colonel américain aux joues creuses et au regard sombre, l’aventurière de l’espace plantureuse en combi moulante, ou la sublime princesse quasi-dénudée poursuivie par des hordes de dinosaures enragés, et sauvée par un héros musclé et sans défaut.
Les atmosphères et les époques se succèdent, on passe d’une nouvelle gothique dans la veine d’un Edgar Allan Poe à un récit d’Heroic Fantasy digne de Tolkien, en passant par du Space Opera ou du récit de guerre, mais toujours avec en arrière plan cette ambiance creepy [1] qui donne son nom à la revue. Au gré des pages, des frissons nous parcourent l’échine et on se sent progressivement envahi d’un sentiment oppressant, comme si une malédiction nous corrompait doucement.
La faute aux scénaristes et dessinateurs, et à leur talent stupéfiant, qui nous entraînent dans des univers glaçants dont on ne ressort pas indemne...
Toutes les histoires et les codes qu’elles utilisent, renvoient à l’imaginaire très Sixties à la Flash Gordon ou à la Conan. En ouvrant le livre, on se plonge dans une époque qui a vu naître des références qui influencent toute la pop culture depuis lors. Et si aujourd’hui, on regarde ces mêmes codes avec une impression de déjà-vu, comme des quasi-poncifs, ce sont les auteurs ici représentés qui les ont inventés et élevés au rang de classiques.
Les aventures des plus grands héros de Creepy sont accompagnées d’un appareil éditorial fascinant : une introduction de David Roach, spécialiste et historien de la BD anglo-saxonne et des interviews de Frank Frazetta et Archie Goodwin, riches d’anecdotes passionnantes qui contextualisent des œuvres très ancrées dans leur époque.
Delirium poursuit donc son excellent et nécessaire travail patrimonial en réactualisant des hits qui ont façonné la bande dessinée. Si tous les lecteurs ne seront pas obligatoirement conquis par son contenu, qui reste très typé, les amateurs de vintage et de kitsch s’en régalement.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
"Creepy Volume 3" - Delirium - 248 pages - N&B et couleurs - 22x30 cm - 27€ - paru le 07/02/2020.
[1] Angoissante, sinistre.
Participez à la discussion