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DC Comics à l’heure de l’austérité

Par Pascal AGGABI le 7 septembre 2015                      Lien  
DC Comics est dans le rouge ! On savait que la situation, au pays des comics comme dans celui de la bande dessinée, est de plus en plus compliquée dans l'univers concurrentiel des loisirs. Mais de là à ce que l'éditeur de Batman et de Superman se prenne une tôle... En cause, un déménagement dispendieux et une politique éditoriale qui tire un peu trop sur la corde des fans.

L’éditeur DC Comics, mastodonte de l’édition de bande dessinée américaine qui, avec l’autre géant du domaine, Marvel Comics forme les deux "Big Two" qui occupent les premières places dans les hits de personnages icônes-populaires-phare, connaît quelques problèmes de trésorerie.

Une paille les amis : deux petits millions de dollars qui manquent à l’appel dans les prévisions budgétaires de l’exercice 2014-2015 nous apprend le site d’information sur les comics Bleeding Cool toujours bien renseigné. Alors, le mot est lâché, dur et sévère : plan d’austérité. Aïe !

Comment en est-on arrivé là ? DC Comics, c’est l’éditeur historique de Superman, Batman, Wonder Woman et on en passe ; une multitude de personnages célébrissimes, fêtés régulièrement par des sorties stratégiquement orchestrées de films, séries, dessins animés, jeux vidéo qui en perpétuent le capital notoriété aux yeux du plus grand nombre, envahissant les écrans du monde entier. Incompréhensible, non ?

Les conjectures se multiplient : "Un mauvais concours de circonstance" imaginent les commerciaux et les marqueteurs de la firme sur la défensive... "Une usure bien naturelle : le public vieillit, ne se renouvelle pas assez, il est ailleurs..." supputent les Cassandre, rarement les derniers à faire du "DC Comics-bashing" (dénigrement), un sport bien à la mode dans le milieu des fans de comics....

Il n’empêche, sereinement, quelques pistes sont quand même à explorer.Tout d’abord, L’éditeur DC Comics, sous la houlette de Diane Nelson, présidente de DC Entertainment dont la maison d’édition DC est une filiale, a déménagé ses bureaux de New York à Burbank en Californie, dans le cadre d’un vaste plan de la centralisation des opérations de DC Entertainment prévu en 2015.

DC Comics à l'heure de l'austérité
Visuel de présentation de l’événement Convergence, avec au fond des alvéoles, comme sur les gaufres, les personnages-clefs du catalogue. Prémonitoire ?
© DC Comics

Les divisions administratives et digitales de DC avaient déjà été déplacées à Burbank dès 2010, un an après la création de DC Entertainment en 2009, qui était alors une nouvelle branche intégrant DC à la holding de tête Time Warner, conglomérat dans le secteur des médias dont fait partie également le studio hollywoodien Warner Bros Pictures qui adapte sur les écrans de cinéma les Superman, Batman et consorts.

Un déménagement exécuté en avril 2015, qui ne s’est pas fait sans heurts puisque, au passage, DC Comics a perdu quelques-unes de ses forces vives qui ont refusé de quitter New York. Mais un déménagement pareil, c’est lourd à porter. Dès lors, difficile de se consacrer entièrement à la création, alors qu’il faut occuper le terrain, ne pas perdre un pouce de sa place dans les linéaires face à la concurrence.

C’est là qu’arrive à point nommé l’événement éditorial de DC nommé Convergence, crossover qui succédera alors à New 52 : Futures End et Earth Two : World’s End ; crossover prévu pour garder les fans en ordre de marche pendant les deux mois du déménagement. Événement qui sera l’occasion de lancer une multitude de mini-séries hebdomadaires en deux numéros avec des personnages issus de l’univers New 52, cette relance de l’univers DC datée de septembre 2011 et un des précédents événements éditoriaux qui avait connu un certain succès. New 52 qui, pour le coup, avait fait une pause de deux mois, comme les autres séries en cours d’ailleurs.

Un gaufrage en règle

C’est avec Convergence que le trio éditorial formé par Dan Didio, Geoff Johns et Jim Lee (Didio et Lee sont les coéditeurs en chef de DC Comics) profitait du déménagement des locaux de la Côte Est vers la Côte Ouest des USA pour renouveler les histoires des héros-maison en permettant à une multitude de scénaristes et dessinateurs d’explorer la richesse du DC Universe qui s’est construit ces huit dernières décennies, avec la volonté de rendre hommage à une fameuse lignée d’histoires marquantes, pour emmener ses héros dans des contrées inexplorées jusqu’ici. C’était bien vendu. Mais on aurait dû se méfier : la chose a vu son premier numéro, le #0, sortir un 1er avril...

À l’occasion, Dan Didio avait expliqué que Convergence irait "capturer toute l’essence et l’étendue de l’histoire de DC et de ses récits" car, pour lui, "il y a une histoire et un personnage pour chaque génération de fans de DC Comics ". Voire. Vu la chute sévère des ventes après la sortie des premiers numéros, on peut appeler cela un gaufrage complet !

En dehors de tout lyrisme de circonstance, Convergence a surtout été perçu comme un événement bouche-trou, un moyen de déléguer le boulot à des éditeurs intérimaires pendant que l’équipe de la Distinguée Concurrence -surnom donné par l’éditeur Marvel Comics qui, pendant ce temps-là, amère constatation, multipliait de son côté les succès- déménageait les locaux en Californie. Gros manque à gagner à la clef, d’autant que, il fallait s’en douter, le fameux déménagement aurait coûté plus cher que prévu.

La complexité du DC Universe et sa multitude de réalités alternatives, si enchevêtrées que même le solide Superman en est tout marri. Les fans, eux , ont fini par bouder.
© DC Comics / Alex Ross

La loi des séries

Sans doute l’avez-vous déjà remarqué : quand les choses sont mal engagées, elles s’entêtent souvent à persévérer dans le trouble. Aiguillonné par le vaste plan de relance qui secoue le monde des comics en général, bien obligé qu’il est à renouveler et à diversifier au maximum les publics potentiels à grands coups de chamboulements parfois très sains, DC Comics a mis en branle en juin dernier, à grands renforts d’affiches et de vidéos promotionnelles, un autre vaste événement éditorial présenté comme révolutionnaire (encore !) appelé DC You.

Avec une continuité propre, mise en place dans le but avoué de varier au mieux le contenu des différents titres et de s’éloigner du "grim and gritty" (sombre et violent) à tout prix cher à Frank Miller, cette ouverture permettait d’offrir une perspective à des séries plus légères comme Harley Quinn, Power Girl, Robin son of Batman, plus loufoques comme Bizarro ou Bat-Mite, plus iconiques comme Justice League of America ou la fameuse série Batgirl. Avec cette baseline très à propos : DC You car, bien évidemment, il y a forcément une série pour chacun de vous...

Selon Lee et Didio, les coéditeurs en chef de DC en pleine promo, l’idée maîtresse de DC You est de ne plus contraindre les auteurs à se focaliser sur la continuité stricte afin qu’ils puissent offrir, en parallèle à la sortie des séries plus classiques, le prochain Dark Knight Returns de Frank Miller ou Kingdom Come de Mark Waid et Alex Ross, histoires mythiques qui ont marqué leur époque.

Ainsi, DC invite des grands noms à lancer de nouvelles séries qui se passent sur une autre Terre que celle de la continuité officielle. Belle intention de départ encore mais... re-gaufrage. Avec ce constat ironique : DC est victime de la loi des séries.

Superman version "DC You" de la part d’un éditeur qui cherche maintenant à casser son image trop conservatrice. Forcément, c’est différent ! Les fans n’ont pas trop aimé...
© DC Comics

Les causes de ces échecs divisent les observateurs pour qui cette vague de changements est trop rapide, trop forte, trop complexe. Résultat : les comptes sont dans le rouge. Il faut trouver deux millions de dollars dans l’urgence, coûte que coûte : on resserre les boulons, on colmate les fuites, l’éditorial demande fermement aux équipes créatives d’arrêter de faire de la " Batgirlisation", terme imagé qui désigne les nouvelles approches de DC, tant scénaristiques que graphiques qui ont été opérées sur bon nombre de titres récemment, en référence à ce qui a été fait avec succès sur Batgirl lors de sa refonte par l’équipe créative emmenée par le créateur Cameron Stewart. Une réussite trop systématiquement imitée avec une impression de passage en force qui a sans doute lassé les fans qui ont préféré miser sur les séries plus classiques de l’éditeur.

Restructuration

Alors on rectifie le tir, on anticipe le sort des séries fragiles, on revoit certains projets, on mise au maximum sur les valeurs sûres, même si, pour faire taire les rumeurs alarmistes, dans un entretien accordé au Daily News de Los Angeles, Dan Didio et Jim Lee rassurent : "Si vous voulez bâtir une base de fans, un nouveau public, vous devez soutenir votre projet. Vous devez prendre votre temps. Vous devez assumer le poids de vos pertes. Pour le moment, notre rôle est de lancer et de soutenir un maximum de titres, les plus différents possibles, pour essayer d’attirer un maximum de lectorats." Ils ajoutent : "Que DC devrait juste ajuster un peu les choses et se concentrer sur sa stratégie. Puisque ce que nous avons fait en juin est la première étape de la transformation de notre gamme de comics."

Brenden Fletcher (coscénariste) Cameron Stewart (coscénariste et metteur en page), Babs Tarr (dessinateur) et Maris Wicks (couleurs) s’illustrent dans la modernisation de "Batgirl". Un nouveau mètre-étalon pour les comics se définit alors.
© DC Comics

Certes, mais quelques faits intriguent les observateurs : DC Comics compterait au passage baisser le prix payé à la page aux artistes, alors que jusqu’ici, l’éditeur de Superman était réputé pour la bonne tenue de ses salaires. Il prévoit aussi d’augmenter le nombre de pages de publicité, déjà très présentes dans ses comics. À cela s’ajoute une décision que d’aucun annoncent comme funeste, surtout quand on a la prétention de s’adresser au plus grand nombre : DC parle d’augmenter le prix de ses publications, alors qu’il était également jusqu’ici l’un des éditeurs les plus abordables du marché.

Pour faire avaler ces couleuvres, DC aligne ses valeurs sûres, Batman en tête. DC Comics escompte se refaire une santé avec la sortie du très attendu Dark Knight 3 : The Master Race, succès annoncé prévu en huit livraisons qui arriveront dans les bacs dès cet automne 2015 et qui devraient faire repartir la machine à bénéfices, surtout si, comme c’est prévisible, on n’oublie pas de déployer toute la panoplie des couvertures variantes et autres éditions spéciales destinées à faire frissonner les collectionneurs.

Constatons-le : deux millions de dollars à l’échelle de DC Comics, ce n’est pas une grosse somme. Le malade ne va pas si mal, même si cet épisode démontre que, de part et d’autre de l’Atlantique, comme sur les rives du Pacifique, les choses ne sont plus aussi simples qu’avant, qu’il faut s’adapter aux changements rapides de ce monde.

En dépit de ses mésaventures, DC Comics devrait pouvoir se rétablir. On n’imagine pas en effet que Superman se retrouve en slip... Ah, ben si en fait, puisqu’il l’est déjà.

Visuel de promotion pour "The Dark Knight :The Master Race", écrit par Brian Azzarello sur un script original de Frank Miller. Andy Kubert est au crayon et Klaus Janson à l’encrage. Est-ce là la bouée de sauvetage attendue par DC ?
© DC Comics

(par Pascal AGGABI)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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3 Messages :
  • DC Comics à l’heure de l’austérité
    7 septembre 2015 13:09, par Oncle Francois

    Félicitations, Monseur Aggabi, je vois que le conseil amical que je vous ai donné hier soir à propos de votre longue série d’articles sur les Titans a été vite mis en application.

    Sans être expert en comics, j’ai lu avec le plus grand intérêt votre article qui explique les problèmes financiers de DC. Que le grand déménagement ait couté cher, on peut le concevoir. New-York est de l’autre coté de la côte Ouest, par rapport au continent américain. C’est même si éloigné qu’il y a des fuseaux horaires différents, c’est tout dire ! Donc il a fallu payer des primes de déménagement à tous les employés qui voulaient bien suivre, les aider à trouver un nouvel appartement ou bungalow, mais également payer de conséquentes indemnités de licenciement à ceux qui refusaient cette mutation géographique importante.

    Pourquoi pas, cela doit faire partie du folklore ce grand pays. Ce qui m’amuse, c’est quand j’apprends que leur tentative de modernisation de personnages anciens bien connus se traduit par un flop commercial ! Cela me rappelle certaines tentatives de ce coté de l’Atlantique (Sfar sur Blake & Mortimer ou sur Corto Maltese, Trondheim et Parme sur un Spirou hors série, Valérian par Larcenet)

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    • Répondu le 7 septembre 2015 à  18:49 :

      Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer de chacune de vos interventions ! Mais vous ne vous arrangez pas et j’essaye de comprendre l’intérêt du site de laisser passer votre bouillie intellectuel !

      Je n’y arrive toujours pas...

      Répondre à ce message

    • Répondu par Pascal Aggabi le 9 septembre 2015 à  22:46 :

      Merci pour vos précieux conseils Oncle François et continuez à poster vos commentaires si amusants à lire.Ils agacent et font réagir épidermiquement des lecteurs qui ont le bon,ou mauvais goût de ne pas partager vos emportements .C’est la preuve que ces commentaires sont indispensables à tous débats représentatifs.

      Répondre à ce message

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