En 1944, Darnand comprend qu’Ange ne le suivra pas dans sa collaboration avec les Allemands. La fraternité née entre les deux hommes dans les tranchées se fissure de manière tragique et définitive. Ayant rejoint la résistance et chargé par Londres d’éliminer le chef de la milice, Ange s’avère une sérieuse menace pour le bourreau français.
Ce dernier le poursuit alors dans une lutte implacable. Les deux anciens compagnons d’arme vont s’affronter jusqu’à l’issue tragique qu’on devine. Malgré une tentative de fuite en Italie avec le reste de ses troupes, Darnand est capturé par les Anglais, jugé puis exécuté par des soldats de la France Libre en 1945.
Qu’est-ce qui a bien pu pousser cet ancien soldat jugé exemplaire à basculer aux du côté des nazis ? En choisissant le camp du pétainisme et de la collaboration, ce plus jeune titulaire de la légion d’honneur, obtenue en 1919 pour sa bravoure se compromet de manière irréversible.
Jusqu’au-boutiste, farouchement hostile à une République qu’il méprise, ce militaire borné, tête brûlée, à la volonté de fer, choisit de rester maître d’un destin sanglant à rebours de l’histoire. Persuadé de servir la même France qu’il avait défendue dans les tranchées vingt ans plus tôt aux côtés d’Ange (personnage imaginaire, passé chez les gaullistes), le milicien poursuit sa course vers l’abîme.
Nous avons déjà relevé ici la manière exemplaire avec laquelle les auteurs se sont emparés d’un sujet ô combien difficile et encore un peu brûlant. Tout en évitant soigneusement la complaisance ou les clichés, Patrice Perna, grâce à son scénario érudit et maîtrisé, et Fabien Bedouel, au moyen d’un graphisme net et précis, parviennent à nous restituer l’itinéraire de ce héros devenu tortionnaire, un combattant féroce dépourvu de toute humanité.
Négligeant la jeunesse d’un personnage aussi singulier, ils ont choisi de privilégier les scènes de combat d’une grande violence, insistant par là sur la férocité du milicien. Un éclairage sur les premières années aurait peut-être permis de mieux comprendre le parcours de ce militaire courageux, patriote et discipliné, transformé en monstre sanguinaire dépourvu de toute empathie, brute gavée d’idéologie raciste.
Faire connaître ces faits historiques peu glorieux, souvent oubliés, n’est pas le moindre intérêt de cette bande dessinée qui réussit à être à la fois captivante, rigoureusement documentée mais ne négligeant pas une dimension fictionnelle pour en motiver la lecture. Une série qui a le mérite de montrer comment des idéologies réussissent à détourner certains individus des valeurs qu’ils étaient censés à l’origine servir et défendre. L’itinéraire de Darnand reste à cet égard exemplaire, la démarche des auteurs n’en est que plus utile et nécessaire.
(par Patrice Gentilhomme)
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