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TRIBUNE LIBRE À Didier Pasamonik : Nietzsche ou l’Oncle Paul chez les Bobos

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 juin 2010                      Lien  
Les éditions du Lombard peuvent se gargariser : ils viennent de mettre à leur catalogue l’une des signatures les plus médiatiques du moment : le philosophe préféré de la petite lucarne, Michel Onfray. Joli coup éditorial. Paris-Match adore. Nous, on s’interroge.

TRIBUNE LIBRE À Didier Pasamonik : Nietzsche ou l'Oncle Paul chez les BobosDéjà, soyons clairs : ce qu’on nous vend sur la couverture comme un album de Michel Onfray avec sa complaisante complicité, y compris sur ActuaBD sous la plume de notre collègue et ami Charles-Louis Detournay, n’est pas de lui. Il s’agit de l’adaptation d’un scénario qu’il a écrit pour un film documentaire sur Nietzsche, L’innocence du devenir - La vie de Frédéric Nietzsche . Onfray n’a pas eu l’idée (car la vie de Nietzsche, il ne l’a tout de même pas inventée), il n’a pas davantage découpé le scénario, ni rédigé ses dialogues. C’est son dessinateur Maximilen Le Roy qui s’en est chargé. Et encore, bon nombre de textes sont de Nietzsche lui-même dans une traduction dont l’auteur n’est d’ailleurs pas crédité.

Mais on ne peut pas en vouloir pour cette petite entourloupe commerciale immédiatement éventée en page de titre de l’ouvrage (il faut bien parfois succomber aux vices du consumérisme et on espère que Michel Onfray reçoit un substantiel pourcentage sur les ventes, car il l’aura bien mérité), on comprend la démarche du dessinateur et surtout de son éditeur, Le Lombard : au box-office de la lucarne, Onfray a depuis longtemps relégué BHL au statut de marionnette surannée (il faut dire que ça lui va comme un gant). Le héraut de l’athéisme militant, tel qu’on le voit à la télé, a une mine tout à fait sympathique : docteur en philosophie politique et juridique, il en impose, cultive l’impertinence en collaborateur patenté de Siné Hebdo, n’hésite pas à dire qu’il connaît ses dossiers et, habile bretteur de mots, sait mieux que quiconque prendre la pose de l’agressé. D’abord enseignant à l’Education Nationale avant d’en démissionner lorsque, dit sa biographie sur Wikipedia, « Le Pen apparut en 2002 au deuxième tour des présidentielles », il fonde une « Université populaire » qui ne désemplit pas à Caen où il enseigne de nouvelles formes de l’hédonisme et de l’athéisme, se revendiquant d’une gauche libertaire.

C’est cet homme-là que le jeune Maximilien Le Roy, 26 ans aux chanterelles, dessinateur au talent appréciable, admire et décida d’approcher à la lecture de son script. La manœuvre est payante puisque cet ouvrage très moyen ne décroche pas de la liste des best-sellers comme tout ce que signe le Midas de la philosophie populaire. Sauf que, du point de vue de la BD, on n’a pas vraiment progressé. On a reculé plutôt, depuis les Oncle Paul qui paraissaient dans Spirou à partir de 1954.

Souvenirs de l’Oncle Paul

C’était notre « université populaire » à nous. Elle commençait toujours par une question des deux neveux dessinés par Eddy Paape. La figure paternelle de l’Oncle Paul (on sait aujourd’hui qu’il s’agissait de Paul Dupuis, l’imprimeur du quatuor d’éditeurs) y répondait et leur faisait gentiment la morale en racontant une anecdote édifiante. Toute l’histoire du monde y passait : La prise de Rome par les Barbares, la protection de Saint-Malo par la Vierge, la véritable histoire du Vaisseau Fantôme, le radeau de la méduse, la bataille de Trafalgar, la résistance d’Adb-el-Kader en Algérie, etc. Une histoire aux accents de la IIIe République destinée, on le sait aujourd’hui, à complaire aux censeurs de la célèbre Commission pour la Protection de la Jeunesse, l’Anastasie de la Loi de 1949.

Le Nietzsche de Maximilien Le Roy ne fait rien d’autre que cela : de la naissance à la mort, on nous égrène les faits saillants du grand homme, aux limites du name dropping historique : sa rencontre avec Wagner, sa liaison avec Lou Andreas-Salomé, la folie due à une syphilis contractée dans sa jeunesse, ses fulgurances théoriques, sa santé fragile, sa mise à l’écart du professorat. On entrelarde tout cela de citations obscures dans le style oraculaire dont le philosophe avait le secret. Le dessin est habile, appliqué et même parfois inspiré ; il colle souvent au document. De temps en temps, surtout quand il faut évoquer les moments de délire, le trait se fait plus abstrait, voire anachroniquement expressionniste avec ses notations « giacomettiesques. »

Coffee Table Book

Charles-Louis Detournay affirme que cette BD donne envie de se replonger dans les œuvres du penseur. On peut l’espérer, mais je n’en suis pas si sûr.

Parce que je me souviens des Oncle Paul. Dans cette BD géniale, on pouvait imaginer que les neveux riaient sous cape des sentences de leur vieux barbon de tonton même si, en passant, ils avaient fini la journée moins bêtes qu’avant. Il y avait une distance par rapport au savoir ; il n’était pas, comme ici, sacralisé dans une espèce de pathos qui invoque la tragédie. Le prolifique Jean-Michel Charlier ou le jovial Octave Joly et leurs dessinateurs enlevaient, avec leur naïveté, la peur d’apprendre. La même chose se passait à la lecture des biographies de Jijé, de Paape ou d’Hubinon : Don Bosco (et Dieu sait que je n’ai pas eu une éducation religieuse), Surcouf, Mermoz, Baden Powell… Ces aventuriers, ces héros assumaient simplement le rôle d’élever ce qui était une "contre-culture", sinon une "sous-culture".

Le Nietzsche, dans sa forme-même, affirme son ambition artistique. Ici, non seulement la dérive mentale du philosophe apparaît aussi lourdement répétitive qu’indigeste et mais on ne nous apprend quasi rien sur sa pensée, sauf à la disqualifier en insistant sur ses tourments d’aliéné. Les figures secondaires de Wagner ou de Lou Salomé sont tellement elliptiques qu’il nous est impossible d’apprécier leur véritable importance. Pire : on nous fait une digression pour nous expliquer que le grand Friedrich, mort en 1900, n’est pas nazi ce qui relève d’une sorte de déterminisme historique étrange, simplement pour justifier que ce n’est pas lui, mais sa sœur, qui jeta le concept du surhomme dans la gueule de la Bête immonde.

On comprend par ce travers que cette biographie de Nietzsche est bien plus que le simple récit d’une vie exemplaire. On nous en a fait un joli Coffee Table Book pour Bobos avides de savoir et de conscience politique prémâchés qui réussit le tour de force de nous proposer une image romantique sinon saint-sulpicienne laïque (ou bouddhiste, allez savoir [1]) du bonhomme, dont le récit merveilleux nous est dispensé comme on tend une hostie à un communiant agenouillé.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Lire aussi : La chronique de Charles-Louis Detournay sur Nietzsche

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[1Yannis Constantinidès, Nietzsche l’éveillé, avec des dessins de Damien MacDonald, Ollendorf & Desseins, Paris, 2009.

 
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15 Messages :
  • Je ne ferai pas le même diagnostic (sur le boboisme du livre qui me parait au contraire destiné à la vulgarisation de Nietzsche pour les ados boutonneux rebelles sous couvert - il est vrai - d’une "autorité" culturelle) mais le fait est que ce bouquin est imbuvable. Outre le graphisme manièré aux poses théâtrales et le lettrage franchement laid, on ne peut que s’énerver du mépris qu’Onfray donne à la forme employée "Je voulais faire un film mais je n’avais pas les moyens alors on a fait une BD" glurp...

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  • et Dieu si ( sait )

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    • Répondu par ActuaBD le 15 juin 2010 à  14:50 :

      C’est corrigé. Merci pour votre vigilance.

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  • DIDIER PASAMONIK : Nietzsche ou l’Oncle Paul chez les Bobos
    15 juin 2010 15:32, par Sebastien NAECO

    Un seul mot me vient en conclusion de cet article : Amen. Pour celui qui annonce la mort de Dieu, c’est comique...

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  • Il est également de bon ton chez les bobos de dénigrer le populaire Onfray qui a commis le sacrilège de vouloir sortir la philosophie de sa tour d’ivoire pour la mettre à la portée de la populace. Même si n’aime pas tous ses bouquins (j’ai détesté son dernier sur Freud), je me réjouis que des gens comme lui, R. Enthoven, Nicolas de Morand et autres, occupent un peu la petite lucarne, et nous permette d’échapper ne serait-ce qu’un instant au processus de crétinisation général dont la télé est le principal instrument. Ce n’est pas si courant de voir une personnalité à la télé qui incite les téléspectateurs à penser par eux-même ?
    Je n’ai pas lu la bd de/avec Onfray mais si elle permet à certains de lire les bouquins du philosophe (dont certains sont accessibles aux non initiés), ce sera une très bonne chose pour la philosophie qui mérite mieux que sa triste réputation d’élitisme et d’hermétisme.

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    • Répondu par Kamil P le 15 juin 2010 à  19:37 :

      Il est également de bon ton chez les bobos de dénigrer le populaire Onfray qui a commis le sacrilège de vouloir sortir la philosophie de sa tour d’ivoire pour la mettre à la portée de la populace.

      Vous vous trompez de colère, je crois. Onfray est justement l’un de ces "bonobos" médiatique qui sont régulièrement cités par la presse bourgeoise. Les numéros de Télérama, où Onfray y va de son commentaire, sont nombreux.

      Je crois que sous des dessous populaires, Onfray dissimule un âme de gourou. Quelles différences y a t-il entre l’hédonisme dont il se fait le chancre et le consumérisme ? A mon sens, aucune. Ceux qui affirment qu’Onfray veut mettre la philo à la portée de tous n’ont pas lu l’imbitable "sculpture de soi" écrit tout en volapüke.
      Pour moi son discours est de la pure escroquerie. C’est l’un de ces "philosophe disc-jokey" dont parlait Deleuze : une sorte de dandy moyen qui recycle ou remixe un discours déjà énoncé durant les années 60. Ce n’est pas un hasard si Onfray passe son temps à citer d’autres philosophes...
      Il faut lire sa dernière interview dans "Philosophie magazine" à propos de Freud. Grandiloquence, raccourcis fulgurants, approximations et mauvaise fois... tous ça parce qu’en réalité, Freud a dénoncer l’illusion du marxisme et qu’il s’oppose d’une certaine façon à la jouissance que profère Onfray.

      Si vous désirez lire quelqu’un qui est diamétralement opposé à lui (pour avoir une contre opinion) et qui en plus est très facile à comprendre, jetez un oeil à "l’homme sans gravité" de Charles Melman.

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      • Répondu par Géraud le 15 juin 2010 à  20:58 :

        « l’hédonisme dont il se fait le chancre »
        Lapsus scripti ? ...Belle formule en tous cas !

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        • Répondu par Kamil P le 16 juin 2010 à  10:49 :

          Comme vous dites, il s’agit d’un Lapsus scripti... Il faut donc rectifier par "chantre"... :D

          Onfray n’est pas dénué d’un certain ascétisme...

          Votre remarque me laisse perplexe. Dans les ouvrages que j’ai lu de lui, il citait régulièrement Wilhem Reich. Je ne sais pas si vous connaissez ce sinistre personnage, mais le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’était pas un ascète. De toutes manières, Onfray met bout à bout tout et son contraire sans tenir compte des contextes ou des particularismes... on ne peut pas dire que sa démarche soit très sérieuse.

          Si grâce à Onfray, des jeunes ou des moins jeunes ouvrent les livres de philosophes accessibles comme Platon, Montaigne, Spinoza et cie, nous devrions lui en être reconnaissant

          On peut voir les choses de cette façon, en effet. J’aurais quand même préféré que l’on médiatise quelqu’un d’un peu moins narcissique.

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          • Répondu par denis le 16 juin 2010 à  15:15 :

            Moi aussi mais nous sommes dans la société du spectacle et il faut (malheureusement) faire avec ses codes. Elle est loin l’époque où un Deleuze ou un Foucault pouvaient passer à la télé (même à des heures pas possibles)et je le regrette sincèrement. Et puis, il y a quelques années, lorsque Onfray débutait l’université populaire de Caen tout le monde disait du bien de lui et maintenant qu’il est médiatisé et qu’il vit surement confortablement de son travail, les mêmes lui tombent sur le râble alors qu’il n’a pas changé son discours d’un iota ...

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      • Répondu le 16 juin 2010 à  01:12 :

        Relisez vos classiques, et en particulier Epicure et vous verrez que l’hedonisme en question, celui dont parle Onfray n’est pas dénué d’un certain ascétisme et a plus a voir avec la"joie" professee par Francois d’Assise,Omar Khayyam ou Li Po qu’avec la consommation de Jacques Seguela...
        Quant a sa vision du dieu Freud, elle est certes a des années Lumière du dogme de la cause freudienne et de son nouveau Pape Jacques-Alain Miller, mais un dogme est-il une vérité ?

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      • Répondu par denis le 16 juin 2010 à  07:40 :

        Mais Onfray n’a jamais prétendu être un "vrai" philosophe producteur de système philosophique, c’est un pédagogue, un vulgarisateur de la philosophie, souvent démagogue et plastronnant je l’admets mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et je préfère voir des philosophe/people et dandy comme Onfray à la télé plutôt que le néant culturel et intellectuel qui est son quotidien.
        Si grâce à Onfray, des jeunes ou des moins jeunes ouvrent les livres de philosophes accessibles comme Platon, Montaigne, Spinoza et cie, nous devrions lui en être reconnaissant

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        • Répondu par Oncle Francois le 16 juin 2010 à  22:32 :

          "des philosophe/people et dandy comme Onfray "

          je l’ai vu à l’émission de Ruquier (On n’est pas encore... occuppés à R-Onfray, arf arf arf !°, je suis le nouveau Greg !°), on dirait en fait un prof de philo, ce qu’il est en réalité, car il n’a rien d’un dandy, contrairement à BHL (agrégé de philo héritier d’une belle et grande fortune, mari de la belle Arielle Dombasle).

          Pour revenir à l’oeuvre de ce Van Hamme de la philosophie : je ne suis pas spécialement amateur de philo, mais j’ai quelques souvenirs des études littéraires qui m’ont conduit au Droit. Il me semble qu’il se contente de vulgariser des grandes oeuvres, peu accessibles au commun des mortels. Freud n’était pas philosophe, mais psychiatre (avec des débuts comme médecin spécialiste du magnétisme et de l’hypnose). Un de ses rares livres de philo bien écrit reste "Malaise dans la civilisation". Quant à Nietzsche, on sait que ses thèses servirent de caution intello à un certain Adolf moustachu en fureur. Le problème, c’est que N. n’était pas antisémite, contrairement à sa soeur. Et quand il parlait de sur-homme, il ne s’agissait évidemment pas de l’aryen pur souche blond aux yeux bleus. Ma devise favorite reste son célèbre "il faut vivre dangereusement", plus facile à placer dans une conversation que "Dieu est mort".

          Ainsi parla François Pincemi.

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  • Ah ça dénonce ça dénonce, de haut en bas, on se croirait dans un forum youtube mais réservé aux vieux garçons qui n’ont pas eu de jeunesse. Sur la dizaine de messages ici, on se croit face a des Monsieur/Ladies je-sais-ce-qui-est-vrai-et-juste : Ah ! Vil imposteur de la Pensée qu’est cet Onfray (dont on jalouse inconsciemment les mérites). Sous le couvert classique on ne peut plus heu... "bobo" (terme fourre tout à la mode qui dans le fond semble sortir d’une terminologie ségrégationniste bon chic bon genre ; rien que son emploi signale une faille consciencieuse, qui dans le texte fait ce qu’elle dénonce.) Vous criez au bandit et en vrai, racontez n’importe quoi. Vous voyez en Onfray ce qu’avant tout vous voyez en vous et ne supportez pas ses errances, ses échecs, ses erreurs et ses tentatives qui - faites à mon sens d’un réel désir d’envisager/ de recycler/ de faire continuer le "work in progress" d’ actions libératrices multi-séculaires du psychisme maitre des systèmes et du système,votre système - sonne pour vous comme un secret désir de gloire et de conquête. Oh mais soyez francs un peu tous autant que vous êtes !! N’importe quel lambda est mû par ces désirs, et vous peut-être plus encore, vu que vous les stigmatisez comme pour masquer la bien cachée mauvaise foi coutumière du : on juge avant tout la personne, pas les concepts qu’il avance. Onfray oui manque de charisme évident, et c’est ça qui je sens est pour vous impardonnable, comme il semble pour vous impardonnable de tenter de conceptualiser le monde alors que le niveau d’études ne suit pas. Hé bien, je vais vous dire, la jeunesse sans fout pas mal de vos a-priori et votre paternalisme masqué en pensée post-nihiliste passive, le monde se fera quand même, que vous le vouliez ou non... en clair : ne tombez pas dans les pièges que vous dénoncez.

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    • Répondu le 7 avril 2015 à  16:00 :

      Alors Nils, on n’a pas digéré un poisson (d’avril).

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      • Répondu par Nils D. le 11 avril 2015 à  01:20 :

        Revois tes vannes à la baisse, j’suis pas dupe. Pas pour moi la gué-guerre des mots, mais si ça t’excite tant mieux pour toi ;-)

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