Crisse : « Je dessine la femme que j’aurais aimé être » (...)

Qui a dit que Crisse se reposait sur ses lauriers ? Après avoir créé les héroïnes parmi les plus populaires de la bande dessinée contemporaine, telles que Luuna et Atalante, une illumination marqua récemment l’auteur toujours à l’affut d’un constant renouveau. Crisse, qui pourtant n’avait jamais cru dans l’informatique, dut un jour renoncer devant les talents de Frédéric Besson qui avait retravaillé ses propres dessins en cachette [1].

: © Crisse - Besson - Soleil

C’est le choc ! Comment avait-il pu rester aveugle à cette avancée technologique et graphique ? Il lui demande tout d’abord les nouvelles couleurs des trois premiers tomes dAtalante, agrémentés de couvertures inédites, avant de dessiner pour lui un projet spécifique : Ishanti ! Il s’agira en réalité d’un crayonné très poussé, qui est redessiné par Besson. D’où l’impression que Crisse a sorti peu d’albums ces dernières années. Il travaillait en réalité sur le long terme, tentant de mettre sur pied un studio de bande dessinée ...

: © Crisse - Soleil

Pour tous ceux qui s’intéressent à ce nouveau dévelopement du travail de Crisse et à sa collaboration avec Frédéric Besson, on ne peut que vous conseiller la lecture du superbe Or et Flammes : on y retrouve bien entendu le premier dessin, retravaillé par Besson, qui a subjugué l’auteur, ainsi qu’une foule d’illustrations d’Ishanti, ds dessins hommages et les premiers essais couleurs de Kalimbo, leur Roi Lion, ainsi qu’ils le nomment entre eux. Pour cette future série, Besson part d’une simple esquisse de Crisse. Il dessine donc la série totalement, pour la première fois, avant de mettre en couleurs.

« Peu de nouveautés, mais enfin cet attendu quatrième tome d’Atalante qui vient de sortir ! La série est d’ailleurs sous-titrée La Légende. Il était effectivement prévu de réaliser la jeunesse d’Atalante, pourquoi avoir attendu ?

Nous avions peur que cela soit trop tôt et que cela tue la série-mère. Donc, on continue la quête des Argonautes, mais ce sera un album de transition, se situant partiellement dans les airs. On passe effectivement du monde de la terre, symbolisé entre autres avec le Minotaure du tome 3, au tome 5 se déroulant exclusivement dans les airs et qui mettra en scène les harpies, les chevaux volants, etc. C’est donc bien moi qui dessin, et bien entendu Frédéric Besson qui réalise les couleurs, comme il a pu refaire celles des tomes précédents, pour donner une unité à la série.

Concernant votre duo, est-ce qu’on verra bientôt le second tome d’Ishanti ?

Ce sera encore différent. Nous demandons à notre éditeur les moyens de monter un studio de dessins animés sur la base d’Ishanti. L’outil informatique possède de grandes capacités et nous voudrions récupérer les décors et les éléments existants que Fred a déjà réalisés, afin de lancer une série de dessins animés. On se sent portés par le personnage et comme le public répond bien, nous ne voulons pas d’augmentation, mais la possibilité de créer ce studio.


Ishanti, la danseuse Maya: © Crisse - Besson - Soleil


Les Secrétaires prennent forme !: © Crisse - Leblon-Delienne

Dans le même esprit, pourquoi vous être lancé dans les Secrétaires, ce petit album présentant une galerie de personnages, dessinés par vos soins et sorti pour la fête des secrétaires ?

C’était un album concept qu’on voulait sortir autour de beaucoup de merchandising. Les chiffres de ventes sont petits mais honorables, et moi, j’en suis content. Comme je le disais, j’ai passé trois ans à beaucoup travailler sans sortir d’albums ou presque. Par exemple, sur les Secrétaires, Leblon-Delienne va en tirer des statues. C’est bien la première fois qu’un seul album de BD à faible tirage reçoit un tel honneur. On va donc profiter de l’effet de synergie inverse, à savoir que les statues vont doper les ventes d’albums. La première statue sortira en septembre et l’idée est de pouvoir recréer, pièce après pièce, tout le bureau des secrétaires.

C’est Jactance qui a signé les textes des Secrétaires, ainsi que ceux de votre site. Avez-vous d’autres projets avec elle ?

Oui, elle va sortir un autre livre plus sombre en septembre, intitulé Couleurs tolérables, illustré par Roberto Peno, un jeune auteur espagnol, sans doute un des meilleurs illustrateurs qu’il m’ait été donné de voir, avec Frédéric Besson bien entendu.

Vous aviez parlé d’un concept sur les vampires. S’agit-il du thème qui y sera abordé ?

Non, il s’agit d’autre chose. Concernant les vampires, c’est encore dans mes cartons. Cela sortira le moment venu.

J’ai tout de même l’impression que vous changez régulièrement d’univers. Malgré tous leurs potentiels, cela semble rapidement vous lasser, et vous passez à autre chose. Le meilleur exemple est Kookaburra, mais il y a en a d’autres…

Je vais vous raconter une histoire : il y a une vingtaine d’années, lors d’un repas avec un auteur plus que renommé, celui-ci me disait qu’il amassait un véritable trésor, en conservant toutes ses planches pour ses enfants ! Même si j’appréciais le personnage et son travail, je me suis rendu compte à ce moment-là que, même s’il m’offrait une planche, je n’aurais pas su quoi en faire, tellement cela ne convenait pas à mes goûts ! Et j’ai mal au cœur pour lui, car il était si fier de son entreprise, sans savoir si elle répondait vraiment à une attente. De là, je me suis dit qu’il fallait que je vende mes planches dès que j’en aurais l’occasion et que je me remette constamment en question ! Sinon, je craignais de m’encroûter dans un genre, sans pouvoir m’en sortir quand il le faudrait. Je suis ainsi admiratif de très grands auteurs, mais j’ai l’impression que pour certains d’entre eux, leur dessin va vieillir d’un coup, et ce sera le retour de flamme après les années fastes. A contrario, quand on voit Moebius, il se remet perpétuellement en question : un vrai gamin de 16 ans, et c’est magnifique !


Planche du futur T6 de Luuna: © Crisse - Kéramidas - Soleil

D’où cette volonté de multiplier vos univers, quitte à ne pas les dessiner vous-mêmes, comme par exemple Luuna … Où en êtes-vous à ce propos ? Car Kéramidas travaille sur une des Légendes de Troy : Tykko !

Par la suite, deux albums de Luuna sont à venir, qui clôtureront, scénaristiquement parlant ,ce que nous avions entamé, et qui permettront à Nicolas (Kéramidas) de diriger la série comme il l’entend. Ce diptyque comprendra de très belles surprises scénaristiques, car Kéramidas est ravi de la tournure que cela va prendre. À la base, je m’étais lancé vers des légendes indiennes pures et dures, mais il n’a jamais suivi graphiquement le genre que je m’étais donné. Par contre, il a enrichi la série en y mettant sa propre patte, que j’ai dû suivre.

Et quel est alors son univers propre ?

Bah, les Pokémon® ! (rires) Il aime les petits esprits, les petites bêtes, les petits objets, un côté plus fantaisiste. À l’origine, Luuna devait traverser tout le continent, rencontrer les diverses tribus, et leurs propres traditions. Mais, sans aucune critique, Nicolas a toujours dessiné des indiens de carton-pâte : plumes sur la tête et toujours sur le même canevas. D’un autre côté, il désirait des challenges graphiques, que j’ai essayé de lui fournir, ce qui nous a orienté vers des récits plus tournés vers les animaux et les esprits de la forêt. Une ode aux indiens s’est donc transformé en fantaisie. Et étonnamment, ça marche ! Mais je suis ravi pour les lecteurs ! Et pour nous, car Nicolas est un grand dessinateur !


Issu du tome 4 d’Atalante : L’Envol des Boréades: © Crisse - Soleil

Il paraît que vous vous endormez en pensant à vos scénarios. Est-ce productif ?

Oui, car parfois, j’ai de bonnes idées au réveil, ce qui a d’ailleurs été le cas pour le dernier Private Ghost : Serge Carrere a trouvé merveilleux le dénouement final ! Il a accusé le coup lorsqu’il s’est rendu compte que je l’avais mené en bateau jusqu’à la page 30, car jusque là, je ne savais pas réellement comment j’allais finir notre trilogie ! (rires)

Pourquoi ne plus écrire des histoires comme celle-là et Perdita Queen ?

Je suis déçu car ce sont les récits que je préfère raconter, mais paradoxalement, ce sont ceux qui se vendent le moins ! Mon public est plus friand d’univers mignons avec de petites bêtes et des jolies filles. Sans doute plus propices aux rêves. Bien sûr, je ne me punis pas non plus en dessinant Atalante, et comme je suis un gentil, j’aime aussi faire plaisir à mes lecteurs !

On a pu voir des essais de Kalimbo, avec Frédéric Besson. Est-ce que ce projet va voir le jour ?

Bien sûr ! Fred a commencé il y a quelques mois, ce sera notre Roi Lion à nous ! Au départ, je voulais le dessiner, mais j’ai trop de choses sur le feu. Ce récit, comme les autres, part bien entendu de mes crayonnés. C’est d’ailleurs ainsi que je réfléchis : je ne suis pas réellement un scénariste, car je suis incapable d’aligner des mots pour avoir des idées. Lorsque j’imagine, je dois griffonner des animaux, des personnages, pour réaliser mes pensées, construire mes scénarios.

Par rapport à Cañari, le décès de Carlos Meglia a bien évidemment été rude à encaisser…

Oui … Je souhaitais réaliser une intégrale reprenant les deux tomes parus, avec les six planches du troisième tome que Carlos (Meglia) avait déjà dessinées, et terminer comme Nahomi, avec une nouvelle clôturant la série, tout en ajoutant en illustration, l’ensemble de ses recherches. De plus, via internet, des dizaines de dessinateurs ont réalisé des dessins en hommage à son travail. Je suis certain qu’ils seraient tous prêts à en céder les droits pour réaliser cette intégrale au bénéfice de son épouse. Reste un gros travail de regroupement et de maquette à mettre sur pied. Pour l’instant, le temps est toujours au deuil, mais peut-être qu’à la fin de l’année, on essayera de se réunir, pour penser à cela.

(par Charles-Louis Detournay)

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