Le métier de la BD est un métier de besogneux, d’artisan. C’est précisément parce que scénaristes et dessinateurs sont vissés à leur siège, finissant les pages alors que dans la pièce à côté fusent les rires d’enfant, qu’ils ont cette aptitude à s’échapper, à construire des choses simples et grandioses.
Sauf que simple n’est pas le mot qui s’applique à Transperceneige. S’il ne s’agissait d’un train, on aurait pu parler d’idée-bateau : le monde est victime d’une guerre apocalyptique et un froid absolu lui est tombé dessus. Seul un train immense, le transperceneige, a survécu à ce cataclysme, condamné à rouler sans s’arrêter sinon il se retrouve figé dans le froid et dans la mort.
À son bord, dans des wagons en enfilade, tout ce qu’il faut pour survivre, des plantations, de la barbaque qui se régénère, de la chaleur... Mais pas pour tout le monde : des castes privilégiées ont des droits que les wagons surpeuplés de la fin du convoi n’ont pas. La tentation est grande de les détacher...
Sur ce pitch post-apocalyptique qui fait florès dans les années 1970-1980 (d’Akira d’Otomo à Shelter de Montellier), Lob nous fait une fable angoissante métaphysique qui reprend du sens dans l’après-Fukushima.
La réalisation de la BD n’est pas une Ligne Claire. Plusieurs dessinateurs sont pressentis à sa réalisation : premièrement Alexis, le talentueux dessinateur de Cinemastock et de Superdupont, l’un des talents graphiques les plus prometteurs de son temps, mais il meurt subitement d’une rupture d’anévrisme en 1977, après avoir réalisé 16 planches.
Ensuite, sous l’impulsion de Jean-Paul Mougin, rédacteur en chef d’(A Suivre), le grand magazine novateur de la fin des années 1970, dont la naissance rend ce récit possible, plusieurs autres auteurs sont pressentis :Michel Rouge, Régis Loisel, Schuiten & Renard, Rochette enfin. Le récit traversera le sommaire de la revue (A Suivre) pendant 10 mois à partir d’octobre 1982.
Mais Jacques Lob décède, le récit reprend sous la plume de Legrand, le complice de Tardi sur Tueurs de cafards. Il lui donne une suite en 1999 et en 2000.
Entre-temps, Rochette qui se tourne de plus en plus vers la peinture, s’est abstrait d’un dessin réaliste qui commençait à dater pour un trait plus enlevé, plus pictural, à la manière d’un Bilal. Il fallait que l’univers soit sacrément fort pour qu’il ressorte comme cela, des années après son lancement initial.
C’est qu’il marque. Dans le monde du cinéma, c’est d’abord Robert Hossein qui tourne autour. Mais c’est finalement le réalisateur coréen Bong Joon-Ho (« Mémories of murder », « The Host », « Mother ») qui en achète les droits d’adaptation, ayant lu l’histoire dans une traduction coréenne de l’album. Il le revoit de fond en comble, change les noms, mais maintient l’esprit. Ce qui le séduit, c’est cet espace confiné lancé à toute berzingue dans un environnement hostile. Cela donne un film à couper le souffle qui a déjà fait 10 millions d’entrées en Corée.
Casterman sort à cette occasion une intégrale de Transperceneige et une explication de texte, Histoires du Transperceneige, bourrée de documents inédits, signée Nicolas Finet.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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