Enfant, Sala mène une vie presque banale : l’école, les copains, « les bonbecs » mais aussi les débats animés de ses parents sur la politique… Le décor des années 1970 déploie ses formes géométriques et ses couleurs bariolées. Né en 1973, le jeune garçon entend en musique de fond les histoires de ses grands-parents qui ont connu la guerre. Des destins tragiques dont le travail de mémoire est accompli par la mère du garçon. À son tour, David va s’emparer de cette histoire et en devenir le dépositaire : par sa sensibilité et sa profession, il se sent investi d’« une sorte de mission »...
L’histoire des deux grands-pères est liée à la terrible Seconde Guerre mondiale. Tandis que l’un est envoyé dans un camp de concentration comme ennemi de Franco, l’autre erre dans la campagne française, rejeté par tous, affamé. Marqué par son grand-père maternel dont il scrute le portrait, peint dans le camp de Mauthausen, l’auteur l’entend qui lui parle : il se doit d’être à la hauteur.
Avec très peu de textes, Sala fait exister ce passé lourd qu’il reconstitue entre impressions d’enfant et souvenirs de ceux qui l’ont vécu. Une mémoire certes instable, subjective, et pourtant primordiale.
Dès l’ouverture de l’album, un rose éblouissant accueille le lecteur dans des pages qui donnent l’impression d’évoluer dans un rêve. Des taches de couleurs s’étirent, fantomatiques, en contrepoint de ces souvenirs. D’abord hésitant face à l’usage de la couleur, notamment dans le passage relatant les camps, « n’allait-elle pas atténuer l’horreur ? », le dessinateur réalise que leur utilisation dans les valeurs pures donne finalement l’effet saisissant recherché.
Ce faisant, David Sala objective la tragédie de l’histoire dans un rendu sublime et fascinant. À la mort, au deuil, à l’obscurité, il oppose la vie, les enfants, la lumière. Une pluralité des sens qui ne peut laisser les lecteurs indifférents.
À la fin de l’ouvrage, un cahier d’esquisses et de recherches ouvre une petite fenêtre sur le travail préparatoire de l’auteur. Des entrechats virtuoses et colorés qui doivent autant à Klimt qu’à Bacon.
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(par Thelma SUSBIELLE)
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Le Poids des Héros - Par David Sala - Casterman - 76 pages - 24.2 x 32 cm - Cartonné - Couleur - Relié - Parution le 19 janvier 2022 - 24€