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David Polonsky : « Pour la société israélienne elle-même, c’était important de faire ce film »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 1er avril 2009                      Lien  
Récoltant le César et le Golden Globe du Meilleur film étranger, Valse avec Bachir a été une des surprises de la fin de l’année 2008. Les éditions Casterman en ont tiré une BD. Rencontre avec le directeur artistique du film et co-auteur de la BD qui en est tirée, David Polonsky.

Comment en êtes-vous venu à faire ce film ?

David Polonsky : « Pour la société israélienne elle-même, c'était important de faire ce film »
Valse avec Bachir de Ari Folman et David Polonsky
Ed. Casterman

J’étais dessinateur pour la presse et auteur de livres pour enfants après avoir fait mes études à l’Académie Bezalel de Jérusalem. J’avais un professeur nommé Michel Kichka [1] qui eut l’idée d’emmener ses élèves à Angoulême en 1997 ou 1998. J’y ai découvert la grande valeur culturelle que l’on conférait à la bande dessinée dans votre pays. En Israël, elle était quasi inexistante. J’avais huit ans quand je suis venu de Russie en Israël et je ne lisais pas de bande dessinée. Tout cela a été pour moi une complète découverte. Dans ma promotion, il y avait la fameuse illustratrice Gwilyi qui fournit régulièrement des illustrations pour le New Yorker. Il y avait aussi ma future femme, Aya Amikan qui est également illustratrice. En sortant de l’école, je multipliai les travaux illustrations, les livres d’enfant, des pilotes de dessins animés qui ne se firent pas, faute de financement suffisant en Israël. Ari Folman travaillait sur une série documentaire pour la télévision intitulée The Material the Clouds is Made Of au sujet d’une molécule que des scientifiques auraient isolée et qui serait responsable du sentiment amoureux. Les séquences scientifiques étaient animées et Folman a fait appel à moi comme designer pour cette animation qui a été réalisée par Yoni Goodman. Quand il m’a rappelé pour Valse avec Bachir, j’ai tout de suite dit oui.

Valse avec Bachir est une réflexion sur la mémoire qui a tendance à effacer les épisodes traumatisants, en l’occurrence ici les massacres de Sabra et Chatila.

Oui, cela a eu un impact sur mes choix artistiques. D’abord, je me suis abstenu de trop styliser, car il s’agissait de souvenirs rapportés par d’autres protagonistes que le narrateur ; ensuite, pour mes décors, j’ai utilisé l’image photographique. J’ai repris ce procédé dans la bande dessinée. Le passage imperceptible de la réalité au souvenir, c’est ainsi que la mémoire fonctionne.

David Polonsky
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Il y a deux séquences animées qui ne sont pas de vous, mais de frères Assaf et Tomer Hanuka, bien connus des lecteurs français.

Oui, ce sont des séquences de rêves, et je les ai voulues dans un style différent du mien. J’aurais pu choisir des auteurs étrangers mais la production imposait des sous-traitants israéliens ; le sujet aussi commandait de choisir des collaborateurs qui avaient une sensibilité qui collait au récit. Et puis leur dessin est cool. Je connaissais très bien Tomer qui est un illustrateur réputé en Israël. L’illustrateur Michaël Faust a également travaillé pour le film. Malheureusement, dans l’édition française, la page qui comporte les crédits où leurs noms devaient être mentionnés a sauté, je ne sais pas pourquoi. Cela a été fait pour l’édition américaine. Assaf et Tomer sont parfois intervenus sur les planches, mais en général, les personnages sont de moi. Les techniques sont parfois très différentes selon les séquences. Certaines pages sont très détaillées, quasi belges (rires), d’autres sont plus picturales.
Au départ, il y a un pitch. Puis une recherche des intervenants pour le documentaire. Dans le même temps, les coproducteurs donnent leur feu vert pour le financement. Au bout du compte, il entre 80 et 90 minutes d’interviews. Après une réunion entre Ari Folman et Yoni Goodman, nous passons au stade du storyboard.

Valse avec Bachir de Ari Folman et David Polonsky
Ed. Casterman

Le thème des massacres de Sabra et Chatila est un problème en Israël ?

C’est un sujet très touchy évidemment. Il y a eu une enquête officielle en Israël sur ces massacres. Une commission d’enquête a été diligentée qui montra que l’armée israélienne avait laissé faire le massacre sans lever un petit doigt. C’était important de faire ce film pour la société israélienne elle-même. Ce massacre joue un rôle historique : c’est le moment où les Palestiniens quittent le rôle de terroriste qui leur était assigné depuis les Jeux olympiques de Munich pour endosser celui de victime dans l’opinion mondiale. Israël quitte quant à lui le rôle de la victime pour devenir l’agresseur. C’est une des portées symboliques du film.

Comment le film a-t-il été reçu par les autorités israéliennes, en particulier quand vous vous moquez du Premier ministre Menahem Begin et du général Ariel Sharon, responsable de cette première guerre du Liban ?

En réalité, Begin était le politicien, et Sharon, un général. Le politicien avait fait confiance au militaire : il ne fallait pas que l’armée israélienne pénètre plus de 40 kilomètres dans l’espace libanais. On sait ce qu’il en a été : Sharon est allé jusqu’à Beyrouth. Begin était très effrayé par cette situation. Il ne voulait pas porter la responsabilité de cette guerre. Sharon savait ce qui allait se passer après l’assassinat de Bechir Gemayel. Begin en était très affecté. Il savait que ce serait dommageable pour Israël et s’en sentait moralement responsable. Nous avons voulu montrer d’un côté ce vieil homme malade et scrupuleux confronté au général macho et sûr de lui.

Quelles différences y-a-t-il entre le film et la BD ?

La principale différence tient dans la façon dont l’histoire est racontée. Le livre est meilleur que le film pour ça. Le film est plus émotionnel car il a la musique, les voix, il y a un spectacle. Le livre est plus concis, plus précis. Certaines séquences ont été modifiées pour ce support, notamment les longues séquences où la musique joue un rôle dans la dramatisation. A certains moments, nous avons dû ralentir l’action. Je n’ai pas utilisé les images du film pour l’illustrer. J’ai utilisé le design préparatoire qui a servi à l’animation. Dans le film, certaines de nos idées passaient à toute vitesse, elles avaient à peine le temps d’imprimer la conscience. Ici, on a pu rattraper le coup.

Avez-vous été surpris par le succès du film, en dépit de l’image plutôt négative qu’Israël renvoie dans les médias en France ?

Oui, je le suis encore. Nous étions très heureux évidemment. Nous avons reçu le Golden Globe et un César, nous avons été nominés aux Oscar du meilleur film étranger. Nous sommes distribués dans le monde entier. On n’a jamais imaginé cela en faisant le film ! En Israël, on s’attendait à une attaque en règle de la droite –et il y en eut très peu finalement. A gauche, où l’on pouvait nous reprocher de peu prendre en compte la cause des Palestiniens, les réactions aussi furent modérées. Le film a davantage été perçu pour sa démarche artistique que pour son propos, peut-être parce que c’est un dessin animé finalement, peut-être parce que le point de vue était celui des soldats engagés.

Cela ne donne pas d’Israël une image reluisante.

Bien sûr. Comment en serait-il autrement ?

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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[1Né à Liège en 1954, Michel Kichka est le fils d’un rescapé de la Shoah. Publiant ses premières bandes dessinées en Belgique dans Curiosity Magazine à l’âge de 18 ans, il fit son « aliyah » et s’établit en Israël en 1974. Il entreprend des études de graphisme à l’Académie Bezalel de Jérusalem où enseigne notamment Friede Stern, pionnière de la caricature israélienne. Dessinateur politique, il œuvre pour la presse israélienne et internationale : Yedioth Aharonoth, Ha’aretz, Courrier International, L’Arche... mais surtout pour la télévision : Channel Two, pour l’émission Café Tel-Ad ainsi que sur la chaîne francophone TV5.

 
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