Si vous voulez raconter une histoire, parlez de ce que vous connaissez, conseillent les manuels d’écriture. Cyril Pedrosa suit ce principe à la lettre avec Autobio, la série qu’il a créée en 2008. Il s’est en effet pris pour modèle dans cette chronique d’un écolo urbain tiraillé entre l’orthodoxie écologiste et ses besoins inextinguibles (comme manger des saucisses cocktail par exemple).
Les Verts, l’auteur de Trois ombres les connaît bien. "Il y a des années, j’ai pris ma carte et j’étais très militant. Parce qu’à Vesoul, il y a un petit groupe local où il faut beaucoup se bagarrer. A Vesoul, l’écologie ne va pas de soi, et peut-être encore moins qu’ailleurs. Donc il fallait être très impliqué. J’ai même été secrétaire une année. D’ailleurs le plus mauvais secrétaire du monde. (rires) Je me suis rendu compte à cette occasion que je n’étais vraiment pas bon pour faire ça. Je ne suis pas assez combattif, j’ai trop d’empathie pour les adversaires. Après trois ou quatre ans de militantisme intense, j’ai déménagé dans l’Ouest et j’ai soufflé un peu, je suis parti sur autre chose."
La tentation était forte de croquer le milieu des militants qu’il a bien connu mais Cyril Pedrosa a choisi une autre direction. "Je me suis dit que je pourrais reprendre cette idée là, mais en élargissant un petit peu, en quittant la stricte sphère du militantisme politique pour parler plus généralement des petits tracas quotidiens de l’engagement écologique. Et je me suis rendu compte que c’était beaucoup plus facile de cette place là, en n’étant plus à ce point là impliqué politiquement."
Voila donc le nœud du problème : ne pas renier ses convictions dans les plus banales actions du quotidien. "J’essaye de faire gaffe en essayant de me moquer au maximum de moi d’abord. Ce n’est pas un discours sur les autres, sur les écolos, sur Cécile Duflot. Le minimum de politesse c’est d’abord de rire de soi. Au quotidien, je suis tout le temps en train de me demander "est-ce que c’est la meilleure façon de faire ceci ou cela ?" J’ai passé des années à me demander si on devait mettre le papier à plat ou en boule dans les poubelles de tri." (rires)
Toujours tiraillé par le désir de reprendre sa carte du parti, Cyril Pedrosa est en tout cas prêt à participer à une action politique des Verts, en utilisant cette fois au mieux ses compétences, c’est à dire le dessin. D’ailleurs, si Cécile Duflot a accepté de recevoir le dessinateur au siège parisien des Verts, ce n’est pas un hasard. "Depuis douze ans, les Verts décernent à Angoulême le prix Tournesol, celui de la meilleure bande dessinée écolo. Cette année, j’étais la présidente du jury. Et c’est Cyril qui a gagné."
Et comment la secrétaire nationale des Verts accueille la série ? "Ce qui est intéressant, c’est de montrer comment être écolo dans une société qui ne l’est fondamentalement pas. Parce que c’est une société de consommation, de l’immédiateté. C’est vrai que c’est un arbitrage permanent, c’est vivre avec ses contradictions et je trouve vraiment très sain de montrer qu’on ne doit pas être donneurs de leçon. Je pense que ça peut dédramatiser. Il y en a qui pense que pour être écolo, il faut être parfait."
Certains gags de l’album interpellent même l’éditeur. Comme celui où un vendeur de la FNAC regrette que la BD ne soit pas réalisée en papier recyclé. "J’aurais pu tanner Fluide Glacial de le faire absolument sur cet album là, mais est-ce que ça a du sens ?", s’interroge Cyril Pedrosa. "Il faudrait le faire pour tous les albums Fluide Glacial" surenchérit Cécile Duflot. Thierry Tinlot, lui même militant écologiste en Belgique, se défend : "Je me suis évidemment déjà posé la question. Il faut savoir qu’aujourd’hui la production industrielle de bouquins sur du papier recyclé est plus chère que sur du papier blanchi au chlore. C’est très difficile de défendre auprès d’un actionnaire. De dire : "et ben les gars on va payer les bouquins 25% plus cher pour ne pas en vendre un de plus, juste pour aller au bout de nos idées". C’est très difficile."
Bien sûr, cette visite n’était pas le prétexte à un meeting politique mais plutôt l’occasion de vérifier avec humour la pertinence des gags d’Autobio. Cécile Duflot avoua ainsi dans un souffle qu’elle ne triait pas le verre dans sa résidence secondaire car la ville ne proposait pas de tri sélectif. Cyril Pedrosa, confus, admit qu’il a abandonné au bout de six mois les paniers de légumes bio distribués dans les A.M.A.P. (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Thierry Tinlot, contrit, dévoila que sur 120 000 exemplaires de Fluide Glacial mis en vente chaque mois, seuls 70 000 trouvaient preneurs. "Le reste, c’est poubelle. C’est malheureusement la règle dans toute la presse. Ce n’est pas super écolo, on est bien d’accord. Mais il n’y a pas moyen de faire autrement. Grosso modo, si vous voulez vendre quatre journaux, vous en mettez dix en place. Et les six qui restent, c’est revendu à de la pâte à papier qui est recyclée bien entendu."
Vivre en total accord avec ses convictions est bien une sinécure, chez les Verts comme partout ailleurs. Raison de plus pour en rire. "Ce n’est pas un livre militant, conclut Cyril Pedrosa. Le livre n’est pas conçu pour convaincre qui que ce soit. J’essaye bien sûr de glisser des choses dedans, d’être sincère et d’avoir un discours de convictions. Mais l’objectif c’est d’être divertissant, que les gens prennent du plaisir à lire."
(par Thierry Lemaire)
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