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Dany ("Olivier Rameau", "Guerrières de Troy") (2/3) : "Ce genre de dessin coquin dans le style "classique franco-belge ", personne ne l’avait fait avant moi."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 mars 2014                      Lien  
Suite de l'interview de Dany. Il a lancé Olivier Rameau, sur scénario de Greg, réalise avec Jean Van Hamme un album fameux : "Histoire sans héros", succède à "Bernard Prince" sur le dessin et se fait parallèlement un nom dan le dessin publicitaire. On voit aussi de plus en plus paraître ses dessins coquins...

La fin des années 1970 et le début des années 1980 sont, pour Dany comme pour la bande dessinée belge, marquées par une période de turbulences. D’abord parce que les grands fondateurs, les Dupuis, les Leblanc (Lombard), les Casterman,... sont en train de passer la main, mais cela ne se sait pas encore.

Ils sont aussi contestés dans leur leadership. L’un des faits marquants de cette période est l’arrivée en 1979 de Super-As, une revue financée par le groupe allemand Springer, cornaquée par l’ancien directeur commercial du Lombard, Jacques De Kezel en complicité avec Jean-Michel Charlier. Cette revue a pour effet de "déshabiller" le catalogue de Lombard et de Dargaud [1]. On y retrouve une série de grands classiques de ces éditeurs : Michel Vaillant, Tanguy et Laverdure, Barbe rouge, Blueberry, Dan Cooper,... chose qui marque la décadence de ces deux labels bientôt rachetés par Media-Participations.

Dany ("Olivier Rameau", "Guerrières de Troy") (2/3) : "Ce genre de dessin coquin dans le style "classique franco-belge ", personne ne l'avait fait avant moi."
Dany reprend Bernard Prince en 1979
Ed. Le Lombard

Cela correspond aussi à une forme de contestation des structures éditoriales en place, de moins en moins adaptées aux nouvelles pratiques de la création, notamment l’avènement de la bande dessinée pour les adultes. Il faut dire que le décès inopiné de Goscinny en 1977 marque un tournant. La période se signale par une affirmation de plus en plus marquée des créateurs, favorisée par l’émergence d’une bande dessinée d’un genre nouveau née dans des supports créés par les auteurs eux-mêmes : L’Écho des savanes, Métal Hurlant, Fluide Glacial... L’étape suivante sera l’auto-édition : Brétecher, Gotlib, Uderzo, Graton, Tabary, Peyo... choisissent cette voie dans ces années-là.

Une nouvelle génération d’éditeurs est là qui pointe du nez : Les Humanoïdes Associés, Albin Michel, Glénat, Soleil, Delcourt, Futuropolis... En attendant L’Association.

Greg, rangé derrière Dargaud, voit son étoile pâlir en même temps que son éditeur décline. La bande dessinée de papa prend un sacré coup de vieux. Comment un classique comme Dany s’en sort-il ?

Il reste relativement maître de ses choix surtout parce que la bande dessinée n’est plus sa seule source de revenus (voir l’entretien ci-dessous). Il accompagne un temps Greg en créant une nouvelle série chez Dargaud, Jo Nuage et Kay Mac Cloud (1976), esquisse une collaboration avec Van Hamme qui tourne court (Arlequin, 1978), assure la reprise de Bernard Prince (sur scénario de Greg, 1979) et la production, de plus en plus sporadique, d’Olivier Rameau dont il finit par assumer seul le scénario.

C’est le moment où ses "Coquines" apparaissent, profitant de l’avènement de la bande dessinée pour les adultes.

Dany au Festival BD Boum de Blois en novembre 2013
Ph : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Le départ de Greg laisse un grand vide au Lombard...

Je ne sais pas comment ils ont géré cela. Moi, j’avais fait Arlequin avec Jean Van Hamme, je commençais à faire plein de choses sans Greg... Dans les années 1980, j’ai fait aussi énormément de publicité, je n’avais plus besoin de la bande dessinée pour vivre. C’était une période bizarre. Je travaillais pour une agence parisienne, Exact Conseil. J’étais trois jours par semaine à Paris. Ma vie ressemblait à un album de Lauzier ! Je me suis bien amusé, ça a duré une dizaine d’années au détriment de la BD. J’ai failli perdre mon âme dans cette histoire parce que, même si c’était très, très bien payé, ce n’était pas mon métier. Je ne faisais presque plus d’albums, il y avait un problème.

En même temps, votre éditeur principal, Le Lombard, vivait une sorte de décadence.

Le premier tome des "Blagues coquines" de Dany
Ed. P&T Productions

Oui, tout le monde foutait le camp. Les rédacteurs en chef se succédaient les uns derrière les autres... Le seul auteur qui restait, c’était Tibet. Je crois que c’est grâce à lui que le Lombard existe encore d’ailleurs. Leblanc décida à un moment de vendre sa maison d’édition sans en parler à qui que ce soit. Les nouveaux acquéreurs voulaient, disait-on, utiliser le Lombard pour propager la bonne parole de l’Église catholique !

Fin des années 1980, un jeune éditeur, Thierry Taburiaux de P & T Productions (Joker), avait remarqué que, lors des séances de dédicaces, pas mal de lecteurs, jeunes et moins jeunes, demandaient un dessin de Colombe un peu plus déshabillée que dans les aventures d’Olivier Rameau... Il m’a alors proposé de faire une BD un peu érotique, par exemple le Kamasutra illustré. j’ai commencé à faire des illustrations sur le sujet mais cela m’a très vite ennuyé. J’ai voulu ajouter un peu d’humour, des blagues coquines. J’avais autour de moi des gens comme Tibet qui racontaient ces blagues comme personne. je me suis dis qu’elles avaient un format de gag BD. Il suffisait de les découper, de les dialoguer et de les traduire en BD, d’en faire un gag . Souvent, Tibet m’appelait : "Est-ce que tu connais celle de..." Hop, j’en faisais une BD et je l’envoyais en priorité à Tibet. Ma meilleure récompense, c’est quand il rigolait comme une baleine en découvrant mon adaptation.

Je savais à ce moment-là, que j’avais inventé un genre nouveau. Je racontais des blagues énormes avec des filles déshabillées dans des situations parfois un peu scabreuses mais sans tomber dans la vulgarité. J’adoptais cela avec un dessin très "franco-belge", dans le style de Gaston ou de Boule & Bill, bien que je ne me compare pas au talent de ces géants, bien sûr.

Une blague coquine de Dany
© Dany

Ces blagues énormes étaient rendues crédibles par les décors, le souci du détail : les voitures, les vêtements,... C’est un mélange de genres qui a très bien fonctionné. Avant, il y avait des gens comme Reiser, Lauzier ou Vuillemin, qui racontaient des histoires un peu lestes mais leur dessin-écriture, percutant, ne tentait pas de faire de beaux dessins anecdotiques. Ce que j’ai fait, avec ce style de dessin "classique franco-belge " mais coquin, personne ne l’avait fait avant.

De Groot vous rejoint assez vite dans l’aventure...

Oui, parce que pour le premier album, on avait un matériel un peu disparate composé d’illustrations et des planches BD , et Bob a orchestré tout cela . Il a inventé des gags et des textes pour compléter et organiser cet album qui reste le plus cohérent, le plus "justifié " de la série. Cela a été un succès colossal, dès le début. Sur les six titres publiés, quatre au moins dépassent les 100 000 exemplaires vendus en français. Le premier en est à la 17e réimpression. Mais il n’y a pas qu’en France que cela marchait ! En Hollande, à une époque , on a vendu presque autant de la version néerlandaise, Rooie Oortjes, que d’Astérix ! L’Allemagne a été aussi un marché fantastique. Et les marchés scandinaves, partout !...Et ça m’amusait beaucoup , en plus !

Mais au bout d’un moment, comme d’habitude, je me suis lassé. Bon, d’accord, je me suis amusé et j’ai gagné du pognon. Et je crois aussi que j’ai fait du bon boulot avec ces albums. Quand je me compare aux auteurs qui ont suivi, qui se sont engouffrés dans ce créneau, à qui les éditeurs ont demandé expressément d’imiter mon style, je pense que je peux en être fier. On m’a d’ailleurs proposé que ces séries, dessinées par d’autres , paraissent sous le label "Dany présente..." et j’aurais touché des droits là-dessus (il y a plus de trente albums dans cette collection maintenant). Je n’ai pas voulu parce que cela me donnait la responsabilité de garantir une certaine qualité et surtout parce que, gagner de l’argent sur le travail des autres, ce n’est pas mon truc.

Au loin, le Taj Mahal...
© Dany

Est-ce que vous avez l’impression que les critiques que l’on adresse à ce genre de bande dessinée sont sous-tendues par une espèce de puritanisme rampant ?

Il y a, actuellement, un "politiquement correct" qui me gonfle terriblement. Cela dit, je n’ai pas fait des albums pornographiques, j’ai fait des albums coquins, rigolos. La meilleure preuve est que j’ai un public féminin très important pour ces albums parce que les femmes comprennent que, au-delà de la couverture aguicheuse, de la blonde à gros nichons, etc, ce ne sont pas du tout des albums de vieux machos à lire d’une seule main ! Ce sont des gags où d’ailleurs, bien souvent, ce sont les mecs qui sont ridicules, pas les filles. Ce sont des albums pour faire rire, avant tout. Mais au bout d’un moment, j’ai eu envie de faire autre chose...

Colombe sur la plage
© Dany
Equator reflète l’affection de Dany pour l’Afrique
Ed. Le Lombard

Il y a notamment eu Equator...

J’ai toujours aimé voyager. Equator reflète ma fascination pour l’Afrique . Dans tous mes voyages, j’accumule beaucoup de documentation, mais aussi beaucoup d’émotions. C’est dans Equator, que je me sers le plus de tout ça . Certains lecteurs m’ont fait ce compliment : "On retrouve l’odeur de l’Afrique dans Equator ". C’est fantastique comme compliment. Le projet m’est venu par Jean-Michel Charlier qui avait été chargé par Robert Laffont de créer une collection de bande dessinée. Il me demandait si j’avais un projet à lui proposer. Je lui montre les quatre premières pages d’Equator. Il me dit : banco, on prend ! Et puis, ce projet est tombé à l’eau du côté de Laffont mais Jean Van Hamme, qui était à l’époque directeur général chez Dupuis et Philippe Vandooren, que je connaissais puisqu’il était le beau-frère d’Hermann, me demandent en même temps si je n’ai pas un projet. Je lui montre ces quatre pages et, banco !, à nouveau. Ils le prennent. Mais je faisais des tas d’autres trucs en même temps et j’ai mis un an à rentrer dix pages. Vandooren m’a dit : "Ce n’est pas raisonnable, on va arrêter là, on en a pour des années avant que tu ne fasses cet album."

C’est ce qui vous a valu une réputation, disons, un peu délicate...

Exactement. J’ai cependant intégralement remboursé ce qu’il m’avait payé, alors je n’étais pas obligé de le faire. À ce moment-là, Fabrice Giger, qui voulait créer un journal, me contacte par l’intermédiaire de Bob De Groot. Je lui montre les dix planches que j’avais faites et là, pour la troisième fois, ils me prennent. Je fais donc ce premier album chez Giger. Les affaires de Giger tournent court, je récupère mes droits et c’est finalement le Lombard qui le publie, ainsi que le deuxième titre de la série scénarisé par Desberg que j’avais entretemps rencontré au Zaïre (actuellement République démocratique du Congo). J’ai écrit complètement le troisième album. Il est intégralement découpé et dialogué, il n’y a plus qu’à le dessiner (LOL !). Beaucoup de mes lecteurs qui connaissent bien l’Afrique me poussent à continuer cette série.

De temps en temps, vous revenez sur Olivier Rameau...

Oui, aujourd’hui encore, je me retrouve dans Olivier Rameau , avec une facilité étonnante. Je reprends ce personnage avec une aisance qui m’étonne moi-même alors que je n’en ai fait que douze albums, ce qui n’est pas énorme, il faut bien le dire... Mais ça me ressemble tellement , Olivier Rameau , que je me sens vraiment chez moi .

"Histoire sans héros - 20 ans après" par Jean Van Hamme et Dany
Le Lombard

Dans le registre des retours surprenants, il y a aussi la suite d’Histoire sans héros - Vingt ans après.

En fait, c’était quinze ans après, quand il m’en a parlé pour la première fois. Je n’en voyais pas particulièrement l’intérêt : ce premier album se suffisait tellement à lui-même ! Comme d’habitude, Van Hamme ne m’écoute pas et m’écrit un scénario auquel il ne manque pas une virgule et qui est tout simplement formidable. Il ne déforçait en rien le premier album, c’était tout simplement une suite, très bien reliée au premier. Avec ce procédé assez fascinant qui est de retrouver les personnages qui ont vieilli en même temps que les auteurs et, pour chacun d’eux, un parcours qu’on ne devinait pas du tout dans le premier album.
J’avais l’impression que même Van Hamme était étonné de ce qui leur était arrivé. Je l’ai fait avec difficulté parce que j’avais du mal à me remettre au réalisme pur et dur. J’avais adopté depuis un certain temps une sorte de dessin semi-réaliste, comme je le pratique actuellement avec Les Guerrières de Troy. Je n’ai pas le talent d’un dessinateur réaliste comme Hermann ou comme Boucq ! J’ai un peu ramé pour le faire , c’est vrai !

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(À suivre)

Dany, globe-trotter et dessinateur
© Dany

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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- Lire le début de l’entretien
- Lire la troisième et dernière partie de l’entretien

- Lire aussi "Dany se découvre au Rouge Cloître

L’expo Dany au Rouge Cloître se déroule jusqu’au 20 avril 2014. Elle sera suivie d’une exposition consacrée à René Hausman (à partir du 9 mai).

Rouge-Cloître
Rue de Rouge-Cloître 4
1160 Auderghem (Bruxelles)
Tél. : + 32 2 660 55 97
info@rouge-cloitre.be

Ouvert du 14 février au 20 avril 2014, du mercredi au dimanche de 14 à 17h.
Entrée : 3 € - 2 € - gratuit < 12 ans.

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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

[1Elle se concrétisera, après une première alliance avec Hachette, par la création du label Novedi.

 
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